La riposte qatarie.
Lors d’une conférence de presse tenue à la capitale qatarie, Doha le Premier ministre cheikh Mohamed bin Abderrahmane al Thani a déclaré que « la médiation est une composante fondamentale de l’identité qatarie et rien ne va nous empêcher de continuer notre travail de médiateur pour garantir la stabilité et la paix dans la région ».
Malgré la gravité, de l’agression et le crime commis sur le sol d’un pays souverain, les propos des hauts responsables qataris étaient mesurés cherchant à éviter le piège israélien. Le Qatar et tous les pays au Moyen-Orient, sont conscients de l’impunité dont jouissait Tel-Aviv et c’est pour cette raison que l’état hébreu n’hésiterait pas à incendier toute la région sans craindre la moindre sanction. Les Qataris ont par contre souligner « la faillite morale des agresseurs » qui attaquent leur hôte alors qu’ils se déclarent toujours partenaires de la paix et promoteurs de la stabilité. Le Premier ministre qatari a déclaré que son pays se réserve le droit de répondre à l’attaque israélienne et a également répondu aux allégations qui accusent Doha d’avoir eu connaissance de l’agression par préciser que les Américains les ont informées de l’attaque dix minutes après qu’elle ait eu lieu.
Bien que le Qatar ne soit pas en mesure de répondre à l’attaque militairement pour plusieurs raisons surtout à cause de la nature pacifique du régime, il est certain que la paix régionale va connaître un tournant majeur. C’est la première fois dans l’histoire des confrontations entre les Palestiniens et les Israéliens qu’un pays membre du CCG soit attaqué par des avions de chasse à l’intérieur de ses terres. Certes l’armée israélienne avait attaqué presque tous ses voisins arabes y compris l’Iran, mais c’est la première fois qu’un pays du Golfe qui entretenait des relations stables avec Tel-Aviv soit attaqué de cette manière.
Les déclarations des pays membres du CCG qui ont condamné à l’unanimité l’agression démontrent leur conscience de la gravité du crime. Aucun pays du Golfe ne sera épargné dans le futur et l’armée israélienne est libre de frapper où elle veut et quand elle veut. C’est non seulement l’aspect militaire et sécuritaire qui est visé, mais ce sont aussi les accords de normalisation et tous les projets communs mis en place entre les pays du Golfe et Israël.
La logique israélienne
Pendant deux années de génocide à Gaza, Israël a attaqué tous ses voisins, le Liban, la Syrie, l’Iran, le Yémen … et ne va pas s’arrêter au Qatar, car il jouit d’une protection atlantique qui garantit son impunité sur le plan international. Il ne s’agit pas d’une logique de dissuasion contre des menaces potentielles, mais de volonté affichée à terroriser son entourage et imposer une logique meurtrière basée sur la suprématie militaire.
Si les Qataris ont qualifié l’attaque « d’agression lâche » qui menace la paix régionale et constitue une grave violation du droit international, les Israéliens eux se sont comme d’habitude félicité de devenir les seigneurs de toute la région. Le Premier ministre Netanyahou s’est félicité de l’agression, en s’appuyant sur la « guerre contre le terrorisme » et contre le Hamas. Le Hamas « mouvement de résistance islamique (en arabe) » n’est pas défini, dans la logique israélienne, comme un mouvement de résistance contre l’occupation, la colonisation et les massacres qui durent depuis 1937, mais décrit comme « une organisation terroriste et un groupe islamiste barbare ». Cette logique est fondée sur trois générateurs :
La diabolisation du Palestinien et la négation de son existence sont le premier pilier de cette logique. Le Palestinien, bien qu’il soit présent dans l’histoire et dans la réalité est condamné à l’effacement, mais lorsqu’il se manifeste comme porteur de droit et vecteur de vérité, il est alors défini comme terroriste barbare. C’est cette négation de l’autre et cette diabolisation de son existence qui va justifier non seulement tous les crimes commis contre lui, mais aussi son extermination. Même les enfants sont considérés des terroristes potentiels qui ne méritent aucune forme de compassion. Bien que le nombre de victimes civiles ait dépassé selon les estimations onusiennes des dizaines de milliers sans compter le nombre de corps ensevelis sous les décombres, la victime demeure toujours déshumanisée.
