Et écouter parler Yann Moix... (à 15')...
Yann Moix : "C'est cela le monde dans lequel vous vous ébrouez le mieux, c'est-à-dire le vrai monde, le monde de la littérature. En fait vous êtes enfermé toute la journée dans Fabrice Luchini... C'est évidemment ce qu'on reprochait à Sacha Guitry. En fait, on a commencé à aimer Sacha Guitry le jour où il est mort. Truffaut disait : ce qu'on lui reprochait c'est d'être vivant. Et dans la vie, il y a les morts et les vivants. Et vous, non seulement vous êtes un vrai vivant, mais vous faites revivre tous les morts qu'on aime. Et vous les faites revivre, non pas en les gonflant de manière artificielle à l'hélium, comme certains livres, mais vous leur insufflez la vie qu'ils ont toujours eue à notre insu. Ce qu'on ne sait pas quand on lit un texte, c'est que, c'est comme un appartement qui n'était plus visité, vous faites découvrir un moyen d'y accéder, des pièces qu'on avait jamais vues et un moyen d'y habiter... Et ce que j'adore chez vous, c'est la poésie... Poésie, cela veut dire : il y avait quelque chose qui n'était pas là, qui n'existait pas..., et poésie cela veut dire en fait le menuisier qui construit une table à partir de morceaux de bois, c'est un poète, dans la mesure où il n'y avait rien, et lui en fait quelque chose. Et ces textes qui n'étaient plus rien, car à force de les avoir appris par coeur, à force de les avoir entendus mal dits, à force de les avoir trop dits, trop prononcés, mal vus, baclés, on est devenus tous, comme le dit Péguy, des assassins des textes. Et face à un grand texte, l'on a une responsabilité. Mais cette responsabilité, aujourd'hui, tout le monde s'en branle... Parce que les profs n'ont pas le temps de faire autre chose que du social ; parce que ceux qui nous gouvernent s'en foutent complètement de la culture. Donc finalement les textes sont dans les mains de gens comme vous. Les écrivains écrivent pour qu'un jour leurs textes se transforment dans votre bouche en, justement, poésie... Quelque chose qui était là mais que personne ne voyait plus, donc c'était l'équivalent de quelque chose qui n'existait plus, et tout d'un coup, hop !, ça apparaît comme par magie, et c'est cela votre magie. Vous êtes un prestidigitateur qui, d'une manière ou d'une autre arrive toujours à nous faire redeviner Rimbaud. Redeviner, parce qu'on ne savait pas qu'il y avait tout cela derrière. Et là, tout d'un coup, ça s'éclaire. Vous êtes en fait un producteur de clarté perpétuelle. Vous braquez le projecteur sur un passage, et de manière obsessionnelle, vous luchinisez, jusqu'à temps qu'on en extraie absolument tout le suc, et ça, pour cela, je voulais vous remercier, parce que je suis un écrivain et, à titre personnel je considère que vous êtes un génie. Parce que les génies, c'est pas simplement des créateurs, ce sont aussi des passeurs. Et savoir transmettre et savoir passer, cela demande une grande grande humilité et aussi, comme je vous le dis, du génie. C'est pas à la portée de tout le monde... ça c'est un truc très personnel..."