Hier, en solidarité avec les manifestants turcs d’Istanbul, on a dansé le tango argentin Place de la République à Paris.
Si le tango argentin est une autre façon de marcher, alors un printemps des peuples est en marche en dansant, à Istanbul place Taksim et à Gezi Park, mais aussi à Tucson, Arizona aux USA, et partout dans le monde où le tango se danse. A Paris, cette protestation était organisée par Stéphane Koch animateur bien connu du monde de la nuit, et son association « El Turquito » un bal tango qui se déplace dans les plus beaux endroits de Paris.
" On ne fait pas une révolution sans chanter et sans danser", première phrase de l’appel qui invitait les milongueros[1] turcs à danser le Tango sur la place Gezi le 6 juin 2013.
Que s’était-il passé ?
A l’origine… C’est dans le parc Gezi, l’un des derniers espaces vert d’Istanbul, qu’est née la fronde contre le gouvernement conservateur-islamiste de Recep tayyip Erdogan au pouvoir depuis 2002. Des militants écologistes, opposés à l'arrachage des arbres de ce parc pour un projet de construction urbain, en avaient été violemment délogés le 31 mai dernier par les forces de l'ordre, déclenchant une fronde inédite de trois semaines contre les dirigeants au pouvoir accusés de vouloir islamiser la société. Un tribunal avait finalement invalidé le projet de destruction du parc.
Cette décision unilatérale du pouvoir politique de transformer un espace récréatif dans le cœur d’Istanbul, le park Taksi en complexe commercial, après destruction des espaces verts du Park a provoqué une importante protestation : des milliers d’opposants au Premier ministre Recep Tayyip Erdogan ont investi le park d’où ils ont été délogés, samedi 25 juin par une intervention policière très violente et très musclée des forces anti-émeute contre des manifestants pacifiques qui ne répliquaient pas, à coups de gaz lacrymogènes, de canons à eau, et poursuites-chasses à l’homme dans les rues adjacentes. Il y eut de nombreux blessés dénombrés.
La violence fut telle que la chancelière allemande s’est dite "épouvantée" par la répression policière des manifestations anti-Erdogan à Istanbul, en exigeant "qu’aucune violence ne soit exercée contre les manifestants" qui réclament plus de démocratie.
"Le recours excessif à la force n’a pas sa place dans une démocratie", a déclaré le Commissaire Européen à l’élargissement, Stefan Füle, à l’attention du chef du gouvernement turc lors d’une conférence à Istanbul sur l’Europe.
Ce fut le point de départ d'un mouvement de contestation sans précédent contre le gouvernement du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan.
Le parc Taksim transformé en zone de guerre et le pays coupé en deux.
Le collectif Solidarité Taksim a condamné l'opération, qui "a transformé le parc Gezi, Istanbul et le pays en zone de guerre"… "Cette attaque brutale de la police doit s'arrêter. Le parti au pouvoir sera tenu pour responsable des événements".
Le chef du gouvernement avait prévu une nouvelle démonstration de force le dimanche suivant dans un autre parc d'Istanbul où des dizaines de milliers de sympathisants de son Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste) étaient attendus. Tandis que l'un des principaux syndicats du secteur public en Turquie annonçait qu'il allait lancer un appel à la grève générale. "Le pays est dans une impasse", a constaté Fatma Kizilboga, journaliste à Istanbul pour France 24.
Les manifestations se sont poursuivies au cœur d’Istanbul. Des dizaines de milliers de personnes sont toujours réunies sur la place Taksim pour réclamer la démission de Recep Tayyip Erdogan à qui elles reprochent une mainmise du pouvoir.
Lieu symbolique du mouvement de contestation anti-gouvernementale le parc Gezi, à Istanbul, est de nouveau accessible au public depuis le 7 juillet. Mais les contestataires ne désarment pas pour autant. Le collectif Solidarité Taksim a appelé à un rassemblement ce lundi dans le parc. "L’idée n’est pas de réoccuper le parc. Après que les manifestants eurent été délogés par la force de la place Taksim, le mouvement de contestation sociale a pris une nouvelle forme. Depuis trois semaines, les opposants se réunissent dans les parcs publics d’Istanbul, et d’autres villes du pays, afin d’y tenir ce qu’ils appellent des forums. Des réunions durant lesquelles ils débattent de la politique menée par le Parti pour la justice et le développement [AKP, au pouvoir] qu’ils accusent de dérive autoritaire."
