Le Parlement européen condamne le « recours disproportionné à la force » contre les manifestants https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/02/14/le-parlement-europeen-condamne-l-usage-des-lanceurs-de-balles-de-defense-par-les-forces-de-l-ordre_5423513_3224.html
L’ONU et le Parlement européen dénoncent la répression des «gilets jaunes» https://www.mediapart.fr/journal/france/140219/l-onu-et-le-parlement-europeen-denoncent-la-repression-des-gilets-jaunes 14 février 2019 Par Jérôme Hourdeaux
Trois rapporteurs des Nations unies s’inquiètent de la répression, policière et judiciaire, dont fait l’objet le mouvement des « gilets jaunes ». Ils appellent « la France à repenser ses politiques en matière de maintien de l’ordre ». Les eurodéputés, de leur côté, ont adopté une résolution condamnant notamment l’usage des LBD.
Plusieurs pays européens ont mené des réformes d’ampleur pour apaiser leurs relations avec les manifestants. Pourquoi la France reste-t-elle à l’écart de ces initiatives européennes pour une « désescalade » ? https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/01/31/maintien-de-l-ordre-en-manifestation-la-france-a-l-ecart-des-initiatives-europeennes-pour-une-desescalade_5417009_3224.html
Maintien de l’ordre : la France à l’écart des initiatives européennes de « désescalade » http://www.laurent-mucchielli.org/index.php?post/2019/02/02/Maintien-de-l-ordre-la-France-a-l-ecart-des-initiatives-europeennes
La situation actuelle, avec toutes les conséquences des retards pris par la France, avec son cortège de blessés chez les forces de l’ordre comme chez les manifestants, de morts, de violences, d’articles de journaux polémiquant sur le LBD, opposant les différents blocs, ainsi que les condamnations résultant de ce non-respect du droit européen, autant chez les forces de l’ordre que chez les manifestants, l’épuisement de ces forces qui résulte d’une charge de travail démesurée sans relation avec les capacités physiques des individus, de matériel pas toujours précis entre les mains de gens pas toujours formés, cette situation n’a pas lieu d’être si on replace le débat sur le plan du droit, et uniquement du droit, à savoir celui des accords que la France a conclus avec ses partenaires et qu’elle est légalement tenue de respecter, au même titre qu’elle exige de ses citoyens qu’ils agissent de même.
Or il suffirait qu’elle le reconnaisse et se mette en conformité avec les instances supranationales, pour que tous ces problèmes, qui sont la conséquence directe des décisions nationales, soient résolus.
En ce qui concerne la question du résultat de cette doctrine et de son coût pour le pays, elle se révèle désastreuse au niveau humain et ruineuse pour le pays, et jugée comme telle à l’extérieur.
Dans l’Union Européenne, la France est un élément d’un ensemble. Ceci implique que sa structure, l’ensemble des relations entre ses éléments, soit similaire à celle de l’ensemble. Ce qui signifie que c’est à elle de s’adapter à cette structure supranationale, et non l’inverse.
Or les décisions et les comportements français sont souvent en opposition à ceux de l’Europe, que ce soit en matière de maintien de l’ordre, de gestion des ressources humaines, de droit du travail, de protection des lanceurs d’alertes, etc. Alors, qu’est-ce qui se passe là exactement ? Quel est l’intérêt de faire partie de l’Europe si on prend le contrepied systématique des orientations qu’elle prend et qu’on veut conserver des pratiques et traditions obsolètes et limitées au seul cadre national, sans tenir compte des autres partenaires ?
Cela n’a rien à voir avec le fait d’être pro ou anti européen, d’être de droite de gauche ou de ce qu’on veut. C’est une question de cohérence et de légitimité.
Le retard de la France
La réprobation internationale dans cette gestion des forces de l’ordre nous confronte à l’image de notre pays à l’extérieur : un pays demeuré dans des structures de dominances révolues, dans l’incapacité de dépasser les contradictions et conflits qu’elles engendrent et d’aller au-delà des rapports de force pour entrer en relation avec les autres, à l’intérieur comme à l’extérieur.
