Gérard Miller, le « démonteur » d’idées reçues.
Comme il s’est beaucoup répandu sur les écrans de télévision, il n’est pas tout à fait inconnu. Pourtant, afin d’asseoir sa notoriété, il met en avant sa filiation, comme un titre de noblesse : il est le petit frère de son grand frère , et donc le beau frère de la fille de Lacan.
Son dernier livre, Antipathies[1], se veut « un livre d’humeur, un ouvrage de parti pris ».

Au cours de ses années de formation, il passe de l’Hypokhâgne en 1968, à la politique chez les maoïstes de la Gauche Prolétarienne et à un séjour dans la Sarthe comme vacher-porcher, puis l’E.N.S. de Saint Cloud, à un parrainage médiatique par le grand homme de culture qu’est Laurent Ruquier. Il devient docteur en philosophie puis docteur en Science politique (sic)[2]. Puis professeur d’Université. Après des années de psychanalyse, il passe de l’autre côté du divan pour être, pendant un temps, un analyste très médiatique, n’hésitant pas à chausser un nez rouge.
Malgré un tel parcours, ça n’est pourtant que tout récemment qu’il finit par découvrir « qu’il existe dans la société française un vaste ensemble d’opinions marécageuses, de mensonges, d’approximations, de niaiseries et de méchancetés » qu’il va s’employer à « démonter » comme autant d’ « idées reçues qui ne consacrent souvent qu’un seul dieu, le bon sens ».
Les idées reçues procèderaient à la consécration du bon sens ? Jadis on consacrait aux dieux, voire même à un seul. Phrase obscure où le jargon lacano-millérien bouleverse la syntaxe.
Mais passons ! Et consacrons nous, si je puis dire, à démonter son démontage des idées reçues.
En fin styliste, il dit s’en prendre dans son livre à 123 « cibles ». Je m’en tiendrai à l’une d’ elles : les ennemis de la psychanalyse. Pour jargonner le Gérardmillérien, qui affectionne le vocabulaire technique, disons que cette « cible » sera comme une sorte de carottage ou de prélèvement chimique et nous montrera suffisamment la valeur du reste.
M’en prendre à Onfray ?... Au nom de quoi je vous prie ?
On aurait pu croire que Gérard Miller réserverait une place de choix au prétendu « déboulonneur » de l’idole Freud. C’est du moins ainsi que Michel Onfray s’est efforcé d’asseoir sa réputation de déboulonneur d’idoles : après s’en être pris à Marat, à Dieu, il s’est attaqué à Freud. Puis, ensuite à Sartre et à Simone de Beauvoir, à tous les philosophes à des années soixante-soixante dix. Et tout récemment à Sade et à tout ceux qui, en France, ont mis en évidence l’importance de son œuvre.
Mais Freud et son déboulonneur ?….
On aurait pu penser que, dans un tel livre, Gérard Miller aurait soin de lui régler son compte. Car tout de même, il a à voir avec la psychanalyse et avec Freud pourrait-on penser. Gérard Miller n’est-il pas Directeur du département de psychanalyse de Paris VIII ? Directeur de la Section Clinique de Paris-Saint-Denis ? Membre de l’Ecole de la Cause Freudienne ? Membre de l’Ecole Européenne de Psychanalyse ? Et Membre de l’Association Mondiale de Psychanalyse.
Gérard Miller reconnaît que le livre d’Onfray est " …hâtif, bourré d'approximations et d'erreurs, de sottises…" ? Il a bien vu que dans ce livre, Freud est dépeint comme "un fat ignorant et menteur, un homophobe, un escroc, un juif honteux, un plagiaire, un pervers, un cocaïnomane. Il sympathisait avec les fascistes, croyait à la numérologie, à la télépathie, couchait avec sa belle sœur, dormait pendant les séances (…) sa vie n’est qu’une suite de saloperies et son œuvre une fantasmagorie grotesque"[3]
Onfray peut raconter n'importe quoi, vomir autant qu'il peut sur Freud qui sous sa plume devient une abominable crapule. Miller dit « Et alors ?... Pourquoi m’en prendrais-je à Onfray ? ».
« … À la différence de la plupart des psychanalystes, la conversion d'Onfray ne m'inspire ni colère ni indignation. Je n'ai pas plus de raison aujourd'hui qu'hier de rejoindre la longue cohorte de ses détracteur… ».
