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Billet de blog 17 septembre 2025

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Le validisme brise : mon parcours de réfugié handicapé

De la sidération. Un profond choc émotionnel. Des souvenirs traumatisants qui enfantent une frustration traumatique. J’essaie de reconstituer l’ensemble des images et représentations, peurs et craintes, enfouies dans ma mémoire pendant le passage de mon entretien à l’OFPRA. Le récit de ma vie se veut profondément nostalgique. Il veut raconter la blessure...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De la sidération. Un profond choc émotionnel. Des souvenirs traumatisants qui enfantent une frustration traumatique. J’essaie de reconstituer l’ensemble des images et représentations, peurs et craintes, enfouies dans ma mémoire pendant le passage de mon entretien à l’OFPRA.

Je me souviens de la chevelure blonde et du regard perçant de l’officière de protection qui m’interpelle, me juge, me jauge, évalue mes réponses et leur pertinence pour avoir la chance de rester ici et pouvoir bénéficier d’une seconde chance, celle où je pourrai éventuellement jouir d’une condition socio-économique plus favorable grâce à la possibilité de marier mon handicap et vie professionnelle avec ses exigences de la performance, imbibées de logiques néolibérales.

Ces souvenirs épars oblitérés volontairement par mon inconscient rejaillissent avec une grande vitalité de ma mémoire. Un sourire s’esquisse, celui du succès, de la « victoire », de possibilités empreintes d’optimisme se dessinent avant la manifestation du désabusement absolu, de ma capitulation, de ma renonciation à un avenir digne de ce nom, avant mon entrée dans la dystopie.

La matrice de la réalité. Le décalage renversant entre le monde des aspirations et de l’onirique et celui de la réalité peut déboucher sur la manifestation et l’apparition d’états d’abattement, de maladies mentales. Ou peut-être est-ce la mégalomanie, elle seule, cet état pathologique qui doit être corrigé, supprimé chimiquement à coups de médicaments psychiatriques.

Le récit de ma vie se veut profondément nostalgique. Il veut raconter la blessure de celui qui n’a pas été reconnu à sa juste valeur dans une société validiste. Il veut parler du racisme, de l’homophobie, de la folie, du handicap, des migrations, du colorisme, des injustices sociales et environnementales.

Je suis plongé dans l’obscurité d’un monde dystopique où la justice est corrompue, le système judiciaire engorgé, les services sociaux défaillants.

Dans ce monde dystopique l’inanité et la pauvreté prospèrent, des manifestations crasses  des violations des droits humains les plus fondamentaux face au silence de la communauté internationale, il y a ’amplification des inégalités sociales et économiques criantes dans un monde capitaliste.

L'individualisme triomphe, l'égoïsme et l'hypocrisie valsent allègrement avec la cupidité, les logiques néolibérales, l'appât du gain pour justifier l'injustifiable, pour pouvoir dire l'indicible, assurer la négation de l'injustice.

Contrairement aux récits orwelliens de 1984, il suffit d’évoquer la tragédie des migrants pour se rendre compte que nous vivons désormais dans des sociétés où des individus, des masses, parfois un collectif ne côtoie plus l’autre, ne parle plus à l’autre, ne cherche plus à dialoguer et à comprendre l’autre.

Les camps de migrants qui s’entassent à porte de la chapelle sont emblématiques de deux mondes qui ne dialoguent pas, de cette misère que l’on relègue ailleurs, que l’on ne saurait voir, que l’on ne veut pas voir, que l’on souhaite supprimer au même titre que certains souhaiteraient renvoyer des migrants ayant déposé une demande d’asile dans leurs pays sans aucune considération pour les persécutions bel et bien réelles auxquelles ils sont exposés.

Il n’est d’ailleurs pas surprenant de voir poindre les termes de « remigration » et l’épouvantail du grand remplacement dans la rhétorique de l’extrême droite. La dystopie c’est la prise en otage de la démocratie et le déni même de l’Etat de droit prenant vicieusement la forme des violations des droits les plus fondamentaux et les plus élémentaires des migrants, et des demandeurs d’asile spécifiquement, lesquels sont dénués de la capacité de prendre part à la vie politique, économique et/ou sociale.

Privés d’activité citoyenne, cible privilégiée de l’extrême droite via des rhétoriques critiquant un système qui serait trop accueillant, laxiste, et généreux envers celles et ceux qui revendiquent, légitimement, en toute légalité, le recours à un droit à valeur constitutionnelle qui fait honneur à la France.

Les discours imbibés de haine xénophobe circulent frénétiquement dans les sphères médiatiques, sous l’égide de Bolloré, Stérin et consorts pour propager la haine. La haine débouche sur une indifférence crasse et un mépris terrible envers ces populations dénuées parfois des outils adaptés sur le plan linguistique, administratif ou financier de faire valeur leur droit.

