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Billet de blog 6 mars 2013

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Ma route des Indes (2)

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Ma route des Indes (2)

Au col qui fait frontière entre les deux Etats, un aigle et une bande de singes qui occupaient la route m’ont souhaité la bienvenue. Partout la forêt tropicale. Le changement d’Etat était sensible : pas seulement par le passage de la plaine à la montagne, par l’apparition d’une végétation luxuriante, par la fraîcheur de l’air enfin, mais miracle, par des routes sans nids de poule, bordée de panneaux de signalisation. J’allais écrire de panneaux de civilisation… A Mannur, à 2000m d’altitude, en plein cœur des plantations de thé, je suis resté plusieurs jours bloqué là par une grève nationale. Opération pays mort, magasins, boutiques, échoppes fermés, et interdiction de toute circulation sur les routes et les rues. Partout des drapeaux rouges. Je me suis promené au milieu des champs de thé, les passages ménagés entre les arbres taillés courts faisant une sorte de labyrinthe dans un jardin anglais, à perte de vue.

La plupart des plantations appartiennent à Tata, celui des voitures, mais aussi des chaines de télévision, des écoles, des hôpitaux. Je n’ai pas réussi à comprendre si Tata est un horrible capitaliste griffu aux dents longues, ou un capitaliste social et humaniste. Je n’ai pas réussi non plus à comprendre la raison de la grève. A chaque interrogation, j’obtenais une explication différente. Par internet, j’ai pu le découvrir dans les journaux français qui en rendaient largement compte : grève farouchement opposée à l'arrivée des géants mondiaux de la grande distribution, au nom de la survie du petit commerce, et plus largement, des millions de pauvres de ce pays émergent. Grève aussi des chauffeurs de bus et de poids lourds, soutenue par les syndicats et les partis d'opposition, pour protester contre une hausse de 12% du prix subventionné du gazole. « Un mouvement illustrant la difficulté récurrente du pouvoir à imposer des réformes économiques considérées comme "anti-pauvres"» disait la presse.

            La compréhension était difficile : je ne parle ni le tamoul, ni le malayalam, la langue du Kérala, ni l’indi. La langue vernaculaire, du moins avec les occidentaux, est ici comme ailleurs, l’anglais. Mais l’anglais d’ici, au vocabulaire minimaliste, à l’accent et à la prononciation impossibles pour nous,  suppose une assez longue accoutumance. La gentillesse des indiens, plutôt que leur peur de perdre la face, les amenait à ne jamais dire qu’ils ne me comprenaient pas à cause de mon accent plutôt anglais. Il fallait le lire, le déchiffrer sur leur visage. Un signe très sûr : ils arrêtent de dodeliner de la tête, comme ils le font pour signaler leur attention quand ils sont dans l’interlocution.

            J’étais logé à l’extérieur de Munnar, gros bourg de montagne dont le cœur est le marché, dans un petit hameau, très pentu. Les chèvres entraient et sortaient des maisons misérables, des femmes apportaient sur leur tête des fagots de la forêt voisine. Sur le bord de la route, des hommes fendaient le bois pour les fourneaux. Devant cette misère, il valait mieux garder mes états d’âme bien enfouis au fond de ma poche, pour regagner ma chambre d’hôtel où sur le balcon qui fait face aux montagnes, avec en bas la plaine en toboggan de la tea valley, on me servait un thé à  la cardamone, un thé sans thé. Recette : quelques graines de cardamone, une pincée de safran, une écorce de cinamone (canelle), du sucre. Verser de l’eau bouillante. Laissez infuser. Buvez, c’est délicieux. Mais mystère des voyages, une fois de retour à Paris, je n’ai pas retrouvé la saveur douce et parfumée qui m’avait enchanté là-bas. J’ai quitté les nuits à cinq degrés, couvert de tous mes vêtements parisiens,-il faisait aussi cinq degrés à mon départ-, et de deux couvertures, pour la chaleur étouffante de Kochi.

