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Billet de blog 21 septembre 2018

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Le grain de la voix (2)

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Dans ma rubrique répétitive "entendre", voici à nouveau ce billet :...

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Michel Schneider : «La voix est une porte vers l'inconscient»

ENTRETIEN - Pour le psychanalyste et mélomane passionné, la voix a quelque chose de très archaïque et ­porte un immense potentiel d'érotisme et d'effroi.

Après Prima Donna (2001), il poursuit son exploration des jeux de l'inconscient dans le répertoire lyrique avec Voix du désir (juste paru aux Éditions Buchet-Chastel). Ou comment faire passer quinze opéras au crible de l'analyse freudienne. Il couche ici la voix sur le divan.

LE FIGARO. - Pourquoi sommes-nous tellement fascinés par la voix?

Michel SCHNEIDER. - Parce que c'est le premier objet que l'on perçoit in utero, et par conséquent la base de notre rapport à l'altérité, dans un monde où les autres sens que sont la vue et le toucher ne nous permettent pas d'entrer en contact avec le monde extérieur. Et c'est aussi, par là même, notre premier objet de désir, celui dont on redoute la perte ou l'absence. En ce sens, la voix renvoie du point de vue psychanalytique à quelque chose de très archaïque et ­porte un immense potentiel d'érotisme et d'effroi.

La voix serait donc un objet du désir, autant qu'elle peut en être le messager?

C'est même un des objets premiers du désir. La voix, c'est ce que l'on va attendre, désirer chez l'autre, que ce soit dans l'étreinte amoureuse ou sur une scène d'opéra. C'est l'objet que l'on ne peut pas capturer mais qui nous captive. C'est aussi l'objet perdu par excellence, celui que les garçons perdent à la puberté, et les femmes à la ménopause, période où les cantatrices sont généralement obligées de s'arrêter. Cette idée de brisure est fondamentale à l'opéra, et pour comprendre la passion dévorante de certains fans. Ce qu'on attend inconsciemment chez la diva, c'est le moment où elle va perdre la voix.

Pourquoi Maria Callas a-t-elle, plus que les autres, cristallisé cette notion de désir?

Parce que sa voix ne faisait pas que trahir ce formidable ­combat entre pulsions de vie et pulsions de mort. Si vous écoutez ses enregistrements, il est clair qu'elle a toujours eu à lutter contre cette voix plus grande qu'elle, qui lui a très tôt posé des difficultés dans l'aigu. Difficultés qu'elle surmontait par son expressivité légendaire.

Les télécrochets ont vulgarisé l'expression  signature vocale». A-t-elle du sens?

Il y a toujours dans la voix, aussi travaillée soit-elle, ce que Barthes appelle le «grain de la voix» et qui peut être une révélation de l'inconscient. Dans l'école analytique, si vous écoutez votre patient vous dire «Êtes-vous là?», l'attention aux harmoniques utilisées peut vous en apprendre beaucoup. Si celles-ci traduisent de l'angoisse, vous savez qu'il faudra chercher du côté de l'abandon. Si elles paraissent enjouées, du côté du désir.

Être un bon psy requiert donc une bonne oreille musicale?

Il faudrait qu'elle fasse partie du processus de l'analyse. Mais la plupart des psychanalystes, et Freud en premier, se méfient de la voix, justement parce qu'elle est trop proche du pulsionnel, et que l'oreille, séduite par la voix, peut être amenée en dehors du sens. Moi je pense que c'est au contraire un gain de sens supplémentaire.

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« La voix a l'air de sortir du corps. Là, vous parlez, je parle. On va nous photographier, on ne pourra jamais prouver que notre corps est dans notre voix. Et pourtant... La manière dont on parle nous révèle intimement. J'écoute beaucoup, pas seulement de la musique, mais la façon dont les gens parlent comment ils disent autre chose que ce qu'ils croient dire, comment ils mentent, comment ils se défendent. J'écoute leurs mots, mais aussi leur musique, et si ça sonne juste ou faux. Ce qui est très étonnant, c'est que vous pensez qu'il y aurait eu, pendant tout le XIXe siècle, un empêchement à cette liberté des rapports entre les mots, la musique et la voix. »

                                                                                                Philippe Sollers

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Le Grain de la voix.