L’asile est une épreuve si difficile, si traumatisante, si cataclysmique pour la santé mentale de son requérant. Il est dans son siège éjectable.  A observer, constater les ravages, les conséquences désastreuses d’un retour potentiel dans le pays où il craint légitimement une persécution. Des années de procédure administratives longues, parfois incompréhensibles pour certains, finissent par broyer le demandeur d’asile.

Les survivants, j’en fais partie. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser au scénario le plus dystopique où j’aurais été contraint de revivre la reproduction frénétique des schémas hétéropatriarcaux dans les comportements, habitus et perceptions d’une société qui ne me permettra pas d’assurer le respect de mes droits les plus fondamentaux, de ma vie privée,  de ma sexualité, laquelle, relève de la sphère intime.

La désinformation galopante sur le droit d’asile orchestrée par les médias d’extrême droite et leur fulgurant succès me remplit d’amertume.

J’entendais encore des discours lénifiants et complètement déconnectés de la réalité prononcés par une collège au travail qui ignorait mon statut de réfugié dire que l’on donnait tout aux réfugiés et aux migrants. Elle ne s’est donc jamais penchée véritablement sur le sujet, sur l’horreur de l’asile, sur le sentiment et la subjectivité extensible en ce sens qu’elle produit une réalité intersubjective où aucun demandeur d’asile n’a pu échapper à un lot de sentiments qui oscillent de la mortification, la sidération, la frustration, la révolte, l’indignation, la tristesse, la dépression enfantées par les incertitudes administratives, un système institutionnel opaque pour la majorité de ceux et celles qui ne maîtrisent pas les codes de la bureaucratie française ou encore la langue française.

Il est inutile de mentionner les brimades, les regards de ceux qui évoluent dans les administrations qui vous toisent lorsque vous contestez des décisions administratives iniques. L’ADA m’a été refusée et cela se justifierait par une présence ancienne sur le territoire français à l’heure où le soutien familial sur le plan financier ainsi que les allocations se sont évaporés.

La Convention européenne et les réglementations européennes en la matière sont restées lettre morte puisque j’étais une personne en situation de grande fragilité car reconnu en situation de handicap à vie par la MDPH. Mais ma RAPO ainsi que les initiatives que je vais multiplier n’aboutiront pas au changement des décisions administratives qui consistaient à me priver d’une allocation certes minable, mais essentielle à sa survie à l’heure où ne pouvions pas exercer d’activité professionnelle en tant que demandeurs d’asile au vu des freins et des obstacles/barrières mis en place : autorisation spéciale à demander par un employeur incertain de vous voir continuer à évoluer professionnellement dans ses locaux.

La saisine de la DALO est un véritable fiasco puisque leurs réponses se font tardives et surtout considèrent que ma situation n’est pas prioritaire puisque j’aurais déclaré vivre dans des « airbnb » ou avoir été hébergé par des proches. Le 115 est systématiquement saturé avec des consignes contradictoires émanant des interlocuteurs dont nombreux sont de bonne foi mais incapables d’absorber toute la misère enfantée par le sans abrisme.

Inutile de mentionner d’autres dispositifs sociaux défaillants et à la dérive, conçus comme des écrans de fumée, des leurres, nous donnant une vision tronquée et parcellaire d’un modèle social français qui s’étiole, s’effrite, s’amenuise, frôle l’annihilation. J’ai occupé illicitement un logement insalubre et particulièrement polluant sur le plan sonore du fait de son emplacement. Ce logement a été mis à ma disposition par mon ex-employeur ayant rompu abusivement ma période d’essai « excédé » par mes absences liées à des aménagements qu’il est dans l’obligation de proposer et de respecter.

Système juridique et judiciaire particulièrement engorgé, je suis toujours dans l’attente de la saisie de leurs comptes sur les sommes illicitement prélevées sur mon solde de tout compte. La procédure aux prud’hommes où j’ai été débouté de la quasi-totalité de mes griefs m’a particulièrement sidéré et découragé d’engager toute action judiciaire contre toute entreprise car elles vous écrasent et finissent par remporter une victoire éclatante dans les prétoires grâce à des avocats sans foi ni loi grassement rémunérés chargés de vous détruire psychologiquement et juridiquement devant le conseil des prud’hommes.

Ma tragédie n’est pas individuelle. Ma tragédie est celle d’un collectif, celui des personnes porteuses d’un handicap invisible qui se battent tous les jours pour une existence digne de ce nom, dont le combat est invisibilisé pourtant dans la sphère publique à l’heure où la santé mentale de tous se dégrade à une vitesse renversante.

