Mohamed Hnid (avatar)

Mohamed Hnid

Maître de conférences INALCO, Sorbonne Paris Cité

Abonné·e de Mediapart

21 Billets

0 Édition

Billet de blog 4 juillet 2022

Mohamed Hnid (avatar)

Mohamed Hnid

Maître de conférences INALCO, Sorbonne Paris Cité

Abonné·e de Mediapart

Un virage diplomatique au Moyen-Orient

La forte activité diplomatique dans le Golfe, aujourd’hui, ne se cache pas. Elle est à la fois locale entre les pays arabes, mais aussi régionale entre de grandes puissances comme l’Egypte, la Turquie et l’Iran. Ceci mène à constater les prémisses d’un tournant majeur dans les relations bilatérales et un changement important dans la géopolitique de la région.

Mohamed Hnid (avatar)

Mohamed Hnid

Maître de conférences INALCO, Sorbonne Paris Cité

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’heure est au changement.

Il faut bien noter ici que cette activité coïncide avec d’autres signes avant-coureurs ayant eu lieu quelque temps auparavant et qui annoncent l’avènement d’une nouvelle phrase dans les rapports politiques et économiques régionaux. La fin -ou presque- du printemps arabe, la guerre entre l’Ukraine et Russie, la normalisation des relations avec Israël, la crise sanitaire mondiale, le sommet d’al-Ulla … Sont des facteurs clé dans la lecture de ce changement.

Le prince héritier Mohamed bin Salman, vrai décideur saoudien, a récemment entamé une visite officielle en Turquie après des années de tension entre Ryad et Ankara. L’émir du Qatar cheikh Tamim bin Hamad Al-Thani a achevé une visite officielle au Caire et a rencontré le général Al-Sissi après une décennie de désaccords et de guerre médiatique. D’un autre côté, les relations entre Ryad et Téhéran témoignent d’un retour au dialogue et un affichage diplomatique de bonnes intentions. Les Émirats Arabes Unis ont précédé les Saoudiens dans la normalisation de leurs relations diplomatiques avec la Turquie suite à la visite de Mohamed bien Zayed, prince héritier d’Abou Dhabi en novembre 2021.

Les indicateurs d’un tournant diplomatique au Moyen-Orient ne manquent pas, mais les raisons de ce changement de position sont moins perceptibles. Comment les ennemies d’hier se réconcilient aussi facilement ? La réconciliation, est-elle réelle ou bien temporaire ? Quels sont les éléments qui justifient un tel revirement dans le contexte actuel ? Comment va-t-elle impacter les différents dossiers qui secouent la région ?

Il est certainement difficile de pouvoir répondre clairement à toutes ces questions, car beaucoup d’éléments clé restent silencieux et personne ne pourrait spéculer avec clarté sur la suite des événements. Par contre, deux dossiers peuvent aider à conduire une lecture prudente de cette évolution : la sécurité et l’économie.

Naviguer en eaux troubles.

 Suite à l’élection du président américain Joe Biden en janvier 2021 et l’arrivée des démocrates à la Maison Blanche, le statut des rapports diplomatiques dans le monde arabe a connu une nouvelle orientation. On assiste soudainement à un allègement des tensions entre les frères ennemis dans le Golfe et un retour à la politique du dialogue et la recherche d’apaisement. Le dossier du nucléaire iranien refait surface avec la reprise des négociations poussées par la crise énergétique et la nouvelle guerre entre Moscou et Kiev. Le Caire ne cache pas l’impasse économique dans laquelle il se trouve risquant, à court terme, de déclencher des incidents sociaux difficiles à contenir. De son côté, le Yémen est plongé dans la pire crise de son histoire avec une famine qui dévore une population meurtrie par la guerre. Non loin de là, la Libye et la Tunisie traversent une phase de grande incertitude avec la quête d’une stabilité qui n’aboutit pas.

 C’est dans ce contexte extrêmement agité, marqué par l’incapacité des régimes à contenir les foyers de violences que cette initiative commune survienne. L’ordre régional arabe n’est pas certainement à l’origine d’une résolution semblable, car son histoire dément toute capacité d’action constructive.

