«I am angry again, Mr Jacques-Alain Miller », « Je suis de nouveau en colère », pourrait écrire à nouveau[1] Gohar Homayounpour, psychanalyste à Téhéran.
Il y a une étonnante logique des choses, persistante, insistante : j’étais, il y a quelques jours, à la 3ème journée de la Fondation Jenny Aubry consacrée à « l’enfance séparée », à ces enfants « frappés d’une indicible peur »[2]devant l’étrangeté du monde, enfermés dans le silence et le néant. Le dernier Lacan Quotidien[3], nous livre une nouvelle et dernière manifestation (la dernière vraiment ?) de ce rejet de l’autre dont Miller et les siens sont coutumiers. Autant on ne peut être qu’ébranlé, ému jusqu’au plus profond par cette enfance en détresse psychique, autant ce qu’écrivent, taisent ou publient ces hommes mûrs confrontés à l’abîme de la vieillesse et de la mort, provoque répulsion et dégoût.
Le dernier avatar de cette négation de l’autre, de son ignorance et de son mépris, se trouve dans Lacan Quotidien n°313 sous la forme de deux textes publiés par les soins de Miller & Cie selon la pratique que j’ai déjà relevée dans un billet précédent : publier tel quel le document brut, qui, à l’évidence, ne peut être lu et compris que dans le sens de MA-vérité-qui-est-LA-vérité.
Nous voilà donc dans un énième épisode du feuilleton millérien, comme il y eut, dans les gazettes de la fin du XIX ème siècle les feuilletons de Dumas père, de Dickens, ou de Balzac. À la différence que n’est pas feuilletoniste qui veut. Cette fois, Miller ne titre plus triomphalement « Lettre de Téhéran », ou « On nous écrit de Téhéran » comme il l’a fait dans La règle du jeu où il tient son blog. Les documents sont en bas de page, en fin du n°, comme à la sauvette. Et pourtant, on lui écrit de Téhéran, et doublement.
Pourquoi cette fois, un profil si bas ?
Le premier document est une lettre de deux membres du Board of Directors of Freudian Association in Iran dont Gohar Homayounpour fait les frais. La Freudian Association in Iran est le groupe de psychanalystes créé par Mitra Kadivar et qui se réclame de l'Association Mondiale de Psychanalyse (AMP) fondée par Miller en 1992. Je ne dirai pas ici qui est Mitra Kadivar ni comment elle est arrivée sous les feux des projecteurs. Je me permets de renvoyer mes lecteurs aux épisodes précédents.
L’objet de cette lettre, aussi bien dans le propos que dans le ton, est de « dénoncer » Gohar Homayounpour : elle est une imposteur qui se prétend formée par l’IPA[4]. Elle l’aurait prétendu lors d’une conférence prononcée au Freud Muséum de Londres dont Frank Rollier a rendu compte à sa façon, pas très catholique, dans le n°305 de Lacan Quotidien[5]. Les deux auteurs de cette lettre rapportent par le menu et de façon tatillonne, les recherches pointilleuses qu’ils ont effectuées auprès de l’IPA et la réponse négative qu’ils obtenue à chaque fois : il n’ y a pas de trace du nom de Gohar Homayounpour dans les registres ni dans les archives de l’IPA.
Là, on rêve, on est en pleine divagation surréaliste : des millériens s’en prennent à une psychanalyste pas du tout millérienne pour la dénoncer comme quelqu’un n’appartenant pas à l’IPA ! Il est vrai qu’en matière de police, Mitra Kadivar sait y faire ! C’est elle même qui raconte dans sa correspondance à Miller, (que celui-ci a aimablement publié ) comment, amenée dans un commissariat de police après la plainte de ses voisins pour trouble à l’ordre public, elle a téléphoné au Ministère de l’Intelligence (le ministère de l’Intérieur pas du tout orwellien[6] mais iranien) pour que les policiers la laissent en paix. « … le 20 décembre 2012 je vous écris qu’il n’y a rien de grave et que je vous dis que pour me libérer du commissariat j’ai du appeler le ministère de l’Intelligence… »[7]. Un peu plus loin dans sa lettre, non contente d’avoir donné ces signes d’inféodation au Ministère de l’Intelligence, elle dénonce à la police de l’Intelligence, le docteur Foad Sabéran,-qui a apporté son témoignage dans « l’affaire Mitra Kadivar »-, comme un opposant au régime des ayatollahs. Et elle le dénonce comme si s’opposer à ce régime était infamant et déshonorant « … nos recherches à son sujet dans Internet nous a régulièrement conduit à des sites filtrés par les autorités, ce qui indique que c’est lui qui a probablement quelques problèmes avec les autorités iraniennes ».
Chez Mitra Kadivar et ses amis, ça dénonce à tour de bras !
À l’évidence, celle-ci persiste à se croire « la seule psychanalyste de la mer Noire à la mer de Chine » et tente de délégitimer celle qui pourrait lui faire de l’ombre.
