Depuis plus d’un demi siècle la famille a connu de grands bouleversements dans ses modes d’organisation comme dans les conceptions que l’on a cru longtemps inébranlables : familles éclatées, recomposées, substitution du Pacs au mariage, mariage entre personnes du même sexe… Mais loin de contester la famille, ces évolutions l’ont confortée dans ses fonctions et dans les attentes dont elle est l’objet : qu’elle soit un monde protégé et protecteur, où les relations entre ses membres sont constitués de liens étroits d’entraide et de solidarité fondés sur l’affection et sur l’amour, où chacun peut trouver les soins et la sécurité qu’il désire.
Huis clos
Pourtant, trop souvent, c’est la violence qui y règne. Violence entre époux, le plus souvent à l’encontre des femmes, violence envers les enfants, ou encore à l’encontre des personnes âgées. On s’aperçoit que la famille peut être, trop souvent encore en toute impunité, un des pires lieux de souffrances infligées, se transformant en un véritable enfer, clos sur lui-même. Les droits fondamentaux des victimes y sont bafoués, déniés. Il est possible d’y commettre toutes sortes de délits et de crimes sur des personnes dépendantes, et le plus souvent sans défense.
Ce n’est qu’avec l’intensification des mouvements de libération des femmes, et de leurs luttes pour la reconnaissance de leurs droits, que ce monde clos et opaque a commencé à s’ouvrir. Commencé seulement car si désormais des femmes battues ou violées, - et parfois des hommes aussi -, font valoir leurs droits, on estime que cela ne représente que 10% des cas dans un pays comme la France même si les moyens coercitifs se sont multipliés et si l’arsenal répressif s’est durci.
Vipère au poing
Contrairement à une idée reçue qui veut que les violences familiales soient le fait des classes sociales défavorisées, elles touchent tous les milieux : l’origine sociale des personnes impliquées est indifférente.
Elles comportent une prévalence masculine, même si les hommes peuvent subir eux-aussi brutalités ou humiliations.
Qu’elles soient le fait d’un seul ou des deux parents, les violences parentales peuvent être physiques, ou prendre des formes plus insidieuses quoique tout aussi destructrices, comme c’est le cas pour les pervers narcissiques.
Les violences survivent au patriarcat
C’est une idée reçue tout aussi tenace de considérer la violence, et les violences familiales en particulier, comme une fatalité inhérente à la nature humaine et indépendante de toute histoire personnelle. Pourtant, de la même façon que l’évolution des formes de la famille l’a montré pour la famille, les violences n’ont rien de « naturel » à moins de considérer que la brutalité est un apanage du patriarcat qui pourtant termine son règne depuis un siècle. Elles sont encore moins « légitimes » à moins de considérer qu’elles sont autorisées par un ordre des choses prescrit par une parole divine ou inscrit dans une essence masculine qui tend à se réaliser en chacun.
Ces violences bien au contraire sont le fait d’une construction historique et sociale, où s’inscrit la psychogénèse des personnes violentes qui ne peuvent contenir leurs pulsions destructrices. On ne peut plus comme on l’a fait pendant longtemps, prétendre que la « correction » est un moyen « normal » d’exercer son autorité de père ou de mari et que celle-ci soit légitime. Pendant longtemps, les victimes ont accepté de s’y soumettre, de la subir et même de la cautionner.
Quelques données chiffrées
Ces violences sont encore très peu identifiées et dénoncées. Ainsi les organismes concernés estiment que moins de 10 % des viols font l'objet de plaintes (OND, 2008). Pourtant, les études internationales et les enquêtes françaises récentes de victimisation, ainsi que les statistiques des numéros verts[1], donnent des chiffres impressionnants sur leur fréquence et informent sur des réalités dérangeantes les concernant :
- En France, au moins 10 % des femmes de 20 à 59 ans ont subi des violences conjugales dans l'année qui précède l’enquête (ENVEFF, 2000) ;
- Une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups de son conjoint ou de son ex-conjoint (OND, 2008) ; soit 156 victimes pour lesquelles il n’y a pas de cérémonies nationales.
- Les chiffres internationaux font état d'une femme sur trois qui subirait des violences conjugales dans sa vie ;
- Près de 20 000 enfants sont signalés chaque année comme étant maltraités, essentiellement par leurs parents, dont 4 800 pour des violences sexuelles (ONED, 2008) ;
- En France, le nombre des enfants qui décèdent à la suite de violences n’est pas encore répertorié avec précision, les chiffres estimés à partir des différents organismes seraient de 500 à 700 enfants par an ;
- 26 % des français connaissent au moins une personne victime d'inceste dans leur entourage ;
- 3 % des français déclarent avoir été victimes d'inceste - 5 % des femmes et 1 % des hommes- (enquête IPSOS-AIVI, 2009).
Les réponses du droit[2].
Le législateur a été amené à appréhender les violences conjugales, en adaptant le droit pénal par retouches successives. De nombreux outils ont été posés par la loi du 4 avril 2006 relative à la prévention et à la répression des violences au sein du couple, notamment des mesures d’éviction et un suivi thérapeutique.
La loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a prévu l’extension du suivi socio-judiciaire aux auteurs de violence conjugale et, entre autres, l’injonction de soins.
La loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants est venue encore renforcer la répression.
Il reste que la justice a un rôle essentiel à jouer. Si la répression est nécessaire et si la loi doit être entendu, répression et prévention doivent être articulées afin de préserver ce qui peut l’être de l’avenir d’une vie familiale et d’assurer la protection des enfants. Elle doit organiser au mieux les relations postérieures à la séparation du couple pour que ne soit pas créé un nouvel espace de violence et d’emprise dans lequel l’enfant serait un enjeu entre ses parents. Ainsi doit être balayée l’idée reçue selon laquelle un mari violent n’est pas nécessairement un père violent. Cependant,
Pourtant, …
… Les violences familiales sont loin d’être éradiquées. Il est essentiel d’articuler la vigilance des pouvoirs publics et celle des citoyens. Il importe d’identifier ces violences, de les dénoncer, de protéger, de soigner les victimes, et de les aider à prendre conscience qu’elles n’ont pas à subir ce qu’elles subissent, qu’il y a des voies de sorties et qu’il est possible de trouver de l’aide. Il s’agit de les accompagner pour qu'elles se soustraient à ces conditions de vie, pour les informer de leurs droits et les orienter vers des services spécialisés. Il reste bien plus à faire encore pour les enfants maltraités et pour les personnes dépendantes.
[1] Tels que le 119 (enfance en danger), le 39-19 (SOS femme, violence conjugale), le 08 00 05 95 95 (SOS-Viols), etc.Tous les numéros nationaux de toutes les associations sont répertoriés sur le site :
http://www.sosfemmes.com/ressources/contacts_tel_national.htm
[2] Pour apprécier les réponses du droit, il faut se souvenir que le droit pénal assure la répression, le droit civil étant tourné vers les modalités d’exercice de l’autorité parentale.