Mithra-Nomadeblues_ (avatar)

Mithra-Nomadeblues_

Ecriture (un récit autobiographique) - poésie - sculpture - Littérature - musique - pédagogie - psychanalyse

Abonné·e de Mediapart

390 Billets

2 Éditions

Billet de blog 19 janvier 2014

Mithra-Nomadeblues_ (avatar)

Mithra-Nomadeblues_

Ecriture (un récit autobiographique) - poésie - sculpture - Littérature - musique - pédagogie - psychanalyse

Abonné·e de Mediapart

Main basse sur le vivant

Mithra-Nomadeblues_ (avatar)

Mithra-Nomadeblues_

Ecriture (un récit autobiographique) - poésie - sculpture - Littérature - musique - pédagogie - psychanalyse

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Main basse sur les vivants », de Monette VACQUIN (aux Editions Fayard – 1999)
Présentation par Sandrine Malem.
---------------------------------------------------
Monette Vacquin, psychanalyste, travaille depuis plus de 10 ans en collaboration avec des chercheurs, scientifiques, historiens, juristes, philosophes et sociologues, sur les implications de cette vaste mutation engendrée par les avancées de la biologie et de la génétique.
Dans ce livre, militant et passionné, elle interroge le désir à l’œuvre dans ces expérimentations et ces nouvelles avancées de la science, aux horizons transgressifs : désir obscur des scientifiques aux confins de leur propre subjectivité et des questions inconscientes qui tourmentent notre social.
J’ai relevé, parmi les questions que posent ce livre, celles-ci, telles que l’auteur les formule :
« Pourquoi un tel parfum, celui de l’inconscient le plus archaïque, dans la science la plus pointue ? »
« Pourquoi cette aspiration à une origine totalement maîtrisée ? »
« Pourquoi cette fixation de la technique sur ces moments de passage que sont la naissance et la mort ? »
« Quelle place avons-nous fait, en Occident, à la vie de l’esprit et à ses célébrations, pour que tant de motions, démétaphorisées, s’acharnent sur les corps ? »
Monette Vacquin partira de ce curieux constat d’un après mai 68 où le fameux « interdit d’interdire » devient ce que réclame aujourd’hui les scientifiques, que les comités d’Ethique tentent de brider. De la sexualité « libérée » des années 70, on aboutit, à travers les techniques de P.M.A., à une « origine débarrassée de la sexualité », à une « fabrique du même » qui altère l’altérité, et à ce discours en impasse de la liberté individuelle qui suscite un « droit » à l’enfant, à la santé, à l’éternité… quel qu’en soit le prix.
Ce livre est construit à partir des différentes facettes de ces problèmes actuels : analyse du discours des scientifiques à travers articles, écrits, déclarations publiques, congrès ou expositions ; actualité journalistique de la génétique et point fait sur les débats juridiques. Sont abordés tour à tour :
La fécondation in vitro
La pulsion épistémophilique dans la science
La place du juridique
Le projet de séquençage du génome humain
Le clonage
A propos tout d’abord de la fécondation in vitro, Monette Vacquin nous propose une lecture qui l’assimile à une tentative de désexualiser l’origine, en passant outre la « scène primitive », puisque la conception se passe dans ce cas hors du corps. Elle constate une disproportion manifeste entre l’effectuation de ces actes techniques et les indications médicales véritables des FIV (les stérilités tubaires, qui ne représentent que 30% des cas de stérilité, tous les autres cas relevant plus vraisemblablement de désordres symboliques qui trouveraient leur résolution d’une toute autre manière). Cette insistance de la science à « prescrire » la fécondation in vitro viendrait témoigner d’un bien curieux « empressement à prendre la place du sexuel » et Monette Vacquin d’indiquer à ce titre les nombreuses divagations auxquelles donnent lieu les dites techniques :
Naissance de jumeaux éprouvettes à 16 mois d’intervalles
Insémination artificielle avec le sperme du mari mort
Recueil et maturation d’ovocytes sur des fœtus viables
Ovaires implantés dans le bras … etc.
Selon l’auteur, la science vient mettre en acte, dans la réalité, les fantasmes infantiles les plus classiques, de type : « je ne suis pas né d’un rapport sexuel », ou « mes parents ne sont pas mes parents » ou encore « ma mère est vierge » … théories naïves qui n’ont qu’une visée : celle de se défendre du sexuel.
Au delà, ces techniques de fécondation artificielle aboutissent à un morcellement de la maternité biologique, sociale, etc., en nouvelle mise à l’écard de la paternité (les gamettes deviennent interchangeables), en confusion des générations (comme dans le cas de cette mère porteuse qui est aussi la mère du futur père …). Toutes ces expériences qui mettent à mal la filiation et la généalogie, Monette Vacquin les qualifie de « dédifférenciantes ».
Elles sont la pointe de cette pulsion épistémophilique de la science dévoyée en acharnement à vouloir maîtriser l’origine, muée en volonté de toute puissance et en risque d’instrumentalisation du vivant.
A ce titre, le vocabulaire utilisé couramment aujourd’hui dans les P.M.A. est assez révélateur : Q’il s’agisse de « projet parental » plutôt que de désir, de « stocks d’embryons congelés » plutôt que d’enfants, de « réduction embryonnaire » ou d’ « embryons surnuméraires », de « donneurs de gamètes », plutôt que de pères, etc. Ce langage frappe par sa froideur descriptive et la dimension commerciale qui s'y’attache. Le charnel et le symbolique en sont évacués. Pas de sujet dans ce discours. Refoulé, celui-ci fait retour – ou tente de le faire – dans le juridique.


