Pendant longtemps, j'ai pensé avoir grandi dans une société qui considère que la pire chose que l'on puisse faire, c'est s'en prendre à un.e enfant. Une société traumatisée par Marc Dutroux et Michel Fourniret, et qui se déchaîne parfois violemment contre des pédophiles et des pédocriminels érigés en monstres absolus. Une société où il n'est pas rare d'entendre que l'on est "contre la peine de mort hin" mais alors "pas pour ceux qui s'en prennent aux gosses".
Je ne crois pas aux monstres, ni aux foules qui veulent leur mort. Mais j'ai sincèrement cru que la parole des enfants, leur intégrité, leur innocence avaient en France une valeur sacrée, inestimable.
Cette croyance s'est effritée peu à peu, au fil des ans et des "affaires". L'"affaire" Barbarin l'a, par exemple, sérieusement ébranlée. Cette "affaire" où l’Église française, qui se targue d'être la gardienne de "l'intérêt de l'enfant", a systématiquement silencié des dizaines d'enfants victimes de violences sexuelles, et leurs familles. J'ai naïvement pensé que ce genre d'hypocrisie odieuse était peut-être cantonnée à un clergé connu pour étouffer les scandales de pédocriminalité dans le monde entier.
Cette croyance a tout de même continué à mourir avec l'"affaire" du procès de Pontoise. Ce procès où une fillette de 11 ans a été considérée consentante lorsqu'un homme de 28 ans qu'elle ne connaissait pas, l'a violée à deux reprises. Un procès démontrant brutalement que la loi et l'institution judiciaire françaises peuvent faire horriblement défaut aux enfants victimes de violences sexuelles.
Mais c'est "l'affaire" Polanski qui a définitivement détruit cette croyance. Il m'est aujourd'hui impossible de croire que la société française aime, croit et protège ses enfants.
Roman Polanski a drogué une enfant de 13 ans, puis l'a pénétrée et l'a sodomisée alors qu'elle lui demandait, terrorisée, d'arrêter. Pour ces faits, il a été jugé et condamné. 11 autres femmes ont par la suite témoigné de faits de viol ou d'agressions sexuelles, la plupart lorsqu'elles étaient adolescentes ou enfants. Marianne Barnard raconte qu'elle avait 10 ans lorsque Polanski, qu'elle venait de rencontrer, l'a photographiée nue sous un manteau de fourrure avant de la violer.
Roman Polanski est un pédocriminel.
Pourtant, il vient de tourner un film avec de grands acteurs français, qui l'encensent et le défendent publiquement lors de leur tournée médiatique.
Pourtant, il est défendu par un écrivain français célèbre, qui estime qu'à 13 ans, sa victime "n'était pas une enfant"
Pourtant, il est commandeur des arts et des lettres.
Pourtant, son nouveau film est le troisième meilleur démarrage français de l'année.
Comment croire que l'intégrité et la parole de nos enfants victimes sont sacrées, lorsque nous leur signifions, jour après jour, que le travail et la parole de leur bourreau aura toujours infiniment plus de valeur à nos yeux?
Comment croire que nous aimons, croyons et protégeons nos enfants face à tant de complaisance médiatique et artistique?
En tant que société, nous ne pouvons pas continuer à considérer la pédocriminalité comme la pire des horreurs, tout en protégeant, défendant et glorifiant un homme condamné pour de tels faits. Ce paradoxe est devenu trop violent, trop injuste, trop insupportable. Il est temps que cela cesse.