« Dire du mal d’Onfray ? au nom de quoi je vous prie ? » Il n’y a aucune raison de m’en prendre à Onfray. Aucune raison de rejoindre la cohorte de ses détracteurs.
Un détracteur ne se livre pas à une analyse critique. Il déprécie.
Pour Gérard Miller, la question est : être détracteur ou pas ? Dire du mal ou pas ? Mais en aucune manière : effectuer le travail de lecture critique qu’on attend de tout universitaire : effectuer une lecture critique qui analyse le texte et met à jour les erreurs, les éventuels travestissements et reconduction de ragots infondés, identifier quel a été l’usage des archives. Le propos de Gérard Miller se situe dans le monde des amuseurs publics.
D’ailleurs, le livre d’Onfray l’a fait rire, c’est un livre comique. Onfray est « Le fils caché que Zavatta aurait eu avec Nietzsche ».
Gérard Miller, quatre ans après la parution du brûlot d’Onfray contre Freud et des critique qu’il a suscitées, rejoint la cohorte des psychanalystes qui, par leur silence ou leur laxisme ont manifesté que de Freud, ils s’en moquaient. Certains l’ont même déclaré. Qu’importe la vérité historique de ce qu’a été l’inventeur de la psychanalyse et de ce qu’il en a fait puisque depuis, elle s’est développée sans lui, hors de lui, et autrement. Qu’importe le « révisionnisme anti-freudien » qui depuis 25 ans, veut « détruire » (sic) Freud et le freudisme. Qu’importe la vague déferlante du populisme où, vieille rengaine mais toujours actuelle, les savoirs savants, celui des « travailleurs de la preuve » selon l’expression de Bachelard, historiens compris, se trouvent dénigrés, moqués par un autodidacte de la psychobiographie qui prétend invalider le travail des historiens par ses inspirations dionysiaques.
Car Gérard Miller protège Onfray. Il le soutient comme il l’a toujours fait. On peut chercher : on ne trouvera aucune trace de la moindre critique à son encontre.
Curieuse attitude, bizarre, autant qu’étrange….
Position très différente de celle du grand frère qui s’est confronté à Onfray : dans un face à face organisé par Philosophie Magazine[4] et par un communiqué[5]. On peut se souvenir de ce face à face où, dans un curieux et bien maladroit réquisitoire, Jacques Alain Miller lui reproche à Onfray de faire une « histoire d’antiquaire », à partir d’une traduction fautive, et de ne pas avoir lu Freud à partir de Lacan, puisque c’est, à l’en croire, la seule et bonne façon de le comprendre.
Mais pourquoi donc une si étrange position? Lisons « Antipathie », p. 120….
Je rassure mon éditeur, mon ami Jean Paul.
Jean Paul Enthoven est l’éditeur de Gérard Miller, chez Grasset. Il est inquiet, il vient aux nouvelles raconte Gérard Miller : « Dans ce livre que je suis en train d’écrire, vais-je dire du mal de Michel Onfray ? Onfray est un auteur de Grasset, ce ne serait pas courtois. Je rassure mon ami Jean-Paul ».
Quelle courtoisie, quelle élégance, quel sens de l’amitié !
Le problème est que ces déclarations reposent sur une petite erreur factuelle : Michel Onfray, n’est pas et ne peut pas être un auteur de Grasset au moment où Gérard Miller situe ces propos puisqu’ Onfray a quitté Grasset en…2011, trois ans plus tôt.
B.H.L., autre auteur de Grasset, - et même plus que ça -, avait descendu en flammes le brulôt d’ Onfray contre Freud dans le Point. Et Onfray a été mécontent du soutien insuffisant de son éditeur au point ( !) … de le quitter.
Comment Jean Paul Enthoven peut-il se soucier de ce qu’un de ses auteurs peut écrire sur un autre auteur qui n’est plus « son » auteur depuis trois ans, mais qui selon Gérard Miller l’est toujours ?
Pourquoi s’en soucie-t-il ?
Pourquoi lui adresser le regard que Chimène réserve à Rodrigue ?
[1] Oct. 2014, Grasset.
[2] Ecrit curieusement au singulier sur son site : http://www.gerardmiller.fr/index.php/category/biographie-express/
[3] p. 121.