Outre l’arrivée d’un nouveau régime américain, le monde arabe connaît aujourd’hui la fin d’un fait majeur ayant bouleversé toute sa structure politique sans qu’il ne réussisse à la renverser. Le « printemps arabe » arrive à sa fin, mais beaucoup d’observateurs pensent que c’est plutôt la première vague du printemps qui arrive à sa fin, car les conditions d’une nouvelle vague de protestations populaires sont plus accentuées qu’en 2011. Il est donc dans l’intérêt de tous les protagonistes régionaux de s’asseoir à la table du dialogue pour discuter les possibles moyens d’empêcher une nouvelle insurrection.

 C’est le volet économique qui risque de poser le plus de difficultés aux différents acteurs, bien que la majorité des pays concernés soient des pays riches surtout dans le Golfe. Éviter une éventuelle crise alimentaire en Egypte ne serait pas une mission facile avec un régime des plus corrompu à la tête de l’Etat. Ceci dit, la visite de l’Émir du Qatar ne va pas changer grand-chose dans le quotidien des Égyptiens, mais elle va certainement remplir les poches de la junte militaire et les hommes d’affaires affiliés au régime. Ce sont eux qui constituent le noyau dur du pouvoir et ce sont eux les vrais responsables de la décadence d’un pays aussi riche que l’Egypte. Là aussi, on assiste à une leçon représentative de la guerre contre le terrorisme version dictature arabe, où le Qatar qui était hier la première source d’instabilité, voir un allié du terrorisme international se transforme en « ami fiable, digne de confiance et pilier indispensable à la sécurité et la paix dans la région » selon la presse officielle.

 Les Saoudiens ont dépensé des dizaines de milliards de dollars pour soutenir le général putschiste et faciliter le coup d’Etat contre la révolution du 25 janvier. Alors, les investissements qataris attendus au Caire ne vont pas renverser la donne, mais vont par contre normaliser les relations entre les deux pays et mettre fin à une décennie de fortes tensions. Doha est consciente de cette réalité, mais cherche à mettre fin à une phase éprouvante suite à un blocus imposé, surtout après le sommet d'Al-Ulla le 5, janvier 2021 et l’annonce d’une nouvelle étape dans l’histoire du CCG (Conseil de Coopération des pays du Golfe). De plus, la coupe du monde 2022 n’est pas loin et c’est dans l’intérêt des Qataris que les relations avec leurs voisins soient bien stables peu importe le prix.

 De son côté, le régime saoudien ne peut plus naviguer seul surtout après les multiples scandales ayant secoué le royaume comme l’assassinat du journaliste, Jamal Khachokji, la guerre au Yémen, le Blocus du Qatar ou bien les attaques armées du Houthi qui ont terni l’image du pays. Mohamed Bin Salman ne peut plus compter sur son allié Mohamed Bin Zayed qui a choisi de faire cavalier seul et mener une course accélérée vers la normalisation avec Israël bien qu’il soit impliqué directement dans les choix politiques désastreux de son ami. Sa visite à Ankara s'inscrit dans un cadre bien particulier où les Émiratis pensent pouvoir effacer avec quelques milliards d’investissements directs, une page sombre de leurs rapports avec la Turquie. Il ne reste pas beaucoup de choix pour Abou Dhabi, après avoir conduit la guerre contre le printemps des peuples et déstabiliser des parcours de transition démocratique dans plusieurs pays arabes.

 L’Iran, comme il l’était toujours, est le grand gagnant de ce revirement de situation. Téhéran a bien profité du Blocus du Qatar en gagnant un solide allié régional sur lequel elle peut compter dans le futur. Elle a également renforcé sa présence au Yémen via ses milices Houthis qui ont démontré leurs capacités de bombarder des cibles stratégiques dans la profondeur saoudienne. Cette incursion iranienne tient principalement à la forte division qui caractérise les rapports arabo-arabes surtout dans le Golfe et qui se voit matérialisée en Irak, en Syrie et au Yémen.

     Bien que l’espoir d’un apaisement durable reste présent, l’incertitude plane toujours sur une région très fragilisée par un amateurisme politique sans fin. Il est certain que la situation sécuritaire et économique impose de mettre en place une stratégie fiable pour empêcher l’activation d’une nouvelle escalade de violence ou une nouvelle vague révolutionnaire. L’explosion des prix du pétrole et du gaz sur le marché mondial pourrait apporter, à court terme, une réponse économique à la crise régionale qui commence à s’amplifier, mais la réponse politique demeure le seul moyen capable de sauver un monde arabe au bord de l’asphyxie.   

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.