Cet article divulguâchera dans la joie et la bonne humeur, que les deux ou trois personnes qui le lirons et qui n’auraient pas encore vu ces films s’estiment prévenues.
Au milieu des presque six heures (en deux volets) de baston intergalactique qui constituent le cahier des charges standard des blockbusters à collants colorés, une large part est dédiée aux motivations éthiques du supervilain, le dénommé Thanos (original, non ?). Chargé de ce patronyme douteux, affecté d’une ossature lourde, d’une tronche patibulaire, d’une descendance rebelle et d’une handicapante immortalité, le pauvre s’est persuadé d’avoir une mission régulatrice dans l’univers, un peu comme la banque centrale européenne avec l’inflation. Il mettra tout en œuvre pour diviser le vivant de moitié sur chaque planète d’un claquement de doigt, suivant un principe à la justice d’airain, le hasard complet. Ou presque complet puisqu’il ne s’inclut pas lui-même dans la loterie, le vil, ce qui lui donne un petit côté autocrate totalitaire bien de chez nous (mais sans moustache).

L’aspect malthusien de la démarche est transparent, et l’on trouve donc un peu partout sur le net des commentaires explicitant ce parallèle, comme dans cette vidéo où un monsieur qui parle du nez a le mérite de le faire en français. Au-delà, pour se (re)mettre à jour sur la vieille pensée malthusienne, on fera avec profit un détour par le premier épisode de la série Le péril démographique parue sur France Culture le 9 avril 2018, quelques semaines avant la sortie d’Infinity Wars (2018) le premier de nos deux volets.
Celui-ci se termine mal, par la réalisation du plan simplet mais efficace de Thanos. Pendant tout le film, le stock de super-héros disponibles pour s’y opposer, mal coordonnés, affaiblis par leurs querelles politiques et leurs affects trop humains pour être super, se fait rouler dessus. Outre la dysmétrie entre l’efficacité panzerienne du régulateur assassin et l’inefficience de la bande brouillonne des gentils individualistes en mal de coordination -parfois les Avengers on dirait la gauche française- c’est aussi au niveau du temps laissé aux protagonistes pour s’opposer leurs arguments que Thanos gagne haut la main la première manche. C’est simple, si le CSA passe par là, la campagne Infinity Wars est annulée : Le vilain à tout le temps de déblatérer sur son programme quand le camp d’en face semble condamné à l’action, voire à la réaction, sans ligne directrice ; question équilibre du temps de parole le résultat vaut un squatage présidentiel de faux débat face aux revendications d’une bande hétéroclite en costume jaune.
C’est ce partit pris qui avait suscité l’ire du l’agence de propagande néolibérale Foundation for Economic Education, laquelle c’était fendue d’une vidéo opposant a Malthus-Thanos un prêche tout droit sorti des saintes écritures de Milton Friedman. En résumé : attention les enfants, ne croyez pas ce que dit le méchant monsieur violet, la croissance infinie dans un monde fini, c’est possible, ça ne dépend que de vous, les super-héros de la libre entreprise libre-échangiste et concurrentielle, amen. 10 minutes de joie simple comme un cerveau bien lavé, à découvrir ici.
Avoir de tels opposants, ça donnerai presque envie de voter Thanos, mais cette vidéo présente néanmoins deux intérêts : le premier c’est qu’elle considère cet Avengers comme baromètre de l’influence de l’idée malthusienne, ce qui, considérant la diffusion des produits Marvel, et ces deux films conclusif en particulier, n’est pas totalement incongru. On découvre au passage le succès du meme Thanos did nothing wrong. Certes la phrase provoc calquée sur une première version hitlérienne ne dit rien de l’adhésion publique à la thèse de la surpopulation mondiale comme cause première de nos maux, mais dénote une présence de l’idée qui dépasse le simple support du film.
Le second intérêt est dans la démonstration : le malaise des néolibéraux n’est pas simplement l’idée malthusienne, effectivement critiquable, mais celle de limites physiques à la croissance économique, limites dont le dépassement systémique nous envoie directement vers une série d’effondrements menaçant la viabilité terrestre. Le choix des scénaristes d’en faire la motivation unique de Thanos (ce qui n’est pas une simple traduction narrative du comic) s’inscrit clairement dans le contexte de la catastrophe environnementale mondiale et de l’absence patente de solution politique au sein des institutions existantes.