Il n’en est rien répond Gohar dans la lettre au ton digne et ferme qu’elle adresse à Lacan Quotidien : elle n’a jamais dit une telle chose. Elle n’a jamais prétendu avoir été formée par l’IPA. La conférence a été filmée et l’archive peut en témoigner.
Ce qu’elle a expliqué à cette conférence, c’est qu’elle a été formée à la Boston Graduate School of Psychoanalysis, et que c’est l’une des rares institutions au monde où, en plus d’une formation analytique, on peut aussi accéder à un doctorat en psychanalyse. Ce qu’elle a fait d’ailleurs. Brillante et modeste Gohar. Elle ajoute « …Hence they are trying to prove something that was never said, is this not a representation of a psychotic discourse? » « De là, ils ( ils, c’est à dire les kadivariens qui disent qu’elle a dit qu’elle avait été formée par l’IPA. ndlr) essaient de prouver quelque chose qui n’a jamais été dit. N’est-ce pas là une représentation d’un discours psychotique ? ».
Je ne le lui fais pas dire et elle ne l’envoie pas dire !
Elle réclame à Lacan Quotidien de ne pas publier n’importe quoi sans en avoir vérifié la validité et attend de lui un minimum de respect, le même respect que celui qu’elle lui porte.
Et pour toute réponse, la rédaction de Lacan quotidien écrit :
----- Note de la rédaction -----
Nous considérons qu'avec la publication de ces deux lettres, le chapitre ouvert par le compte-rendu de Franck Rollier est clos en ce qui concerne Lacan Quotidien.
Fermez le ban ! circulez ! Il n’y a rien à voir, rien à dire !
Souci de l’autre je vous dis. De l’autre, de l’autre de l’Autre, du grand Autre et du petit autre.
Quand je pense que derrière la voix, et la voix écrite, il y a le regard, il y a le visage. Ça doit être terrible d’être sous le regard de ces gens-là ! Ou dans l’écoute de ces gens-là. Je tremble en pensant à ceux qui, en toute bonne foi, vont s’allonger sur leur divan. N’oublions pas que l’anagramme de Salvador Dali, par lequel André Breton le surnommait, était Avida dollars . Dali s’en vantait avec gourmandise, “L'Amérique m'a accueilli comme l'enfant prodige et m'a couvert de dollars... L'or m'illumine et les banquiers sont les suprêmes prêtres de la religion dalínienne.” Tout cela est bien sûr sans aucun rapport. Comprenne qui pourra…
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Semblable à Caton l’ancien qui terminait tous ses discours au Sénat romain, quel qu’en soit l’objet, par son obsessionnel « Ceterum autem censeo Carthaginem delendam esse » (« Mais moi je pense que Garthage doit être détruite »), quitte à me répéter, je suis encore et toujours stupéfait par la manie des procès auxquels s’adonnent Miller et les siens. Quand on sait que cette manie est propre aux sectes, à l’extrême-droite, et aux négationnistes, il y a de quoi se demander pourquoi ces psychanalystes se livrent à cette fureur procédurière en cherchant à les imiter.
[1]voir mon billet du 14 avril : http://blogs.mediapart.fr/blog/michelrotfus/140413/i-am-angry-mr-jacques-alain-miller-qui-berne-tout-le-monde
[2]Henri Rey Flaud Les enfants de l'indicible peur. Nouveau regard sur l'autisme. Aubier , Paris. Collection La Psychanalyse prise au mot
[3] Lacan Quotidien, n° 313. Jeudi 18 avril 2013.
[4] L’IPA (International Psychoanalytical Association) a été fondée par Sándor Ferenczi et Sigmund Freud lors du congrès de Nuremberg en 1910. Légitimiste, l’IPA admet pourtant dans ses rangs tous les courants qui se réclament de Freud. Elle a été créée pour préserver la psychanalyse des dérives en veillant à maintenir une orthodoxie des règles de la cure psychanalytique .
On lira avec intérêt l’article très informé, relatif à l’IPA, dans le Dictionnaire de psychanalyse. (Fayard), Elisabeth Roudinesco, Michel Plon, p. 519 à 522.
[5] Voir mon billet du 14 avril dernier : http://blogs.mediapart.fr/blog/michelrotfus/140413/i-am-angry-mr-jacques-alain-miller-qui-berne-tout-le-monde
[6] Appeler, ministère de l’Intelligence le ministère de la police sous le régime actuel des ayatollahs, qui aurait osé l’imaginer ? La réalité est extraordinaire dans sa façon de rejoindre la fiction littéraire. Laquelle, quand il s’agit d’Orwell, tansposait le monde nazi et stalinien dans le monde effrayant de 1984.
[7] voir mon billet du 6 avril : http://blogs.mediapart.fr/blog/michelrotfus/060413/mitra-kadivar-dement-jacques-alain-miller