Tandis que les dissensions européennes sur l’accueil des réfugiés se poursuivent, un « débat » vient de commencer à l’occasion de l’initiative de la municipalité de la ville de Dachau qui vient de décider de loger 350 réfugiés dans des bâtiments de l'ancien camp de concentration. Selon les différents medias qui rapportent ces faits, ces bâtiments se trouvent dans l’ancien potager où des Juifs concentrationnaires cultivaient des plantes, médicinales ou comestibles, pour la population allemande, la Wehrmacht, la SS et la Gestapo du lieu.
Gabriele Hammermann, la directrice du mémorial du camp de concentration de Dachau, estime qu’ "héberger les réfugiés dans un endroit qui symbolise la torture et la mort" n'est pas très "accueillant". Comme le souligne Slate sur son site[1], en rapportant ces faits, tout le monde n'est pas d'accord avec cet argument. Florian Hartmann, le maire de la ville, soucieux d’une saine gestion des deniers publics, défend l'occupation de l'ancien «herb garden» et ses habitations destinées à des personnes qui ne peuvent pas avoir «des appartements aux tarifs du marché». Selon lui, cette solution donne «un but social utile» à cet espace.
Cet espace ?
Faut-il rappeler qu’à dix kilomètres au nord-ouest de Munich, le régime nazi a créé, dès son instauration, le camp de concentration de Dachau. Himler annonça son ouverture le 21 mars 1933 et les premiers prisonniers y furent amenés dès le lendemain. Le camp fonctionna jusqu’à sa libération par l’armée américaine en avril 1945. D’abord lieu d’internement des opposants politiques, ce furent très vite les Juifs de Bavière, des prisonniers de guerre soviétiques, des chrétiens par milliers, des homosexuels, des Tsiganes qui y connurent la famine, les travaux forcés, la maladie, les épidémies, les sévices, la torture et la mort, par dizaines de milliers. Le docteur Sigmund Rascher s’y livra à des expérimentations médicales sur les prisonniers, cobayes humains, notamment pour tester leur résistance à la maladie. Le camp reçu plus de 200 000 concentrationnaires venus de plus de 30 pays. Une partie de ceux qui survécurent aux transports furent redirigés vers d’autres camps pour y être gazés.
Ce matin sur France-Culture, dans le journal de 7h30, le commentateur qui a relayé l’information sur cette solution bavaroise du logement des réfugiés, rajouta en commentaire que c’est là peut-être une façon de racheter le passé.
Mais quel rachat peut racheter l’entreprise exterminatrice de l’Allemagne nazie ? Est-il possible aujourd’hui de réactiver cette croyance chrétienne dans le rachat des fautes, quand ces fautes sont des crimes de masse, mis en œuvre par un Etat au nom de ses ambitions de domination du monde fondées sur l'Extermination des Untermenschen, des sous-hommes ? Aujourd’hui, certains allemands le pensent :
« Certains Allemands pensent que le souvenir de la Shoah joue un rôle dans la place qu'occupe leur pays dans l'accueil des réfugiés. Peter Himmelsbach, un jeune commerçant allemand de 28 ans qui visite Dachau pour la toute première fois, explique:
«Ce [la Shoah] n'était pas notre faute, mais nos grands-parents y ont pris part. Dans un certain sens, la crise des réfugiés, c'est une chance de racheter cela. Mais, d'un autre côté, les gens attendent trop de nous à cause de notre passé.»[1]
Les générations présentes, enfants, petits enfants, arrières petits enfants ne portent pas la responsabilité de ce qui fut commis par l’Allemagne nazie exterminatrice, mais ils en sont les héritiers et ont la responsabilité de ce qu’ils font de cet héritage. Quelle transmission entre les générations, quel travail et quel effort sont-ils faits pour que l’on regarde en face ce passé sans espérer un possiblerachat ? Quels obstacles, quels refoulements font qu’aujourd’hui encore, on puisse ne pas vouloir vouer les témoignages muets de ces bâtiments à une meilleure utilité sociale ?
Ne faut-il pas continuer à apprendre et à comprendre qu’aujourd’hui encore, il y a de l’imprescriptible, que l’on soit journaliste à France-Culture ou commerçant bavarois ?
Et à penser que l’accueil des réfugiés n’est pas un moyen pratique et utile, pour servir de caution qui rachèterait le passé ? Ni non plus un moyen d’y trouver son compte par un gain de main-d’œuvre et d’inversion de la courbe démographique.
La dignité de l’Allemagne d’aujourd’hui, comme celle de la France et de tous les pays qui constituent l’Europe et ont à la construire, tient dans une politique de l’hospitalité, fondé sur les principes constitutifs de l’Union européenne (liberté, démocratie, respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, état de droit) qui ne sont plus, - ou ne devraient plus être-, un simple cadre formel mais l’objet d’une dynamique constituante, d’un processus de constitutionnalisation qui manque encore cruellement.
Ce qui nécessite de combattre ses vieux et nouveaux démons qui réapparaissent dans ce désir de reconvertir en de très acceptables HLM bavarois ces anciens bâtiments qui, quatre vingt ans plus tôt, appartenaient à l’entreprise exterminatrice nazie. Il faut continuer de regarder son passé en face au lieu de le déguiser sous les oripeaux d’un ersatz d’humanisme post-moderne et pragmatique.
[1] http://www.slate.fr/story/107099/refugies-dachau-camp-concentration