En d’autres termes, nous sommes restés à un état d’évolution fixé, prisonniers de mécanismes de pensée d’un autre âge et incapables de nous adapter, aux niveaux humains, à l’évolution réelle du monde actuel et des autres pays. La pseudo « modernisation » prônée en économie n’est que la version modernisée des fonctionnements de l’ancien régime, qui se reproduit de génération en génération.
Une problématique nationale
Pour mieux comprendre ce qui se passe là, il importe de considérer les événements du monde actuel à la lumière du passé. Nous constatons alors que les événements actuels sont une version modernisée des événements passés, selon un scénario similaire joué de génération en génération. Avec pour conséquence que nous avons été incapables d’intégrer les bases de notre constitution démocratique au niveau institutionnel et dans l’ensemble des sciences humaines en général.
Autrement dit, nous sommes enfermés dans une problématique nationale, qui emprisonne mentalement ses acteurs et dépasse la volonté des individus, à quelques niveaux qu’ils se situent.
C’est pourquoi il m’apparait très important aujourd’hui de considérer ces événements présents à la lumière du passé et réciproquement, à partir des postulats sur lesquels reposent ces systèmes de pensée et en les confrontant aux faits sur lesquels ils reposent.
"Entre 2010 et 2013, neuf pays européens ont participé au programme de recherches Godiac (Good practice for dialogue and communication as strategic principles for policing political manifestations in Europe), soutenu par l’Union européenne (UE) pour trouver de nouveaux moyens d’apaiser les relations souvent tendues entre citoyens et forces de l’ordre lors des manifestations politiques.
L’absence d’une force de police fut remarquée : celle de la France, qui revendique, pourtant, une longue tradition du maintien de l’ordre public, avec une doctrine mise en place dès la fin du XIXème siècle."
« En France, les forces de l’ordre disent avoir inventé le maintien de l’ordre et montrent une belle résistance à coopérer et à recevoir des leçons des autres sur leurs stratégies », constate Olivier Fillieule, chercheur en sciences politiques à l’université de Lausanne (Suisse) et au CNRS. Le lourd bilan humain (au moins 1 900 blessés) et judiciaire (plus de 5 500 interpellations) du mouvement des « gilets jaunes » pourrait, cependant, pousser les autorités françaises à envisager la stratégie de « désescalade » adoptée par leurs homologues européennes face aux nouvelles formes de manifestations…
« Les autorités françaises voient bien que ce qui se passe ailleurs peut fonctionner ici, analyse M. Fillieule. Alors on importe des dispositifs, mais on les surajoute à l’existant sans modifier en profondeur la doctrine en manifestation. Il en résulte une grande confusion, renforcée par la constante intrusion des autorités politiques dans la mise en œuvre des services d’ordre ».
Les postulats
- Une doctrine du maintien de l’ordre datant de la fin du XIXème siècle.
- La France prétend avoir inventé le maintien de l’ordre et ne veut pas changer de doctrine, se contentant de surajouter des dispositifs,
Les faits
La France utilise-t-elle encore des armes du XIXème siècle ? Une technologie du XIXème siècle ? Des véhicules du XIXème ?
Une doctrine mise en place à cette époque, dans un monde dans lequel les structures internationales légales n’existaient pas, dans un contexte politique révolu, est dépassée dans le contexte du XXIème siècle. En la perpétuant, nous sommes incapables de nous adapter au monde d’aujourd’hui et d’instaurer avec nos interlocuteurs des rapports de bonne intelligence, que ce soit à l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières.
Ceci dit, l’« invention » du maintien de l’ordre actuel est bien antérieure au XIXème siècle, puisqu’elle date en réalité de Philippe le Bel (XIII-XIVème siècles), encore considéré par certains comme le « père de l’administration moderne ». Ce qui signifie que la structure des forces de l’ordre conçue à cette époque et qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours est en réalité médiévale.
Surajouter les dispositifs des autres pays en voulant conserver nos anciennes doctrines ne peut pas marcher : c’est toute une structure de pensée et de comportement qu’il convient de remettre en question. Impossible de gérer le maintien de l’ordre avec des méthodes de coaching immobilier et de "home staging": on n’est pas dans « Maison à vendre ».
