Je viens de publier (décembre 2018) une seconde édition revue et augmentée du « Séminaire de Sémantique Générale 1937 » d’Alfred Korzybski.
La sémantique générale, appelée également par Korzybski « logique non-aristotélicienne », est peu connue en France en raison de l’absence de reconnaissance universitaire. Korzybski, un ingénieur polonais engagé dans l’armée russe durant la première guerre mondiale, puis envoyé au Canada comme conseiller militaire après avoir été blessé au front, avait réalisé que les mécanismes de pensée qui avaient engendré cette guerre reposaient sur la logique d’Aristote, logique dualiste, dont les postulats sur lesquelles elle repose enfermaient l’esprit humain dans une logique par opposition. Elle débouchait inéluctablement sur des conflits dans les relations entre humains, se répercutant sur une vision de l’homme scindé en parties opposées, génératrice de conflits intérieurs et de problématiques de culpabilité et existentielles.
Considérant qu’il n’était pas sensé de gérer les affaires humaines au XXème siècle avec une logique de pensée vieille de 2400 ans, scientifiquement dépassée, il formula la sémantique générale sur de nouveaux postulats, à partir du niveau d’évolution scientifique de son temps, sur la base de la physique de la première moitié du XXème siècle, la physique quantique et les travaux d’Einstein.
Ceci parait au premier abord très abstrait, mais, en résumé et pour faire simple, la sémantique générale permet d’aborder les problèmes humains sur la base d’une démarche scientifique, basée sur l’observation des faits. Au lieu de traiter un problème en partant de croyances ou de dogmes préétablis, posons-nous la question : « Qu’est-ce qui se passe là ? Nous n’en savons rien, allons voir. » Examiner les faits, procéder par déductions, formuler des hypothèses et les expérimenter, en les confrontant à l’épreuve des faits pour évaluer ensuite leur validité. Cette démarche est appliquée de nos jours dans les domaines scientifiques et également dans les enquêtes de police, journalistiques, etc.
Sur cette base, il devient alors possible d’obtenir, dans nos sciences humaines, des résultats similaires à ceux que nous obtenons dans nos avancées technologiques.
En France elle a été appliquée par le biologiste Henri Laborit sur la structure des organismes vivants, dans sa théorie de l’inhibition de l’action, ses travaux en agressologie et en pharmacologie, et par le philosophe Gaston Bachelard, qui étaient tous deux membres de l’Institute of General Semantics. Mais la quasi absence de publication des textes originaux de Korzybski en France a limité sa diffusion aux personnes pouvant le lire en anglais.
En tant que traductrice de Korzybski depuis les années quatre-vingt, puis éditrice depuis 2008, j’ai été confrontée à un ensemble de blocages relatifs à sa diffusion. Or je constate que nos politiques, décideurs et autres communicants continuent de tourner en rond, enfermés dans les mêmes impasses mentales.
De mon côté je ne me suis pas investie dans cette discipline pour des raisons financières, mais motivée par les résultats de ses expérimentations dans différents domaines qui démontraient son efficacité et confirmaient sa validité. Je n’ai pas l’intention de monopoliser mes recherches ni de les vendre : je les ai effectuées pour mon propre pays, et pour qu’elles soient accessible à tous, dans le contexte d’une démocratie républicaine dans laquelle l’enseignement est légalement censé être libre et gratuit.
En conséquence, j’apprécie fort peu que les gens qui sont susceptibles d’en tirer le meilleur parti pour le pays, je veux parler de l’ensemble de la classe politique toutes tendances confondues, n’aient pas eu l’opportunité de pouvoir en bénéficier, et qu’ils en soient trop souvent réduits, s’ils souhaitent y accéder, à faire appel à des faussaires, qui leur vendent hors de prix de mauvaises contrefaçons. La fonction de la sémantique générale n’est pas de servir d’objet de profit aux mains de centres de formation, elle consiste à permettre de résoudre les problèmes humains.
« Accessible à tous » ne signifie pas uniquement accessible au peuple, mais également aux dirigeants. Je ne vois pas pourquoi, sous prétexte que vous avez une situation sociale élevée et un salaire conséquent, vous seriez tenu de payer très cher ce qui vous appartient de droit gratuitement. Quand la marquise de Grand-Air va faire ses courses au marché, le maraîcher ne lui demande pas son avis d’imposition avant de lui facturer un kilo de tomates : le prix du kilo de tomates ne varie pas selon les revenus des clients : il est le même pour tout le monde.
Ce qui se passe là n’est pas une question de faute de ces dirigeants : dans le contexte international actuel, priver un pays d’accéder aux connaissances de son temps tout en l’abreuvant de pseudo-savoirs est du domaine de l’intelligence économique et de manipulation mentale : imposer de fausses cartes génératrices d’erreurs et imputer les mauvais résultats obtenus à leur utilisateur, en rejeter la faute sur celui-ci en prétendant, même au cas où la fraude est démontrée et où le fraudeur la reconnait, que cet utilisateur est de toutes façons coupable de s’être fait avoir et de ne pas s’être défendu correctement. Raisonnement vicieux s’il en est !
Une reformulation du paysage politique actuel, non pas en dégageant qui que ce soit par la force ou la tricherie, mais en redéfinissant la nature des relations entre ses éléments sur de nouvelles bases non conflictuelles, en fonction de leur complémentarité, de ce que représente fondamentalement chacun pour le pays à travers sa dimension historique, pourrait modifier radicalement le paysage politique et économique du pays et constituer la base d’un monde réellement nouveau. Cela implique un changement de regard de ces acteurs sur eux-mêmes, une prise de distance par rapport aux événements du passé qui conditionnent les événements présents, une prise de conscience sur leur absence de responsabilité personnelle sur ces événements passés, et une volonté commune d’avancer ensemble sur des bases communes et fiables.
« Les anciens qui désiraient mettre en valeur une vertu illustre à travers l'empire ont commencé par ordonner correctement leur propre État. Souhaitant ordonner correctement leur propre état, ils ont commencé par mettre de l'ordre dans leur famille. Souhaitant mettre de l'ordre dans leur famille, ils ont commencé à cultiver leur propre personne. Souhaitant cultiver leur propre personne, ils ont commencé par rectifier leur cœur. Souhaitant rectifier leur cœur, ils ont commencé par chercher la sincérité dans leurs pensées. Souhaitant être sincères dans leurs pensées, ils ont étendu leur savoir au suprême degré; et cette extension du savoir a résidé dans l'examen des choses. Les choses ayant été examinées, le savoir est devenu complet. Leur savoir étant complet, leurs pensées ont été sincères. Leurs pensées étant sincères, leur cœur a été rectifié. Leur cœur étant rectifié, ils ont cultivé leur personne. Leur personne ayant été cultivée, leur famille fut harmonisée. Leur famille étant harmonisée, leur État fut correctement gouverné. Leur État étant correctement gouverné, tout leur empire se tranquillisa et se pacifia. De l'empereur jusqu'à la masse du peuple, tous doivent considérer la culture de la personne comme étant la racine de toutes choses. » CONFUCIUS. Citation : Science and Sanity, Alfred KORZYBSKI, chapitre III, Introduction.