"L'académicien toujours vert, Michel Serres - Les Terriens du samedi - 4/05/2019
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Michel Serres, né le 1er septembre 1930 à Agen et mort le 1er juin 2019 à Vincennes, était un philosophe et historien des sciences français, membre de l'Académie française et de l'Académie européenne des sciences et des arts. En tant qu'enseignant-chercheur, il a notamment publié des ouvrages faisant autorité en matière d'histoire des sciences, philosophie des sciences et épistémologie.
Le monde de la culture est en deuil. Le philosophe Michel Serres est décédé samedi à l’âge de 88 ans. Écrivain et historien des sciences, ce membre de l’Académie française était une figure intellectuelle appréciée du grand public pour ses réflexions teintées d’optimisme sur l’éducation et l’écologie. Depuis l’annonce de sa disparition, les hommages se multiplient sur les réseaux sociaux.
Edgar Morin@edgarmorinparis
"Michel Serres était un exemple rarissime de vraie culture, qui lie au lieu de dissocier culture scientifique et culture des humanités. La créativité de sa pensée associait raison et poésie. Il pensait son siècle, non d'une tour d'ivoire mais en le vivant intensément."
Raphael Glucksmann@rglucks1
"Oser, tenter, rester jeune toute sa vie et penser demain plutôt que de ressasser sans cesse hier. Concilier soucis écologique et amour de l’innovation. RIP Michel Serres, jeune homme à venir."
Yannick Jadot @yjadot
"Un grand humaniste, qui est toujours resté en lien avec son temps et a gardé une confiance formidable dans le jeunesse. Jamais nostalgique, toujours tourné vers l’avenir!"
Franck Riester@franckriester
"Beaucoup de tristesse ce soir alors que Michel Serres nous quitte. Sa pensée était lumineuse et moderne, poétique et accessible. Un pas vers demain, il savait nous projeter avec lui vers un avenir où l’homme reprenait toute sa place. La chaleur de sa voix nous manque déjà."
Cédric Villani@VillaniCedric
"Infatigable bâtisseur de ponts entre disciplines, Michel Serres a quitté le monde des humains qu'il aimait tant. Conférencier passionné, méridional chaleureux, grand enfant épris de futur, il mettait à l'aise dès les premiers mots et s'embrasait dans la discussion. Salut Michel !"
Jean-Michel Blanquer@jmblanquer
"Adieu Michel Serres, l’honnête homme par excellence, du XXème et du XXIème siècles, éclectique, humaniste et visionnaire.
Sa bonté se voyait et s’entendait.
Sa pensée sur l’éducation continuera à nous influencer et à vivre par son ancrage et par son ouverture vers l’avenir."
Delphine Ernotte@DelphineErnotte
"Triste d’apprendre, ce soir la disparition d’un de nos plus grands hommes de lettres, de philosophe et penseur de la nature et de l’éducation. Souvenir de cette très belle @GrandeLibrairie et de ses #Moralesespiegles ."
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Michel Serres, une forme française d’universalité
Le philosophe, mort samedi à 88 ans, a su faire vivre une longue tradition française alliant les charmes de la plume, le travail heureux de la pensée et les générosités du cœur.
Par Roger-Pol Droit Publié hier à 22h04, mis à jour à 10h51
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Michel Serres, en mai 2012. MANUEL COHEN
"Parmi les figures multiples de Michel Serres, mort samedi 1er juin, à l’âge de 88 ans, il en est une qui réunit, peut-être mieux que d’autres, les aspects principaux de ce penseur. Il était français, et développait les conséquences intellectuelles et stylistiques de cette filiation. Ce n’est pas une question d’état civil, ni de chauvinisme culturel. Une affaire de style plutôt, et de tempérament. Pas simple à définir en deux mots, d’ailleurs, car les Français, selon lui, ont trouvé le moyen de faire de l’unité avec de la discorde. Dans ce pays de paradoxes, qui tend vers l’universel à force de divisions, les philosophes ne sont pas comme ailleurs. Michel Serres, bien que couvert d’honneurs, se rêvait comme l’un de ces marginaux nomades battant la campagne et franchissant les clôtures, braconnier et bretteur plutôt que professeur ou dignitaire. Français, donc frondeur.
Et animé aussi d’un goût charnel de la langue natale, des puissances tapies dans les mots, du chant des phrases. S’acoquinant sans vergogne avec les belles lettres pour parler clair. Développant des idées denses dans la langue du peuple plutôt que dans celle des doctes. Le style, ici, est l’instrument central : immergé dans la langue vivante, il en appelle à toutes ses ressources plutôt qu’aux jargons savants, pour créer un nouveau mode d’abstraction à la fois rapide, rigoureux et charnu. N’a-t-il pas encore signé, en 2018, avec Michel Polacco, une Défense et illustration de la langue française aujourd’hui (Le Pommier/France Info) ?
