michel.rotfus (avatar)

michel.rotfus

écrivain

Abonné·e de Mediapart

74 Billets

0 Édition

Billet de blog 20 mai 2013

michel.rotfus (avatar)

michel.rotfus

écrivain

Abonné·e de Mediapart

Jacques Alain Miller et sa femme Judith, objets d’études des universitaires anglais, spécialistes des « cultural studies ».

michel.rotfus (avatar)

michel.rotfus

écrivain

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La très prisée revue Critical Legal Thinking – Law & the Political, publie un texte daté du 6 mai dernier de Hager Weslati, , jeune chercheuse à la Kingston University de Londres.

Elle est spécialiste des cultural studies, de Kojève, de Lacan et de la french theory[1]

Elle critique très sévèrement le recours de la famille Miller à une judiciarisation des débats intellectuels. 

Elle rappelle qu’en septembre 2011, le 30 ème anniversaire de la mort de Lacan fut l’objet d’une querelle intellectuelle qui , au lieu de prendre la forme traditionnelle d’un débat public, aussi vif qu’il eût pu être, a pris celle  d’un procès intenté par Judith Miller, l’une des trois filles de Jacques Lacan,  à l’historienne de la psychanalyse et biographe de Lacan, Elisabeth Roudinesco[2].

Lacan aurait-il souhaité ou non des funérailles catholiques ? Hager Weslati souligne à juste titre que « (…) Dans le contexte des lois mémorielles françaises, le procès Miller-Roudinesco met en évidence la zone d’ombre du pouvoir politique qui intervient pour mettre en œuvre une « interprétation juridique » de la mémoire, même si celle-ci va à l’encontre de la recherche scientifique, sachant que la biographe a consacré trois volumes à l’histoire de la psychanalyse en France (repris en livre de poche en 2009[3]). Ce procès révèle donc que le juridique peut venir limiter le propos académique en vertu de et pour des raisons personnelles et non scientifiques ». Elle rappelle que la phénoménologie de l’histoire d’Alexandre Kojève montre que la sphère juridique est par essence autonome de celles du politique et du religieux, et que le chemin pris n’est pas celui de la fin du droit mais bien celui de sa totale hégémonie.

Qu’en est-il du snob kojévien, ce monde d’existence humain quand l’humanité est entrée dans le moment post-historique ? La bataille dans laquelle entrent les époux Miller n’a plus rien à voir avec la justice aristocratique qui se règle par le duel, par l’affrontement et la  reconnaissance des consciences qui se confrontent au risque de la mort, mettant en jeu leur vie « naturelle » quelles que soient les gesticulations rhétoriques invoquées. Dans son blog tenu sur La règle du jeu, Jacques Alain Miller n’a de cesse depuis des années de provoquer compulsivement Alain Badiou en duel, lequel le repousse d’un geste de la main, comme une mouche agaçante.  Mais elle a à voir avec  « la justice bourgeoise et servile d’une équité qui se solde dans les prétoires à une condamnation à un euro symbolique ».

Autrement dit, les époux millériens sont, en regard de la théorie kojévienne, de pseudo snobs post modernes. Des même pas encore snobs.

Cette captation de la sphère intellectuelle par le juridique hégémonique dans laquelle s’inscrivent les procès millériens « (…) heurte gravement la portée de l’enseignement et de la pensée lacaniennes. Et c'est d’autant plus inconcevable que le rapport avec ses trois filles est inscrit dans son œuvre théorique ».

Mieux qu’une transcription, je ferai ici une citation : « Dans le contexte de l’enseignement de Lacan, les différentes parties (dans ce procès. C’est moi MR qui précise) ne sont pas à strictement parler des entités légales mais des signifiants pris dans un processus de  production du savoir entre l’exécuteur (S1) et l’éditeur (S2). Ce processus est supporté par les dénominateurs suivants : la fille ($) et la biographe (a). Dans sa forme originelle et à chaque rotation de cette relation bipolaire, Lacan déduit les discours du Maître, de l’Université, de l’Hystérique et de l’Analyste. Les quatre discours sont étrangement rassemblés à la veille du 30ème anniversaire de sa mort ».

« Le thème des trois illusions du discours en relation avec le père mort est ici intéressant pour comprendre ce qui se joue.

