Paru dans le N° de décembre des Cahiers Yiddish– Yiddishe Heften du Cercle Bernard Lazare (seul périodique européen publié en yiddish).
Je suis né j’ai grandi dans le yiddishland familial, dans une ville du Languedoc peu de temps après la guerre. Mes deux parents avaient émigré de Pologne vers 1930. Comme beaucoup de leur génération, ils ont été marqués au fer rouge par les tragédies de l’histoire. Et comme beaucoup d’autres de leur génération, ils ont observé un silence total sur leur passé et sur leur famille. Je n’en ai jamais rien su.
Ce n’est que très récemment qu’une suite de hasards m’a fait découvrir le Yizkor Bukh de Garwolin, le Shtetl de ma famille paternelle, situé au sud-est de Varsovie.
Si ma langue maternelle a été le yiddish avant le français, je n’ai jamais appris à le lire ni à l’écrire. Grace à l’aide éclairée d’Erez Lévy, traducteur au Centre Medem, j’ai pu commencer à pénétrer dans les témoignages de ce livre du souvenir.
C’est ainsi qu’au détour de l’un de ces textes, j’ai découvert que mon grand père paternel, sur lequel j’ignorais tout jusqu’à présent, a été le doyen du Conseil juif (Judenrat) de Garwolin, instauré par les allemands dès leur arrivée en 1939. Il y est l’objet d’un éloge pour la façon dont il a assumé sa charge jusqu’à l’épuisement, en se dévouant envers les nécessiteux et les réfugiés de passage et en rendant les derniers devoirs aux morts anonymes, tués sur le bord des routes, alentour. Suite à la polémique qui s’est développée autour des positions d’Hannah Arendt sur le rôle et la responsabilité des Conseils juifs dans la politique d’extermination des communautés juives par les nazis, polémique qui se poursuit encore aujourd’hui, j’ai entrepris d’élucider ce qu’il en a été à Garwolin.
Comme je progressais dans le texte, mon projet a très vite pris une nouvelle dimension : rendre compte de ce qu’a été la vie juive à Garwolin, son développement, ses aspects multiformes, et sa fin tragique.
Michel Rotfus
Nous nous proposons de présenter ici, dans un premier temps, ce qu’a été cette ville, en fait le Shtetl le plus récent de Pologne, qui, située à un carrefour de voies de communications s’est développé au début du XXè siècle. Après avoir été confrontés aux manifestations terribles de la guerre russo-polonaise, la communauté juive de Garwolin a connu, comme partout ailleurs en Pologne, et jusqu’en 1939, un véritable printemps de la jeunesse, traversée de multiples courants divisés entre tradition et modernité, certains religieux avec les très nombreuses cours rabbiniques hassidiques qui disputaient entre elles en pratiquant la controverse, d’autres nouveaux comme ceux des mouvements sionistes, ou bien socialistes révolutionnaires, comme le Bund, tandis que d’autres parties de cette jeunesse choisissaient l’émigration outre-Atlantique, ou vers la France, fuyant la précarité parfois extrême que subissait le monde juif.
Cette effervescence ouvrait à un monde nouveau dont tous les espoirs et les rêves furent anéantis dans l’horreur de l’extermination. D’autres articles qui suivront en rendront compte.
Erez Lévy
Michel Rotfus