Diplômé d’une grande école prestigieuse parisienne, j’ai désenchanté assez rapidement lorsque la bipolarité et un TDAH atypique où je devais tourner littéralement en rond autour d’une pièce compulsivement s’est installé. Survivant d’inceste, mon cas psychiatrique a donné du fil à retordre à Sainte Anne, institution qui n’est plus une « référence en matière de psychiatrie » désormais surtout pour prodiguer des soins aux hyperactifs à travers l’instauration de molécules psychostimulantes dont la délivrance et la prescription sont extrêmement encadrés et surveillés par la législation française comparativement à ses voisins européens.

Mes pérégrinations médico-psychologiques me mèneront à Charleroi pour obtenir une primo prescription de Modiodal pour soigner mon hyperactivité après avoir essuyé des refus et surtout la menace d’une médecin que j’ai traînée à l’Ordre pour m’avoir menacé d’appeler la police car j’aurais osé contester sa sacro-sainte décision de ne pas instaurer ce seul médicament, lequel m’a pourtant stabilisé.

Soyons clairs, le geste condamné est celui d'une femme racisée qui a recours à la violence institutionnelle psychatrique et aussi symbolique mais surtout en terrorisant parla peur de la police, une structure institutionnelle étatique au service de loi, disposant du monopole de la violence  légitime et malmenant les racisés. La saisine de l'Ordre est motivée par son comportement indécent,inhumain, dénué d'empathie face à l'ampleur de ma souffrance.

Parler de la détresse du migrant c’est parler d’une société dystopique où la démocratie recule, où le droit d’asile, droit inscrit pourtant dans la constitution, est en péril dans un Etat prétendument démocratique. Je m’imagine encore vivotant autour de mon siège éjectable, cramponné à ma convocation de l’OFPRA et priant pour un avenir plus lumineux et radieux.

Parler de ces vies brisées, de ces vies gâchées, de ces années parfois gaspillées à attendre une décision favorable de la part des autorités pour enfin pouvoir, après avoir vécu l’horreur, connaître les joies d’une vie où l’on dispose des « bons papiers » pour s’insérer professionnellement et prendre sa place dans une société française de plus en plus hermétique à la diversité quelle qu’elle soit, caractérisée par un certain culte de l’individualisme, de la négation du collectif, et son hypocrisie bien crasse à l’heure où l’on affiche dans les frontons de mairies « liberté, égalité, fraternité » et où la race existe bel et bien socialement et économiquement.

Elle continue à constituer une grille d’analyse pour comprendre et appréhender dans une certaine mesure la complexité des inégalités qui frappent la France. Le système d’immigration est aussi validiste dans la mesure où il fait la part belle à ces corps valides, bien portants, performants tout en fermant systématiquement les portes et en refoulant celles et ceux qui ont pourtant réussi leur intégration en France comme moi et qui n’ont pas la chance d’avoir un certain niveau de revenus pour se stabiliser et se maintenir en France depuis la multiplication de circulaires pour limiter et stopper le flux migratoire.

Il faut répondre à des critères économiques bien précis pour espérer décrocher le précieux sésame : le passeport rouge à savoir être bien établi financièrement et inséré professionnellement via un CDI pour porter l’espérance d’une vie plus digne de ce nom.

Les délais de réponse de la préfecture sont aussi particulièrement longs, les prérogatives de mes avocats et avocates n’ont pas abouti au déblocage d’un visa médical et il ne me restait d’autre choix que de déposer une demande d’asile auprès des autorités compétentes pour pouvoir espérer, aspirer à une vie meilleure où ma dignité ne serait pas piétinée par une homophobie crasse, escamotée par les hétéronormes et l’hétéropatriarcat.

J’ai aussi noté l’incompréhension totale du monde associatif des maladies mentales conçues comme des maladies fictives où l’on jouerait la comédie. Pourtant, la bipolarité tue et à défaut elle abîme considérablement l’espérance de vie de ceux qui portent en eux les germes de ce que certains appellent la « folie ».

J’en suis arrivé à la conclusion pure et dure de l’effritement progressif de l’Etat social qui touche d’abord les plus démunis et ceux dont la parole est ravie, ceux et celles qui sont dépossédés de la possibilité de pouvoir s’exprimer sur ce qui se passe dans les différentes structures administratives françaises en charge de la régularisation des personnes migrantes dans ce pays, lesquelles subissent des agressions, et cristallisent les fantasmes dans la fachosphère médiatique pour mieux taire et bâillonner les voix qui nous guident légitimement et à juste titre vers les véritables maux de la France, ses priorités, ses démons, son passé, ses ambitions.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.