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Billet de blog 1 août 2022

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Bin Salman en France, les intérêts transcendent les droits de l’homme.

Le prince héritier Mohamed bin Salman vient de clôturer une visite à Paris dans le cadre d’une tournée européenne décrite comme la tournée de réhabilitation internationale. Si l’ombre de l’assassinat du journaliste Jamal Khachokji a profondément affecté cette mission, évoquer la question des droits de l’homme, en temps de crise, reste une tentative périlleuse.

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C’est la France qui était le premier pays européen à venir au secours du prince héritier depuis décembre 2021, lors de la visite du chef de l’Etat, Emanuel Macron à Ryad. Certes, Paris n’est pas un allié central de l’Arabie Saoudite comparée aux Émirats Arabes Unis par exemple, mais reste un acteur de taille dans la région du Golfe et dans tout le monde arabe.

Par ailleurs, le contexte a beaucoup changé depuis 2018, l’année où un commando pénètre dans le consulat saoudien à Istanbul pour tuer et décapiter le journaliste Jamal Khachokji sous les ordres de Bin Salman comme l’avait confirmé une enquête des services de renseignement américains. Le blocus du Qatar s’est soldé par un échec cuisant et n’a rien atteint de l’ensemble des objectifs formulés dans « la liste des 13 conditions ». La guerre en Ukraine s’intensifie et les risques sont grands pour l’approvisionnement européen en hydrocarbures et en produits alimentaires. Les Emirats Arabes Unis font cavalier seul et dessinent leurs stratégies futures en toute indépendance de Bin Salman qui était hier le fidèle ami de Bin Zayed.

Beaucoup d’événements ont eu lieu depuis l’assassinat de Khachokji et ont profondément affecté les rapports entre les différents protagonistes sur la scène internationale. Bien que l’arrivée des démocrates en 2020 avec Joseph Biden à la Maison Blanche, ait accentué l’isolement de Bin Salman, la crise énergétique mondiale, causée par la guerre en Ukraine, a complètement changé la donne en faveur du dernier.

Les droits de l’homme

Deux ONG ont déposé plainte à Paris contre lui pour « complicité de torture et disparition forcée en lien avec l’assassinat du journaliste Jamal Khashokji ». La presse française et les ONG engagées dans la défense des droits de l’homme étaient presque unanimes sur ce statut. Agnès Callamard, qui avait mené une enquête sur l'assassinat du journaliste lorsqu'elle était rapporteuse spéciale de l'ONU sur les exécutions extrajudiciaires, a déclaré à l'AFP: « La visite de MBS en France et de Joe Biden en Arabie saoudite ne changent rien au fait que MBS n'est autre qu'un tueur ». De son côté, la directrice du bureau France de Human Rights Watch, Bénédicte Jeannerod, a annoncé que : « MBS peut apparemment compter sur Emmanuel Macron pour le réhabiliter sur la scène internationale malgré le meurtre atroce du journaliste Jamal Khashoggi, la répression impitoyable des autorités saoudiennes contre toute critique, et les crimes de guerre au Yémen.».

La société civile française est consciente des dérives sécuritaires et répressives des régimes arabes ayant transformé leurs pays en prisons ouvertes. En Egypte, aux Émirats Arabes Unis et plus encore en Arabie Saoudite, la chasse aux opposants politiques, aux journalistes, aux activistes de toutes les tendances n’a jamais cessé. Par contre, lorsqu’il s’agit d’intérêts économiques, les principes des droits de l’homme reculent et laissent la place aux contrats. Non seulement Bin Salman, mais avant lui Bin Zayed et le général Essissi qui étaient accueillis en Europe et en France, berceau des droits de l’homme, alors que leurs pays affichent les pires indicateurs en ce qui concerne la liberté de la presse et le respect des droits fondamentaux.

La realpolitik l’emporte toujours quand il s’agit de réhabiliter un dictateur, mais le problème réside dans l’impact que ce laxisme va avoir sur l’opinion publique arabe. Comment expliquer à des populations meurtries par la répression et la torture, que leurs bourreaux sont accueillis à bras ouverts en occident ? Comment leur faire comprendre que les valeurs universelles des droits de l’homme fonctionnent à double vitesse ?

Le monde arabe traverse aujourd’hui une grave crise sociale et économique. Cette crise s’est accentuée après l’avortement du printemps des peuples et les scènes de violence qui l’ont accompagné. Les slogans demandant la liberté et la dignité au nom du peuple ont cédé la place aux exactions et aux crimes de guerre et à des millions de réfugiés. Ni Bin Salaman ni Bin Zayed ou Essissi n’étaient loin de cette fin tragique, mais ils étaient tous les trois au cœur des forces contre-révolutionnaires ayant détruit le rêve du printemps. En Egypte, en Syrie, au Yémen et en Libye, les trois régimes ont joué un rôle clé dans la naissance du chaos et dans la propagation de la violence d’une minière directe sans se soucier de la justice internationale.

Le contexte est en train de changer et la présence américaine au Moyen-Orient affiche un net recul explicitement exprimé par le président américain lors de sa visite en Arabie Saoudite lorsqu’il a mentionné l’incursion russe et chinoise dans la région. L’Europe et plus particulièrement la France, qui dispose d’une histoire commune avec les pays arabes peinent toujours à rétablir un nouvel équilibre, dans cette composante stratégique du monde. Les intérêts économiques peuvent apporter leurs fruits sur le court terme, mais sont incapables d’apporter des réponses satisfaisantes sur le moyen et long terme. Perdre la bataille sur le front des valeurs et des principes qui sont les fondements-mêmes des sociétés et des peuples est un échec irréparable. Décevoir une nation arabe qui a longuement cru dans les valeurs universelles que représente la France, serait un pas en avant vers l’isolement et le repli pendant un moment crucial de l’histoire moderne du Moyen-Orient.

Les révolutions des peuples étaient tout simplement une dernière action pacifique contre la dictature et l’oppression. Les millions d’individus ayant manifesté dans les rues et les places rêvaient de liberté et de démocratie comme tous les peuples libres. Il n’y avait lors du déclenchement des protestations spontanées ni islamistes ni nationalistes, mais des hommes et des femmes libres aspirants à la liberté comme l’avait exprimé le peuple français un jour de l’année 1789. L’échec de cette aspiration légitime et la répression dans le sang de ce droit universel, est la principale cause de l’insécurité et des conflits qui continuent à ravager la région. C’est l’ordre régional arabe, avec l’Arabie Saoudite de Bin Salman et les Émirats arabes Unis de Bin Zayed à sa tête, qui est à l’origine de ce désastre.

Le monde arabe ne cessera jamais sa quête légitime pour l’émancipation, parce que les conditions de ce droit ne font que se renforcer dans un contexte mondial marqué par une crise alimentaire dont les prémices sont déjà palpables. La déception arabe causée en partie par un silence occidental complice ne fait qu’alimenter la méfiance collective envers un monde considéré pendant des décennies comme référence dans la défense des valeurs universelles.

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