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Billet de blog 6 avril 2013

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Mitra Kadivar dément Jacques-Alain Miller

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         Dans son dernier article de son blog, du 2 avril, Miller n’écrit pas mais laisse la plume à Mitra Kadivar, coauteur avec lui de ce qu’il considère comme une  œuvre littéraire "On nous écrit de Téhéran,Correspondance Jacques-Alain Miller avec Mitra Kadivar". Chacun pourra juger du courage qu'il y a à se réfugier derrière une personne et à l'utiliser comme porte parole. Il ne faut pas être grand clerc pour se rendre compte de la confusion qui règne dans son courriel. Il y a des correspondances brillantes de grands épistoliers. Celle de Freud en est un exemple.  Il faut lire le très beau « Notre cœur tend vers le Sud »[1], ou l’étonnante correspondance entre Sigmund et Anna, Correspondance 1904-1938, d'Anna et Sigmund Freud[2] et bien d’autres encore, celle de Hannah Arendt avec Gershom Scholem par exemple[3]. N’est pas grand épistolier qui veut. Je laisse à d'autres le soin de s’intéresser aux qualités épistolaires de ce courriel. C’est tout autre chose ici qui retient mon attention.

         Notons d’abord que ce courriel est daté du 12 mars dernier. C’est-à-dire d’avant la publicité faite par Miller dans La règle du jeu à l’assignation pour diffamation, et avant même que les trois intéressés ne l’aient reçues par les voies légales. Et, a fortiori, d’avant le communiqué de la Société internationale d’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse (SIHPP), - assignée elle aussi -, et de l’Appel à soutien et à protestation qui en ont résulté[4]. Cela, l’auteur de la lettre ne pouvait pas encore le savoir. Miller, donc, utilise un témoignage ancien, antérieur à l’état actuel du débat. Façon de signifier que du débat, il s’en moque.

Cette femme se plaint d’un internement psychiatrique et du traitement médical qui lui a été administré. C’est totalement son droit. Rappelons qu’elle a été l’objet d’une décision d’internement psychiatrique à la suite de plaintes de ses voisins relatives à son état et à ses actes. Le traitement qu’elle a reçu, halopéridol et rispéridol (ou risperdal), est fait d’antipsychotiques majeurs utilisés dans le monde entier pour des troubles à caractère schizophrénique. Le médecin qui l’a soignée lui a administré le même traitement que celuiqu’elle aurait reçu à Sainte Anne ou à Esquirol. Elle s’en plaint. Mais sa plainte ne concerne pas un traitement abusif, une répression d’ordre politique, contrairement à ce que Miller avait soutenu.

         Le passage de sa lettre où elle aborde ce point témoigne contre Miller lui-même.

         Ce qu’elle ne dit pas mais qu’expliquent clairement les Iraniens dans leurs lettres rendues publiques, c’est que cet internement psychiatrique l’a très certainement sauvée de la prison, voire de sévices corporels comme la bastonnade, usages encore en cours dans ce pays et plus particulièrement sous ce régime[5]. Dans un texte publié sur le site d’Olivier Douville[6], Foad Sabéran, né à Téhéran, psychiatre à Paris, écrit : « Dans un pays où la maltraitance des femmes (cents coups de fouet pour des mèches de cheveux trop libres) et des minorités dites « mal pensantes » est un dogme d’Etat, qu’une femme ait pu être soignée et non mise en prison, malgré les troubles à l’ordre public qu’elle a causés, est certainement le fait de l’intelligence de la communauté médicale. »

Au point 3 de son courriel, Mitra Kadivar interpelle la SIHPP, dans une apostrophe assez obscure, en lui reprochant d’ignorer la géographie et de croire que le monde entier se contient entre la mer Noire et la mer de Chine. Elle fait probablement allusion à ce passage du Bulletin de cette société savante qui la cite elle-même, se déclarant seule membre de l’AMP entre ces deux mers[7]. Mitra Kadivar ignore que la SIHPP[8] est une société savante, honorable, à l’activité riche et multiple.

Sur la scène éditoriale, la SIHPP a été représentée, entre 1986 et 1992, par la revue Frénésie, avec dix livraisons qui ont eu pour thèmes : Destins de femmes et folie, Figures de style ou la rhétorique de l’inconscient, Coche-mare, Hysterus, Crimes, Folies d’enfant, Opéra, Suggestions, Sorcellerie, Ecrire la folie. A la revue s’est ajoutée une collection, Insania (Les Introuvables de la psychiatrie) dont le but a été de faire connaître des textes classiques de l’histoire du regard psychiatrique. Ont été rééditées dans ce cadre les oeuvres de Gaétan Gatian de Clérambault, d’Étienne Esquirol ainsi que La philosophie de la folie de Louis Daquin, La folie lucide  d’Ulysse Trélat, chaque fois avec une préface inédite. Michel Collée a assuré la rédaction en chef de la revue et, avec Olivier Husson, la direction éditoriale de la collection.

Depuis novembre 1990, la SIHPP dispose d’un lieu près de la BibliothèqueHenri Ey de l’hôpital Sainte-Anne où sont désormais consultables les archives d’Henri Ellenberger et sa bibliothèque.