Des policiers formés en psychologie ou en sociologie hors de France et traités comme une « meute » en France
« Outre-Rhin, la volonté de « désescalade » est ancienne et symbolisée par une décision du Tribunal constitutionnel prise en 1985, qui encourageait la police à éviter toute confrontation physique, même avec des manifestants hostiles.
L’Espagne a aussi suivi le mouvement avec la création d’un département de médiation, composé de policiers formés en psychologie ou en sociologie. Le dispositif a contribué à une baisse du nombre d’incidents en manifestation de 70 % entre 2011 et 2014 dans le pays, selon un rapport des inspections générales de la police et de la gendarmerie nationale françaises.
« Les autorités françaises voient bien que ce qui se passe ailleurs peut fonctionner ici, analyse M. Fillieule. Alors on importe des dispositifs, mais on les surajoute à l’existant sans modifier en profondeur la doctrine en manifestation. Il en résulte une grande confusion, renforcée par la constante intrusion des autorités politiques dans la mise en œuvre des services d’ordre ».
Ce qui est également en question ici dans le fonctionnement français est la conception des êtres humains dans ces doctrines, et l’aptitude des décideurs à se comporter comme tels :
En France, un chef de groupe en gendarmerie doit « maîtriser sa meute »; on est ici dans une vision animalière de l’homme, qui réduit celui-ci à ses instincts primaires et le traite comme tel. Les méthodes de management du personnel utilisées, calquées sur celles du comportementalisme canin, reposent sur le dressage. Il n’est pas question d’apprendre aux agents la psychologie ou la sociologie, mais de les traiter, au sens propre, comme des chiens. Or, si le chef de groupe n’est pas informé des processus instinctifs en jeu et n’en a pas conscience, en revanche ceux qui lui imposent ces méthodes, le sont parfaitement.
Cette vision de l’homme repose sur les travaux de Pavlov, celle décrite dans « Le viol des foules » de Serge Tchatkhotine, à savoir la réduction de l’homme à ses instincts primaires et la manipulation de ceux-ci à des fins de contrôle des populations, utilisée entre autres par Adolf Hitler[1].
Une telle conception déshumanisante de l’homme n’est pas compatible avec les fondements du droit européen, elle y est dépourvue de légitimité. En France, elle est anticonstitutionnelle. Quant aux idéologies et aux méthodes qui la perpétuent, elles sont tout simplement criminelles.
[1] http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Hors-serie-Connaissance/Le-Viol-des-foules-par-la-propagande-politique Le Viol des foules par la propagande politique – Nouvelle édition revue et augmentée en 1952 – Hors série Connaissance, Gallimard Parution : 03-07-1939
Présentation de l’éditeur : « Censuré en 1939 par le ministère français des Affaires étrangères, détruit en 1940 par les Allemands, ce livre a été finalement réédité au début des années 1950 dans sa version actuelle augmentée et actualisée. C’est un traité classique de psychologie sociale qui cherche à démonter comme à comprendre les mécanismes auxquels obéissent les foules, les masses et, plus généralement, la formation de la volonté politique et l’action politique. Quatre impulsions affectives primaires sont mises en œuvre par la manipulation propagandiste et idéologique : l’agressivité, l’intérêt matériel immédiat, l’attirance sexuelle au sens large, la recherche de la sécurité et de la norme. Cette psychologie sociale discute, bien sûr, Freud, mais aussi Jung, Tarde et Pavlov. C’est bien évidemment sur le terrain historique de l’affrontement entre propagande nazie et résistance social-démocrate que l’auteur se situe dans un premier temps pour analyser les raisons du fulgurant succès de Hitler et celles de l’échec de la démocratie. Mais il étend ses investigations au-delà de ces événements et traite aussi de la propagande soviétique, de l’affrontement idéologique de la guerre froide, du pacifisme, bref, des formes générales de la propagande, de sa réussite ou de son échec, ainsi que des moyens d’y résister, ce qui conduit l’auteur, savant biologiste, à parler ici en sociologue et, surtout, en pédagogue.