Jean Lacouture, biographe et grand reporter lors d’un entretien : « Je suis un bouchon sur l’eau et j’essaie d’être un bouchon flottant le plus gaiement possible, en indiquant parfois d’où vient la tempête… »
Plus loin : « Notre infirmité, c’est vrai, c’est d’avoir à nous prononcer dans l’immédiat… »
Il est loin le temps où Serge July traitait de « c.. » les lecteurs de « Libération » qui avaient dit non au référendum français sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe, allant à l’encontre de ses encouragements à l’accepter.
Il y a quelques jours, Nicolas Demorand livrait une chronique intitulée « Riche rentrée à Libé » où il exprimait toute la fierté qu’il ressentait devant les résultats des ventes, depuis le début de cette année, du journal papier. C’était légitime et heureux pour cette presse qui ne faisait, depuis des lustres, que perdre des lecteurs.
Il s’enthousiasmait sur la performance du journal numérique et annonçait la réalisation pour bientôt de projets permettant l’accès de « Libé » sur tous les nouveaux supports : « Une nouvelle application iPhone, permettant l’envoi d’alertes, est prévue courant octobre. Et, pour renforcer encore l’offre smartphones, des applications Nokia, Windows mobile et Blackberry vont également voir le jour. »
Je suis sincèrement heureux que l’audience de ce journal de gauche et ses appendices électroniques se redresse pour l’équipe qui l’anime et pour ses lecteurs.
Je mettrai un bémol à cet enthousiasme en rappelant que le précurseur de l’abonnement payant à un journal numérique (Médiapart) est celui qui, depuis trois ans, est à l’origine d’enquêtes qui ont révélé des rapprochements et arrangements douteux de la classe politique avec l’oligarchie que la grande presse (y compris « Libé ») a mis des semaines à relayer ; qu’il a réhabilité l’investigation et mis au jour des affaires, (exemple : le n° d’hier) qui ébranlent le pouvoir. Ce n’est pas le moindre de ses mérites. En apportant la preuve que l’indépendance du journaliste est une des indispensables médecines pour assurer la santé de la Démocratie, il est en train de réhabiliter ce métier et de provoquer par un phénomène d’entraînement à un retour à une « information libre et sans tabou ».
Il est cependant regrettable de constater que quelques journaux papier, des radios et TV appartenant à de grands industriels continuent de distribuer une information de connivence. Offrir 24 minutes du 20 h de TF 1 à un homme, fût-il le plus éminent, pour lui permettre de se réhabiliter aux yeux des Français d’un acte abominable en est l’illustration. Et peut-on qualifier de journaliste celle qui l’interrogeait ? Tout au plus uns speakerine qui récitait sa leçon maintes fois répétée. Et il y a eu treize millions de téléspectateurs pour regarder une telle mascarade !
Pour un quotidien qui entreprend une refonte de sa rédaction, de ses supports de diffusion et rencontre dans le même temps l’agrément de lecteursplus nombreux, combien ont des difficultés qui les obligent, pour survivre, à se jeter dans les bras d’une banque ou d’un financier qui n’auront de cesse d’obtenir un retour rapide sur investissement et une servilité à leurs intérêts de classe. Il est urgent de doter le journaliste d’un statut qui le mettra à l’abri des intrusions du capital et de limiter le nombre de médias pouvant appartenir à un seul propriétaire. C’est à ce prix que l’information sera « libre et non faussée ».