Selon l'Union des médecins de Turquie, au moins quatre personnes ont péri et plus de 7 800 autres ont été blessées lors des manifestations récentes à travers la Turquie.
Les medias turcs, directement contrôlés par le gouvernement ou ayant des liens politiques ou financiers avec lui refusent de couvrir ces événements. Les agences de presse turques bloquent les « flots » d’information.
Des tangueras en robe rouge et des milongueros en masque à gaz.
Depuis l’Appel du 6 juin à danser le tango pour la démocratie, les photos de tangueros portant des masques à gaz ont fait le tour de la planète. Des milongas de soutien ont eu lieu dans plusieurs grandes villes et Paris se devait donc de répondre à l'appel.
Aussi, le Dimanche 7 Juillet à 15h, Place de la République à Paris, les danseurs de tango parisiens ont été conviés à une milonga de soutien pour les manifestants en Turquie et pour cette belle cause : danser pour la liberté, pour le droit à être informés par des médias indépendants, et contre la brutalité et la terreur d'Etat.
Cette tango-manifestation s’est faite dans l'esprit de "Gezi" : pas de drapeau de parti politique, pas d'applaudissements ni de slogans. Car les valeurs défendues sont au-dessus des clivages politiques que nous connaissons dans les sociétés démocratiques occidentale. Elle concernent la condition même de cette pluralité de sensibilités politiques, de leur expression et de leur confrontation dans un espace politique et juridique pacifié : c’est-à-dire la liberté d'expression, le respect des libertés individuelles, des minorités, le droit d'avoir accès à une presse libre et indépendante, de vivre dans un Etat de droit.
Tenue conseillée : les filles devaient être en robe rouge, pour évoquer la tenue que portait cette femme photographiée qui , en robe rouge, a reçu en pleine figure la violence d’un canon à eau.
Tout le monde en masque à gaz, au symbolisme évident.
A toutes les heures pleines (15h /16h/17h/18h, heure de Paris soit GMT +1 ) un tango à l'arrêt pendant 3 minutes, en référence à une nouvelle façon de manifester inventée à Gezi : l'homme à l'arrêt, qui reste immobile. Démenti muet face aux allégations infondées de vandalisme et de violence mis en avant par les forces publiques qui ont, a de nombreuses reprises, elles-mêmes commis des actes violents : de nombreuses personnes à l'arrêt ou avec des fleurs à la main ont été passées à tabac par la Police anti-émeute…
A 17h30 s’est dansée une Tanda de casseroles et de poêles à frire. Le concert de casseroles se réfère à la manifestation des ménages chez eux qui ont fait retentir les casseroles toute la nuit en éteignant et en allumant les lumières… Les musiciens conviés ont créé des rythmes agréables à danser.
Tout le monde a remarqué, Place de la République, ce dimanche tanguero, l’absence du Capitaine Win-Win et de son ami BHL. La Turquie connait pourtant un régime répressif. Il n'y a donc pas de tanguera kadivarienne à sortir des geôles ?
[1] Petit glossaire rapide du monde du tango :
Milonguero : est un danseur, une danseuse de tango. On les nomme aussi tanguero/ tanguera. Ces danseurs dansent dans des Milongas, salle de bal, ou lieux aménagés à cette fin. La Milonga est aussi une des danses dansées par les tangueros et tangueras, avec le tango et la vals (sans « e ») argentine. Durant un bal ou même une soirée plus informelle, on danse des tendas, des séquences de quatre morceaux d’un même style, d’une même couleur musicale, pendant lesquels les deux partenaires continuent de danser ensemble jusqu’à la cortina, air de musique qui sépare deux tendas où les partenaires peuvent alors se séparer ou décider de continuer un bout de chemin…