Le deuxième générateur se crée par extension du premier où la diabolisation ne se limite pas au Palestinien, mais concerne tous les Arabes musulmans y compris les pacifistes comme le Qatari. La dimension « terrorisme » ne se limite pas au « Palestinien occupé », mais couvre tous les peuples et les régimes de la région. Les propagandistes de Tsahal définissent Israël comme la seule démocratie au Moyen-Orient entourée d’un océan d’ennemis arabo-musulmans qui veulent l’anéantir. Tel-Aviv se définit comme « un rempart contre la barbarie et l’islamisme ». A partir de là, toute l’existence arabe proche ou lointaine est ciblée, car elle constitue une menace potentielle qui « abrite des terroristes liés au Hamas ». Le 1er octobre 1985, l’aviation israélienne a bombardé la ville de Hamam- chatt dans la banlieue de Tunis faisant plus de 68 victimes et plus de 100 blessés majoritairement des civils. C’était la même logique, le même crime et les mêmes prétextes.
Quant au troisième pilier, il combine agression et victimisation. Israël a le droit de se défendre et de traquer les Arabes terroristes sur les cinq continents, car elle est victime d’antisémitisme, de terrorisme et d’islamisme. Cette action ne reconnaît aucune ligne rouge et ne prend en considération aucun principe de relations internationales.
Ici, le droit international cesse de fonctionner, car il est confronté à la loi de la jungle, la loi du plus fort, du plus armé, et du plus nucléaire. Attaquer le Qatar ou bombarder la Tunisie, le Liban, la Syrie, le Yémen … ne va jamais inquiéter les dirigeants israéliens car la réaction internationale était toujours limitée à quelques textes de condamnations internationales timides.
Les conséquences.
La gravité de l’attaque ne se résume pas au nombre de morts civils déclarés selon différentes sources, mais réside dans la nouvelle dimension que le conflit vient d’acquérir. Attaquer un pays souverain qui ne représente aucune menace et qui de surplus accueille les négociations constitue une nouvelle escalade dans la violence.
Tous les pays arabes y compris ceux qui se considèrent amis d’Israël comme le Maroc ou les Émirats Arabes Unis savent qu’ils peuvent être à tout moment la cible d’une force militaire incontrôlable. Les accords de paix et les projets de normalisation mis en place pendant la dernière décennie pour établir une paix régionale durable, ne sont en réalité que chimères et mirages. Le Qatar n’est pas un pays arabe ordinaire et n’est pas non plus une dictature militaire comme c’est le cas de la majorité des pays arabes. Le Qatar est un pays modèle qui cherche à construire une identité différente à travers la médiation diplomatique, les échanges commerciaux et l’aide humanitaire. Le pays ne constitue par sa géographie et sa démographie aucune menace.
Ce modèle, qui ne plaît pas à ses détracteurs, explique en grande partie les compagnes de diabolisation et de diffamation dont il fait partie depuis le « Qatarbashing ». Les Qataris qui ont choisi d’œuvrer pour la paix, pour le dialogue et pour le respect des peuples et des opprimés payent la facture de leur choix. Si la diffamation de Doha en Europe l’a poussé à s’orienter vers l’Afrique comme nouvelle destination pour ses investissements (des centaines de milliards de dollars), la frappe israélienne a démontré une fois de plus que le projet israélien au Moyen-Orient n’a jamais été un projet de stabilité ou de paix.
Il est clairement observable aujourd’hui que le gouvernement extrémiste de Netanyahou cherche à pousser Doha loin de la table des négociations et à placer le régime putschiste de Sissi en Egypte à leur place. Sauf que les Qataris ont bien reçu le message ce qui explique l’affirmation du Premier ministre qatari Cheikh Mohamed bin Abderrahmane al Thani que « le Qatar va continuer son rôle de médiation qui constitue une composante de son identité diplomatique ». Perdre le Qatar comme médiateur crédible et fiable et le remplacer par la junte militaire égyptienne, complice de la génocide à Gaza, va planter le dernier clou dans le cercueil de la paix régional.
Le Qatar est un fervent défenseur de la solution des deux Etats et il a permis, grâce à ses efforts diplomatiques, la libération de dizaines d’otages israéliens comme il l’a fait pour des prisonniers de guerre, russes et ukrainiens. Attaquer les efforts d’apaisement et de médiation est une nouvelle preuve que la recherche de la paix représente le dernier souci de l’actuel gouvernement israélien.