On comprend aussi qu’utiliser des milliards de budget et le soft power hollywoodien pour faire perdre à la fois Captain America (l’optimisme de la nation dans l’adversité) et Iron Man (le capitalisme patho-adolescent en voie d’autorégulation), tout en faisant disparaître en fumée Black Panther (le dépassement du racisme structurel américain) n’est pas une proposition acceptable. C’est donc au second volet, sortit il y a peu, de rattraper le coup en sifflant la fin de la partie.
Mon analyse de celui-ci recoupe en grande partie celle de Matthew Rozsa (en anglais) ici.
Endgame s’ouvre du côté des victimes, endeuillés par la perte de leur proches et en pleine perte de sens après l’impensable disparition. Réalisé, le projet de Thanos perd son possible attrait conceptuel et c’est l’émotion qui le concrétise aux spectateurs. Le renversement est donc assez net, et il va falloir que la sur-humanité se retrousse les manches, comme tout le monde.
La première tentative de rétablissement de l’état passé entérine pourtant la supériorité morale de Thanos et la dimension écologique de son action. Replié sur une planète rurale et édénique, logiquement dénommée « le jardin », celui-ci vit la vie simple chère à Henry David Thoreau, le père de la désobéissance civile. Avant de s’atteler à sa culture de courges extra-terrestres il a prit soin de détruire la source de son pouvoir, démontrant ainsi la pureté idéologique de ses motivations, et laissant l’opportunité au moins subtil des Avengers de le décapiter.
Incapable de revenir sur le cours des choses, il reste à nos héros l’unique option de vivre avec cet effondrement démographique des plus brutal (mais qui reste d’un certain optimisme au regard des scénarios les plus apocalyptiques liés au dérèglement climatique). C’est la partie collapsosophique du film, qui voit différents super-héros fortement humanisés confrontés à différentes étapes du deuil. Colère vengeresse pour Hawkeye / Clint Barton, resserrement autour du noyau familial nouvellement constitué pour Tony Stark/Iron Man, déni éthylique pour le bedonnant Thor ou encore groupe de parole et méthode Coué pour ce bon patriote de Captain America : même vaincue l’Amérique ne se laisse pas abattre, mais la posture tient tant du réflexe que l’envie prend l’entourage, en l’occurrence Natasha Romanoff / Black Widow, de lui balancer un sandwich de beurre de cacahuète au visage. A noter que des plans évoquant le rapport des Etat-Unis à la nourriture rapide parsème étrangement Endgame.
La scène est surtout l’occasion de glisser que la demi-extinction de l’humanité n’est pas sans avantages écologiques, avec un retour des baleines dans une zone désertée par le trafic maritime…
Comme l’indique le texte de Matthew Rozsa l’arc narratif d’Iron Man/Tony Stark (au fil de plusieurs films précédents ces deux derniers) est déterminant. L’auto-défini « génie milliardaire playboy et philantrope » en combi hi-tech est d’abord l’archétype du capitalisme scientiste patho-adolescent : une société à responsabilité très très limitée à lui tout seul. D’autant plus que le créneau des super-héros est la situation de crise ; la correspondance avec le capitalisme de la catastrophe, l’hypocrisie philanthropique et la stratégie du choc façon Naomi Klein était ainsi en toile de fond d’un épisode précédent décisif, Captain America Civil War. Dans celui-ci un Stark confronté aux conséquences de ses actes était en phase de responsabilisation et appelait de ses vœux une régulation (pseudo-)démocratique de la puissance des Avengers (Zuckerberg sort de ce corps). Las, le politique étant politicien, et incapable de suivre le rythme de l’action en déjouant les manipulations, cette tutelle s’avérait plus désastreuse que positive. L’échec des Avengers dans Infinity Wars est beaucoup celui de Stark : il a précédemment échoué à convaincre que ces options politiques étaient les bonnes, la relation paternaliste qu’il entretient avec le super ado prolétaire Spider-Man, qui figurait un improbable dépassement de la lutte des classes, est détruite avec la mort de ce dernier (« j’ai perdu le gamin » est l’une de ses premières phrases à son retour exsangue sur terre). Enfin la technoscience et le complexe militaro-industriel qui fondent la puissance en forme de combinaison d’Iron Man se sont avérés des alliés faillibles.