Le juridique est alors appelé à la rescousse car « Il reviendrait au droit d’énoncer des interdits symboliquement efficients. »
Toutefois, à la lecture de la postface de ce livre, rédigée par la juriste C. Labrousse-Riou, il semblerait plutôt que le juridique ne pourrait venir qu’entériner l’impasse en tentant d’y pallier, comme dans ce passage qui indique bien la limite du juridique : « Pourquoi donc cédons-nous sans cesse à ce désir (fusionnel, d’instrumentalisation et d’emprise sur l’autre) et ne reconnaissons-nous la Loi que dans sa transgression, ce qui ramène le droit à son visage le plus primitif et le plus terrifiant, celui du droit pénal. »
La loi en effet, la LOI symbolique est déjà écrite, elle préexiste aux institutions, elle est extérieure au social, même si celui-ci prend appui sur elle. Et c’est peut-être à partir du défaut de son efficience ou de la transgression de ses énoncés que la loi juridique, trouve sa raison d’être. Mais le juridique ne peut être confondu avec le symbolique ni le remplacer, pas même quand le social suscite des dérives qui le malmène.
La dernière partie du livre de Monette Vacquin aborde le problème du séquançage du génome humain et les expériences de clonage. Elle y met particulièrement bien en relief le discours de justification de ces expérimentations dignes du Docteur Mabuse. Justifications sidérantes et difficilement contestables : celle des « retombées médicales futures », des « espoirs fabuleux de guérison, de vie sauvée … », comme sont interpellantes, les questions des chercheurs disséquant le génome, centrées sur les comportements, la pensée, la sexualité : « où se tient le gène de la différece des sexes ? Ya-t-il un gène de l’homosexualité ? de l’infidélité ? de la schizophrénie ?
A propos du clonage, l’auteur se livre à une drôlatique spéculation concernant les liens familiaux qui uniraient le clone d’un homme à sa famille : « De son père, il est le fils et le frère jumeau. Il est le fils et le beau-frère de sa mère qui est aussi sa belle-sœur. Il est à la fois le fils et le petit-fils de ses grands parents, le frère de son oncle, l’oncle de ses frères. Il deviendra père et grand-oncle de ses enfants, à moins que ceux-ci ne soient eux-mêmes clonés … »
Pour Monette Vacquin, prenant appui sur les écrits de Jacques Testard et Baudrillard, le clonage consiste en une vaste « régression philogénétique en amont de la sexuation et de la mort ». L’alibi thérapeutique ne fait que masquer le désir à l’œuvre : la fabrication du même et la négation de l’altérité, l’aspiration à la toute-puissance, au sans limite, à la tyrannie et à l’indifférenciation.
Elle dira en conclusion : « N’est-il pas utile de comprendre que ce qui est à expérimenter à n’importe quel prix, c’est ce qui ne parvient pas à se représenter ? Ce qui a perdu toute signification. »
A travers le séquençage du génome humain pourrait se lire la quête désespérée d’un texte devenu illisible : A.D.N. se substituant à Adonaï ? : « Comme si les pères silencieux étaient traqués dans le génome ».
Ce point concerne la rupture d’une transmission de l’expérience humaine, nous livrant comme objet d’expérimentation de la Science au lieu même où le sujet aurait à advenir comme lecteur et interprète de son propre indéchiffrable.
(Le Courrier de l’A.P.M. IN°14 Janvier – février 2001)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.