            Autre Inde. Les femmes n’y portent pas de sari mais des tuniques fendues sur les côtés, tombant sur leurs pantalons étroits, ou sur un jean. Les amoureux dans la rue se tiennent par la main, par la taille, sont enlacés sur les bancs. Des couples d’hommes aussi. Impensables ailleurs ! J’ai longtemps circulé la ville, je n’y ai vu aucune masure, aucun tas d’immondices, et, je m’en rends compte à présent, aucune vache sacrée, ni aucune bande de chiens errants. Vive le Kérala rouge, Etat communiste depuis l’Indépendance de l’Inde. Le parlement y a une majorité d’alliance qui va du P.C.I. au parti du Congrès.Vive le Kérala rouge pour ses routes sans nids de poules, ses amoureux dans les rues, ses habitations décentes, ses rues propres mais toujours sans trottoirs, son taux de 97% d’alphabétisation.

            Je suis allé visiter la vieille synagogue de Kochi, implantée là depuis le XV ème siècle. Les juifs y ont eu un royaume, par la volonté du maharadja d’alors. J’ai vu les fac-similés des plaques de cuivres écrites du texte qui l’a institué, sorte de lettres de créance. Le quartier juif, ou ce qu’il en reste car la quasi totalité de la population a émigré en Israël, - cette pompe à désertifier les communauté de la diaspora -, est fait de manufactures d’épices, aux couleurs passées depuis longtemps,  portant curieusement des noms qui semblent d’Europe centrale. Ces ateliers ont une façade et une cour qui débouchent sur un canal ou bras de mer. Ici, à Kochi, la mer est partout, tentaculaire. Ce quartier est fait aussi de magasins d’antiquités, plus ou moins authentiques. Le départ des juifs de Kochi reste mystérieux : ils étaient ici parfaitement intégrés depuis des siècles, parfaitement admis, parfaitement prospères. A quelques rues de là, j’ai vu le temple Jaïn. J’ai sursauté devant les croix gammées qui ornent partout le bâtiment. Je dis bien croix gammées, faites de quatre gammas grecs. J’insiste car chaque fois que j’ai voulu en parler, on m’a opposé que pas du tout, le sens des branches de ce vieux symbole religieux est inverse des branches du gamma. Même photo à l’appui, tellement est fort certainement, le désir d’exempter le jaïnisme, cette religion de la compassion, de toute compromission avec le nazisme. Il m’a été difficile de ne pas sursauter encore quand j’ai vu un taxi surmonté d’une croix gammée. Comment monter dans cette voiture sans se croire transporté à la gestapo locale ?!

Le chauffeur affichait sa religion comme d’autres exhibent un saint Christophe ou un crucifix. Car la région est très christianisée. Comme à Pondy, les églises et les chapelles abondent. Ici, elles sont meringues vanille fraise.

            J’ai voulu voir le vieux cimetière juif. La grille à l’entrée était fermée par un cadenas rouillé depuis longtemps. Dans l’herbe folle, quelques pierres tombales de guingois  n’arrêtaient pas de tomber. Même chose au cimetière hollandais. Même grille fermée, même cadenas rouillé. Dans l’église proche, la tombe de Vasco de Gama est vide, son corps depuis longtemps transporté au Portugal. Le passé est là, fantomatique, entretenu quand il l’est seulement pour les touristes.

            Je me suis réfugié tous les jours sur le bord de mer de Fort Kochi, l’un des quartiers de la ville, pour chercher la fraîcheur des vents marins, à regarder les mouvements des balanciers des filets de pêche chinois qui recommençaient sans fin . Je pensais aux femmes en sari de Pondy, sur le front de mer, image en tableau de genre. Je me suis laissé gagner par la douce mélancolie indienne. J’entendais la musique des mots de Marguerite Duras.

J’ai vu les Indes.

Il me reste encore à rencontrer l’Inde. 

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