Son abandon du super-héroïsme s’avère pourtant le moyen d’une réalisation personnelle : 5 ans après la catastrophe, la famille Stark enfin constituée à fait son retour à la nature autour d’un potager. Si le fait de se « mettre au vert » est un motif standard de reconstruction de soi, il prend dans ce scénario des allures de concession au constat de l’ennemi éco-terroriste (à défaut d’en valider la méthode).
Et s’il ne renonce finalement pas à son IA personnelle, symbole de la hi-tech civile, l’ex-homme de fer déclare y songer. A ce stade du récit ce sont de bonnes vieilles valeurs familiales américaines qui sont proposées comme terreau de la refondation écologique du capitalisme, en concédant une grosse perte de puissance, avec l’abandon des objectifs trans-humanistes (combinaison au garage) et une autorégulation démographique (enfant unique). Sans développer sur le féminisme de circonstance façon Marvel (vous voulez des femmes puissantes, voici des femmes en costume) il est intéressant de constater que le personnage de Pepper Potts, secrétaire de direction devenue PDG de Stark industries présente dans cette séquence quelques traits écoféministes : sa puissance se déploie ici par inversion du stigmate plutôt que par assimilation des caractéristiques super-héroïques. C’est par le dialogue de Potts avec son mari, qui vient lui demander quelle direction prendre et l’autorisation morale d’agir, que la situation des Avengers se débloque et qu’un espoir de retour à la normale se fait jour.
La suite sauve donc la mise au scientisme puisque c’est Stark qui rendra effective la possibilité d’un retour dans le temps et donc un dernier affrontement décisif pour permettre le retour sur massacre. Le voyage dans le temps permet de placer de nombreux clins d’œils à la pléthore de films (22) auxquels Infinity Wars et Endgame viennent apporter une conclusion en forme de relance. Conclure mais pas finir, comme l’indique justement Nora Bouazzouni dans Slate. C’est surtout le moyen d’une introspection par retour aux racines pour Stark, Rogers et Thor. Le premier rencontre son père et dépasse enfin l’adolescence perpétuelle, ce qui fait de lui un capitaliste responsable (rires enregistrés).
Le seul moyen de gagner la course contre le temps est donc encore le génie technologique de Stark, ce qui peut raisonner comme un plaidoyer pour la géo-ingénierie : le retour d’une capacité d’action sur la catastrophe inéluctable passe par la maîtrise physique du monde fût elle partielle et aventureuse.
Le final fait de Thanos un dogmatique capricieux plus universalocidaire que régulateur, le bon droit est du côté des gentils, fini la légère tension ethique qui avait couru jusque là, tout le monde est à sa place. La victoire des Avengers signe donc le retour à la norme, celle du happy-end, de la possibilité de suites infinies, du divertissement massif qui recycle sans fin sa manne, du business as usual. Cette victoire est pourtant obtenue par le sacrifice de Tony Stark, qui dérobe au titan fou son artefact et rend (presque) l’univers à son état antérieur. Avant d’effectuer le claquement de doigt rectificateur, Stark rétorque au « Je suis inéluctable ©» de Thanos d’un « Et moi… je suis Iron Man ! ©». Si l’on suit le fil symbolique tiré jusque là, cette dramaturgie d’affrontement final indique la nécessité de sacrifier le capitalisme et la techno-science pour éviter la catastrophe. Une conclusion plutôt radicale abondement mitigée.
D’abord lors de cette bataille, Iron Man est rejoint par « Iron Woman », Pepper Potts ayant revêtu sa combinaison cadeau. Parvenu au terme de son cheminement ethique, Stark meure, mais le principe Iron Man lui survit, en changeant de sexe. Il est même sanctifié par le sacrifice de l’individu Stark qui a trouvé le temps de faire la paix avec lui-même, et de pardonner au capitalisme à papa, celui qui concède que « l’ intérêt général passe rarement avant son intérêt particulier ». On sent déjà qu’on se rapproche plus de la signature d’une charte de bonne conduite par les 1 % les plus riches que d’une révolution décroissante.
Impression validée par la scène finale qui consacre le changement dans la continuité : la barque funéraire de Stark s’éloigne sur les eaux sous le regard éploré mais pas larmoyant des avengers silencieusement dignes. Puis la vie reprend au détour d’une conversation célébrant l’éducation au cheese-burger pour la nouvelle génération, puis s’est un épisode de transmission des charges héroïques qui fait du second couteau falcon un captain america noir. Quelque que soit l’humain sous le costume, les symboles sont immortels, la machine à recycler ne connaît ni la fin, ni l’effondrement. Happy endgame.