Mais revenons à Mitra et à son courriel. Mitra, opposante lacanienne au régime dictatorial des religieux ? Allons donc. Toute une partie de sa lettre, son point 4, le dément avec véhémence et éloquence. Lisons : « … le 20 décembre 2012 je vous écris qu’il n’y a rien de grave et que je vous dis que pour me libérer du commissariat j’ai du appeler le ministère de l’Intelligence. Est-ce qu’un opposant aurait fait ça ? Est-ce qu’un opposant aurait obtenu du ministère de l’Intérieur de son pays l’autorisation de fonder la première association de psychanalyse de son pays et que cette association aurait été reconnue d’utilité publique par ce même ministère ? En plus, sur ce point aussi je peux me déclarer être la seule entre ces deux mers d’avoir réussi un tel exploit ! »

Elle rappelle qu’elle s’est tournée vers le ministère de l’Intelligence (ministère de la sécurité nationale et du renseignement) pour demander secours et assistance au moment où, interpelée, elle est maintenue dans un commissariat. Dans sa lettre, elle demande, très naïvement, si un opposant au régime aurait fait ça. Si un opposant au régime aurait obtenu du ministère de l’Intérieur l’autorisation de fonder la première association de psychanalyse de son pays. Et si de surcroît cette association aurait été reconnue d’utilité publique par ce même ministère. Elle s’exclame avec enthousiasme : « En plus, sur ce point aussi je peux me déclarer être la seule entre ces deux mers (la mer Noire et la mer de Chine, ndlr.) d’avoir réussi un tel exploit ! ».

         La suite du propos est stupéfiante. Après ces démonstrations d’inféodation au Ministère de l’Intelligence du régime islamique, elle dénonce à ce régime le docteur Foad Sabéran comme un opposant. Elle le dénonce comme si s’opposer à ce régime était infamant, déshonorant« … nos recherches à son sujet dans Internet nous a régulièrement conduit à des sites filtrés par les autorités, ce qui indique que c’est lui qui a probablement quelques problèmes avec les autorités iraniennes ». Ces sites filtrés par les autorités, ce sont un article publié par le journal Le Monde : L'Iran continue sa persécution contre la communauté bahaïe[9]. C’est aussi le texte d’une très belle conférence[10] sur la poétesse Qorrat'ol-Aïn, « une femme de grande stature qui a tenté, par sa parole, ses écrits et ses actes, et avec quelle force, de briser les chaînes de la ségrégation qui, depuis des siècles, asservissent les femmes de cette partie du monde qu'on appelle, par euphémisme, l'Orient ». Au début de cette conférence, le docteur Foad Sabéran se présente : « Étant de la même lignée spirituelle que la Poétesse bábíe martyrisée, je ne suis pas un citoyen normal en Iran. En réalité du point de vue de l’État iranien, je ne suis pas citoyen du tout. Comme bahá'í je n'ai aucun des droits civiques et juridiques inhérents à une citoyenneté. Considéré comme hérétique, infidèle et impur je n'ai pas le droit de vote, mon témoignage est nul devant un tribunal, je n'ai pas le droit d'hériter et mon testament est nul, mon mariage est nul, je suis un bâtard, mes enfants aussi sont frappés du sceau infamant de la bâtardise, je n'ai pas le droit de fréquenter l'Université, ni d'avoir un passeport, ni d'être fonctionnaire, ni de toucher ma retraite, certains de mes confrères, en particuliers des gynécologues et des obstétriciens, ont été passés par les armes, après un simple interrogatoire d’identité, « pour avoir eu accès aux parties intimes du corps des musulmanes », les tombes de tous les morts de ma famille ont été passées au bulldozer, etc. Tout cela non point pour ce que nous avons fait mais pour ce que nous sommes, enfants, femmes, vieillards et les morts compris ».

         Merci Mitra Kadivar d’avoir, par votre témoignage, soutenu les mêmes propos qu’Elisabeth Roudinesco.


[1] Préface d’Elisabeth Roudinesco. Librairie Arthème Fayard, 2005.

[2] Edition établie et postfacée par Ingeborg Meyer-Palmedo, traduit de l'allemand par Olivier Mannoni, préface   d'Elisabeth Roudinesco, Fayard 2012.

[3] Correspondance. Hannah Arendt, Gershom Scholem, Marie Luise Knott, Collectif. Édit. Seuil. 2012

[4] cf. mon article : http://blogs.mediapart.fr/blog/michelrotfus/020413/miller-judiciarise-le-debat-miller-invective-un-combat-en-faveur-de-la-liberte-d-expression

[5] Voir l’article de Thierry Savatier http://savatier.blog.lemonde.fr/2013/04/02/la-psychanalyse-entre-debats-et-proces/

[6] https://sites.google.com/site/olivierdouvilleofficiel/blog

[7] l’Association Mondiale de Psychanalyse a été fondée par Miller en 1992 et inclut la Fondation du Champ freudien ainsi que l'École de la cause freudienne

[8] Pour une information plus complète sur l’activité de la SIHPP depuis sa création jusqu’à aujourd’hui, on peut se reporter à son site :www.sihpp.sitew.com/

[9] http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/05/28/l-iran-continue-sa-persecution-contre-la-communaute-bahaie-par-foad-saberan_1364073_3232.html  mai 2010

[10] http://femmesbahaies.free.fr/FemmesRemarquables/tahereh.htm

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