Un vagabond ami de la Terre
Cette universalité à la française implique à l’évidence un cheminement individualiste : les mousquetaires ne veulent pas faire école. Ils conduisent des révolutions solitaires que l’histoire tend à oublier, comme l’ont montré les dizaines et les dizaines de volumes publiés par le « Corpus des œuvres de philosophie en langue française ». En dirigeant cette vaste entreprise, que tout paraissait devoir rendre impossible, Michel Serres ne faisait pas seulement œuvre de mémoire et de reviviscence. Il rendait hommage à toutes ces intelligences isolées qui ont peuplé notre histoire intellectuelle en laissant dans les archives, d’où il faut les exhumer, des pages vivaces et fortes.
De ces trajets multiples entre les sciences et les littératures, les vocables et les natures, l’image même du philosophe se trouve modifiée. Ce n’est plus un roi austère contemplant de haut un paysage dominé. C’est au contraire comme un vagabond ami de la Terre, arpenteur inventif, ouvert aux fécondités du hasard. Michel Serres aura sans doute rendu à la philosophie française son sens de la rencontre, de l’imprévu, du jeu. Il a maintenu dans ses textes cette spécialité nationale : une jubilation du savoir que l’écriture offre à goûter.
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Car il fut français aussi par sens de la saveur et du corps. Michel Serres a su rappeler que notre corps est savant. Plus sûrement que nos codes et nos cartes, il apprend le réel par ses sens et par ses fibres. Sans doute est-ce aussi un des traits majeurs de notre culture, dans la mesure où aucune contrée n’a cultivé ainsi la terre et le goût ensemble, pour les élever à la hauteur d’une fête où l’esprit et la chair ne se peuvent dissocier. Vu sous cet angle, Michel Serres sut faire vivre, en des temps peu disposés à la maintenir, une longue tradition française où ne peuvent divorcer les charmes de la plume, le travail heureux de la pensée et les générosités du cœur.
Allégresse indéfectible
Cette « francitude » universaliste anime aussi du dedans ses derniers ouvrages. Sans doute y est-elle, au premier regard moins visible. Dans Petite Poucette (Le Pommier, 2012), qui rencontra un immense succès, il souligna la rupture colossale introduite par la révolution numérique dans le savoir et dans les modes de vie. Loin de la terre et des champs, il insistait au contraire sur le fait que les nouvelles générations ne connaissaient plus qu’un monde urbain et non rural, technique et non naturel. Malgré tout, une allégresse indéfectible, qui demeure gasconne, qui marque son ancrage dans la douce France, relie directement ces analyses aux précédentes.
Lorsque le philosophe annonça finalement l’émergence d’un nouveau monde, la fin des « âges durs », l’avènement d’un temps fluide où tous les savoirs sont dans nos poches et les douleurs physiques en voie d’abolition, cette même joie charnelle et terrestre sous-tendait ces propos. En 2015, dans Le Gaucher boiteux (Le Pommier), il proclamait la paix pour tout de suite et pour bientôt le Paradis.
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Sans doute pouvait-on sourire, ou vouloir critiquer. Mais on ne pouvait oublier qu’une longue lignée d’optimistes éclairés appartient aussi à la culture française, à sa langue et à son histoire. Michel Serres, cosmopolite, c’est-à-dire, à proprement parler « citoyen du cosmos », s’y inscrivait par toutes ses fibres. En dénonçant ceux qui croient que C’était mieux avant (Le Pommier), il fustigeait, en 2017, tous les grincheux oubliant les avancées de la démocratie, de la santé et des savoirs. En fait, c’était mieux avant. Quand il était là."
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"Le monde a tellement changé que les jeunes se doivent de tout réinventer ! Pour Michel Serres, un nouvel humain est né, il le baptise " Petite Poucette ", notamment pour sa capacité à envoyer des messages avec son pouce. Nos sociétés occidentales ont déjà vécu deux révolutions : le passage de l'oral à l'écrit, puis de l'écrit à l'imprimé. Comme chacune des précédentes, la troisième, - le passage aux nouvelles technologies - tout aussi majeure, s'accompagne de mutations politiques, sociales et cognitives. Ce sont des périodes de crises. Devant ces métamorphoses, suspendons notre jugement. Ni progrès, ni catastrophe, ni bien ni mal, c'est la réalité et il faut faire avec.Petite Poucette va devoir réinventer une manière de vivre ensemble, des institutions, une manière d'être et de connaître... mais il faut lui faire confiance !"
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"Qu'est-ce qu'un philosophe ?", lui demande-t-on. À cette question, Michel Serres répond : "Un inventeur"...
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L’interview de Michel Serres - Stupéfiant ! - L'Art d'être français
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