Dans un précédent billet[1], je parlais du cacanien lacano-millerien, véritable langage de secte, où les contorsions et les obscurités de la langue tiennent lieu de pensée. Des amis bien intentionnés me reprochent une certaine exagération. Je me suis donc tourné vers l’écriture millérienne elle-même pour la soumettre à l’épreuve de l’examen. En quoi son style, tantôt chantourné, tantôt plongeant dans la plus grande vulgarité, tantôt les deux à la fois est-il le signe et le masque d’un semblant de pensée ?
J’y ai trouvé une sorte de triptyque que voici :
1. D’abord, une sorte de chose binaire qu’il nomme Ploucs et Bobos, fortement marqué par Roland Barthes qui, reprenant Saussure, et Jakobson, a montré le caractère essentiel de cette relation duelle. Miller poursuivrait-il son œuvre ? Je me contenterai de le paraphraser, sans m’embarrasser de je ne sais quel compte rendu de ce degré zéro de la pensée.
Le monde est selon lui partagé entre deux pensées uniques[2]. D’un côté la libérale libertaire, qui épouse les évolutions de la société et qui a la faveur des bobos. De l’autre, la romaine, fixiste, qui se règle sur la loi naturelle, antilibérale, ordonnant le Bien depuis cette théologie qui tient le haut du pavé au Vatican. Elle rallie les « tradi », ou ploucs.
Bobos et Ploucs se jettent des anathèmes, sans dépassement hégélien. Comme Tchouques à têtes rondes et les Tchiches à têtes pointues de Brecht.
2. Au milieu de ce monde binaire, bobos-ploucs, trône Carla, l’objet de tous ses désirs. Carla qui lui échappera toujours. Tantôt plouc, tantôt bobo. Carla, la diva Carla, sur laquelle il ne peut que disserter[3].
Ce n’est pas comme avec l’objet de tous ses rêves, Alain Badiou qu’il aime encore plus que Carla, qu’il accuse de l’avoir trahi, ce compagnon de la rue d’Ulm, au point de le provoquer en duel : car Badiou a osé publier un livre de dialogue avec Elisabeth sur Lacan[4]. Comme il aurait voulu être à la place d’Elisabeth Roudinesco dans ce dialogue, de la belle Elisabeth que lui a préféré Badiou.
Lui, le pauvre Miller se sent personna non grata dans sa bonne vieille Ecole Normale Supérieure au point de vouloir créer une nouvelle institution en France, l’Ecole Anormale Supérieure. Quelle régression ces jeux d’enfant vieilli.
3. Enfin, le Pape, objet suprême de tous les désirs de Miller, au-dessus de Badiou, au dessus de Carla, au dessus d’Elisabeth. Le Pape dont il rêve d’être l’ami. Mais le Pape François lui préfère le culte de Marie et le lavement des pieds dont Lacan adorait le spectacle au point de se rendre à Rome chaque année pour y assister.
Le Pape selon Miller : Argentin, jésuite, donc lacanien. Raisonnement prodigieux, sur le génie du nouveau Pape qui a choisi de s’appeler François, sans numéro d’ordre. Dans une illumination, Miller comprend que François réinvente Lacan. Lacan a déclaré énigmatiquement que « le deux fonde le un ». De même, François deux fondera François un. Il sera un quand il y aura François deux. Élémentaire mon cher Miller. Bientôt, c’est sûr, Miller sera appelé, pour laver les pieds du Pape, se faire laver les siens, et créer une succursale de son école lacanienne au Vatican. Ecole Lacanienne Vaticane.
Pauvre Miller éperdu et perdu entre Lacan, le Pape, Carla, Elisabeth et Badiou !
[1] http://blogs.mediapart.fr/blog/michelrotfus/090413/gilles-bernheim-grand-rabbin-lacanien-devant-l-eternel
[2] Libération du 28-03. http://www.liberation.fr/evenements-libe/2013/03/29/un-analyste-devant-les-pensees-uniques_892260
[3] http://laregledujeu.org/2013/03/28/12885/diva-carla/
[4] Jacques Lacan, passé présent. Dialogue Alain Badiou, Elisabeth Roudinesco, , Paris, Seuil, 2012.