"Le « grain », c’est le corps dans la voix qui chante, dans la main qui écrit, dans le membre qui exécute. Si je perçois le « grain » d’une musique et si j’attribue à ce « grain » une valeur théorique (c’est l’assomption du texte dans l’oeuvre), je ne puis que me refaire une nouvelle table d’évaluation, individuelle sans doute, puisque je suis décidé à écouter mon rapport au corps de celui ou de celle qui chante ou qui joue et que ce rapport est érotique, mais nullement « subjective » (ce n’est pas en moi le sujet psychologique qui écoute; la jouissance qu’il espère ne va pas le renforcer - l’exprimer -, mais au contraire le perdre). Cette évaluation se fera sans loi : elle déjouera la loi de la culture mais aussi celle de l’anticulture; elle développera au-delà du sujet toute la valeur qui est cachée derrière « j’aime » ou « je n’aime pas ». Les chanteurs et les chanteuses, notamment, viendront se ranger dans deux catégories que l’on pourrait dire prostitutives puisqu’il s’agit de choisir ce qui ne me choisit pas; j’exalterai donc en liberté tel artiste peu connu, secondaire, oublié, mort peut-être, et je me détournerai de telle vedette consacrée (ne donnons pas d’exemples, ils n’auraient sans doute qu’une valeur biographique), et je transporterai mon choix dans tous les genres de musique vocale, y compris dans la populaire, où je n’aurai aucune peine à retrouver le distinction du phéno-chant et du géno-chant (certains artistes y ont un « grain » que les autres, si connus soient-ils, non pas). Bien plus, en dehors de la voix, dans la musique instrumentale, le « grain » ou son manque persiste, car s’il n’y a plus là de langue pour ouvrir la signifiance dans son ampleur extrême, il y a du moins le corps  de l’artiste qui de nouveau impose une évaluation  : je ne jugerai pas une exécution selon les règles de l’interprétation, les contraintes du style (bien illusoires d’ailleurs), qui presque toutes appartiennent au phéno-chant (je ne m’extasierai pas sur la « rigueur », le « brillant », la « chaleur », le respect de ce qui est écrit, etc.), mais selon l’image du corps (la figure) qui m’est donnée : j’entends avec certitude - la certitude du corps, de la jouissance - que le clavecin de Wanda Landowska vient de son corps interne, et non du petit tricotage digital de tant de clavecinistes (au point que c’en est un autre instrument); et pour la musique de piano, je sais tout de suite qu’elle est la partie du corps qui joue : si c’est le bras, trop souvent, hélas, musclé comme le mollet d’un danseur, la griffe (malgré les ronds de poignets), ou si c’est au contraire la seule partie érotique  d’un corps de pianiste : le coussinet des doigts, dont on entends le « grain » si rarement (faut-il rappeler qu’il semble y avoir aujourd’hui, sous la pression du microsillon de masse, un aplatissement de la technique; cet aplatissement est paradoxal : tous les jeux sont aplatis dans la perfection ; il n’y a plus  que du phéno-texte).
Tout cela est dit à propos de la musique « classique » (au sens large); mais il va de soi que la simple considération du « grain » musical pourrait amener une autre histoire de la musique que celle que nous connaissons (celle-là est purement phéno-textuelle) : si nous réussissions à affiner une certaine « esthétique » de la jouissance musicale, nous accorderions sans doute moins d’importance à la formidable rupture tonale accomplie par la modernité."
Musique en jeu novembre 1972.
EXTRAITS
DES OEUVRES COMPLETES DE Roland BARTHES  
TOME 3 1974-1980

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Et celui (celle) qui a le retour du son de sa voix - s'entendant parler -, saura peut-être alors reconnaître à la voix, le comédien (la comédienne), le tragédien (la tragédienne), le faux-semblant, le bidon, le salaud, le trivial, l'imposteur, le complaisant, l'amateur, le mélancolique, l'homme souffrant ou l'homme joyeux, l'homme désirant, l'homme sensible, émotif, chaleureux, ou l'homme sans aucune émotion...

... l'homme (ou la femme) au ton sec ou affectueux, gentil ou agressif ou méchant, le ton condescendant ou snob, autoritaire ou bienveillant, le ton complaisant...

... à la voix douce ou criarde, faible ou forte...

... voix de l'enjôleuse, du séducteur, du charmeur, du flatteur, voix tendre ou doucereuse, du trompeur, de l'envouteur, du dominateur, du fasciste, de l'hypocrite, voix de l'endormeur...

... voix furibonde, en colère, ou calme ou paisible, stridente, perçante...

... voix d'homme ou de femme, masculine ou féminine, aigue ou grave...

...de l'homme présent, ou absent, ou comme le robot : vide...

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Et...

"Qui cache son fou, meurt sans voix."

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El Hadj N'Diaye - Ragajuma © El Hadj N'Diaye

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