L’intervention et la situation de Sibylle Lacan fut largement rapportée par la presse. Et elle ne peut pas ne pas être lue à la lumière de la lecture que Lacan fit du thème freudien des trois cercueils  ou l’imaginaire, le symbolique et le réel s’unissent dans la figure du père mort.  En ce sens, Lacan définit trois discours, ou trois figures du néant, une illusion de la haine à la jonction du réel et de l’imaginaire, une illusion de l’ignorance à la jonction du symbolique et du réel, une illusion de l’amour à la jonction du symbolique et de l’imaginaire.

Les trois illusions seraient adressées à l’être du père mort comme une exigence haineuse pour le symbolique (Sybille), une hagiographie tendre pour le réel (Judith), et une relation ignorante à l’imaginaire (Laurence). D’ailleurs, la centralité de ce thème est révélée dans les différents récits autobiographiques des trois filles de Lacan et qui explique la position de Roudinesco dans le drame de la famille Lacan ».

(…)

Conclusion : Jacques-Alain Miller et le Seuil n’étaient pas les vraies parties du procès : les vraies, ce sont les trois filles de Lacan et leur père ».

Dans une sorte de hiatus spatio-temporel, l’article évoque la soirée dédiée à Lacan à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, organisée par Catherine Clément. 

« Alain Badiou lit « la chose freudienne ». Roudinesco et Olivier Bétourné lisent un texte sur Antigone.

Jacques-Alain Miller allait-il venir ?

A la manière de l’Igitur de Mallarmé, sur le coup de minuit, Miller fait son entrée théâtrale.

« A partir d’aujourd’hui, il y a désormais deux Lacan qui se regardent en chiens de faïence» hurle Miller à une foule assommée. « Le Lacan que l’on étudie pour son héritage, et un second Lacan qui est vivant et auquel j’ai consacré la majeure partie de ma vie ». « J’ai maintenant décidé de défendre mon nom ! » Puis il a lu un passage du Séminaire D’un autre à l’autre, sur la signification politique de la résignation ».

N’en déplaise à Hager Weslati de ce petit désaccord, le vrai sens du procès des Miller contre Elisabeth Roudinesco est bien là : dans une guerre à mort pour la reconnaissance de sa légitimité, non pas juridique, celle-ci est inscrite dans les faits-, mais intellectuelles, celle qu’aucun procès ne peut gagner. Il a beau clamer et proclamer l’opposition entre les deux Lacan, celui qu’on «étudie , celui des historiens, il faudrait dire plus justement, de l’historienne, et celui « vivant » auquel il a consacré la majeure partie de sa vie.

Ici aussi, les faits sont là qui parlent. Il peut vouloir défendre son nom : il y a de quoi, il n’a plus de crédit.


[1] Dans le monde anglo-saxon et aux Etats Unis en particulier, ce terme de French Theory (théorie française) désigne un corpus de théories philosophiques, littéraires et sociales, apparu dans les universités françaises à partir des années 1960 et dans les universités américaines à partir des années 1970. Elle a contribué à l’apparition des cultural studies, gender studies et études postcoloniales.

Elle réunit dans un même ensemble théorique, d’une façon quelque peu artificielle et assez contestable (voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Cusset),des auteurs comme Michel Foucault, Jacques Derrida, Gilles deleuze, Jean Baudrillard, Jacques Lacan, Felix Guattari, Jean-François Lyotard, Louis Althusser, Julia Kriteva, Hélène Cixous, Claude Lévi-Strauss, Simone de Beauvoir, Luce Irigaray, Monique Wittig, Jacques Rancière.

Les auteurs américains rattachés à la French Theory sont : Judith Butler, Gayatri Spivak, Stanley Fish, Edward Said, Richard Rorty, Frederic Jameson, Avitall Ronell.

Ils présentent entre eux des points de similitude dans des démarches critiques semblables : critique du sujet, de la représentation et de la continuité historique ; relecture de Freud, de Nietzsche et d’Heidegger ; critique de la « critique » elle-même, c’est à dire de la tradition philosophique allemande.

[2]J’ai rendu compte de ce procès dans un billet de mon blog  du 17 novembre 2011 : 

http://blogs.mediapart.fr/blog/michelrotfus/171111/judith-miller-et-sa-soeur-oubliee-sibylle-lacan-un-proces-contre-elisa

[3] La pochothèque, 2009.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.