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Billet de blog 14 novembre 2022

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Coupe du Monde, le Qatar dans le viseur du Canard

Dans le cadre de la vague des critiques contre le Qatar, le journal satirique « Le Canard enchaîné » consacre tout un dossier à « ce petit pays ». Au-delà des critiques, se dessine l’image d'un Orient proche, mais figé dans un imaginaire pensé révolu.

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Une vision très spéciale

C’est la première fois, que le journal présente un numéro de plus de cent pages, dédié au premier pays arabe organisateur de la Coupe du Monde. Aucun autre pays arabe n’a eu ce privilège dans les annales du journal, une première journalistique. De plus, c’est le même pays qui est l’un des plus grands investisseurs en France en dehors de la zone euro.

Un fait rare, mais chargé de sens et de contre-sens. Il ne passe pas un jour en France et en Europe sans qu’un nombre d’articles ne se consacre à ce qu’on nomme « le minuscule Émirat gazier ». L’avantage de ce numéro spécial se résume en trois points. Le premier, c’est qu’il a regroupé presque la totalité des accusations portées depuis plus d’une décennie à « ce petit pays ». Le numéro a réussi, sur quatre chapitres, à sonder les multiples facettes qui constituent son image, partant « d’une Coupe du Monde sous forme de cimetière » en passant par « la géopolitique du Qatar » puis par « un Émirat des mirages » et terminant par « les relations France Qatar ». Aucun aspect de la vie n’a été épargné y compris les écuries des chevaux et les tentes des Bédouins. Le deuxième point concerne la dimension visuelle parfois plus révélatrice des fondements sur lesquelles est construite la conception de l’Autre bien qu’ils soient plus ancrés dans l’aspect comique de l’approche. Quant au troisième point, il est propre à l’argumentation interne qui échafaude les textes et le récit, car cette argumentation permet de dévoiler les mécanismes internes et les paramètres qui guident et orientent le raisonnement critique.

Deux éléments clé constituent le contexte de la déferlante vague qui continue de s’abattre sur le Qatar. Un élément relationnel relatif à la relation franco qatari vieille d’un demi-siècle de coopération et d’intérêts communs. Le deuxième élément est plus spécifique aux enjeux politiques et stratégiques au Moyen-Orient où se mêlent les rivalités régionales et la quête de domination.

Un numéro bien chargé

En résumé, le Qatar ressemble à un enfer terrestre. Aucun point positif qui ne mérite l’éloge à part deux articles consacrés aux conditions de vie féeriques des expatriés français qui trouvent à Doha un confort fiscal introuvable ailleurs. La Coupe du Monde ressemble à un cimetière, où le « faux chiffre » avancé par The Guardian est martelé sans cesse, 6 500 décès et des logements des travailleurs étrangers qui ressemblent à des tombes à ciel ouvert. L’équipe de football du Qatar est une équipe de terroristes illustrée avec armes et explosives sur le terrain pour rappeler la vielle charge contre un pays qui soutient le terrorisme même dans les stades de foot. Tous ceux qui ont soutenu la candidature du Qatar l’ont fait pour de l’argent et non pas pour autre chose y compris le grand Zidane.

Côté géopolitique, on n’oublie pas de rappeler qu’il s’agit d’un minuscule pays aussi grand que la Corse, un Émirat microscopique à peine visible sur la carte et perdu dans le désert, mais à qui on consacre tout un numéro spécial. C’est aussi le seul pays arabe où la mère de l’actuel Emir est dessinée en chaussure sous forme de banane pour rappeler la connotation de son nom, Mouza sauf que le nom en arabe signifie la perle rare appréciée par les pécheurs d’autrefois dans le Golfe arabique. Ce dessin assez offensant à la femme arabe avant qu’il ne le soit à la personne caricaturée émane de la même argumentation qui déplore les conditions de la femme dans le monde arabe et plus particulièrement au Qatar.

Intitulé « les mille et un mirages de l’Émirat », le troisième chapitre du dossier résume la perception médiatique formulée à propos de ce « petit pays », de sa société, de son économie, de sa population, de son architecture et de ses élites. Doha ressemble à une prison à ciel ouvert où la répression, la censure et la corruption règnent comme règles de vie dans « cette ville ultramoderne qui ressemble curieusement à un mirage occidental apparu sous la tente d’un Bédouin ». On dénigre même la tour de Doha « dessinée par Jean Nouvel en forme de concombre enserré dans une fine résille et couronné d’une antenne évocatrice. « Ah, le préservatif » ! Tous les expatriés la surnomment ainsi entre eux ». Bien que la quête de modernité à l’occidentale soit fustigée, l’être arabe ne semble pas plaire non plus, car si « les Qataris ont vraiment réussi la préférence nationale, tout ça pour rester des Arabes.. c’est ballot ». C’est un commentaire qui résume en lui tout seul la perception de l’Autre.

 L’Autre en Orient

Il est certain que le Qatar représente aujourd’hui un cas très particulier sur l’échelle des parcours de développement des pays émergents. Certes, c’est un petit pays aux dimensions géographiques et démographiques très limitées, mais il bénéficie d’une grande richesse en réserves de gaz. Dans un temps record, les dirigeants du pays, « les Cheikhs », ironise le Canard, ont réussi à transformer un plateau salé et désertique en une puissance régionale qui joue dans la cours des grands. Les chiffres sont là dans tous les secteurs : économie, éducation, santé, sport, médias, infrastructures… . Le Qatar n’est pas une dictature militaire comme c’est le cas partout dans le monde arabe en Egypte, en Syrie, en Algérie, Au Soudan… Mais ce n’est pas non plus une démocratie à l’Européenne. C’est une monarchie comme la totalité des pays du Golfe qui constituent le CCG. Le plus surprenant est que seule Doha attire tant d’attention et d’intérêt dans les médias occidentaux. Un hasard ?

Il est difficile de trouver une seule réponse à une question aussi complexe, car elle dépendra largement de la position de l’interrogé. En Occident, les détracteurs du Qatar avancent les mêmes arguments depuis 2010, date de l’attribution de la compétition aux Qataris : les droits de l’homme, les conditions des travailleurs étrangers et le réchauffement climatique. Du côté de Doha, c’est la réfutation en bloc de toutes les accusations. Les responsables qataris déclarent qu’il s’agit d’une compagne de diffamation à motivation politique cherchant à intimider leur pays pour ses positions vis-à-vis des dossiers régionaux et surtout sa politique énergétique.

Mis à part la querelle insignifiante autour la Coupe du Monde, plusieurs questions demeurent sans réponse. Pourquoi le dossier des droits de l’homme ne soit martelé en Europe que lorsqu’il s’agit du Qatar, alors que tous les pays de la région sont gouvernés par des dictatures militaires ? Pourquoi on ne critique pas les prisons bondées d’opposants politiques et d’intellectuels en Egypte, au Emirats Arabes Unis, en Arabie Saoudite ou en Algérie ?

Critiquer, c’est plus que nécessaire pour une démocratie, mais sélectionner la critique relève plus de l’instrumentalisation médiatique que de la volonté d’informer. Séparer le sportif du politique est le seul garant d’un média qui informe et non pas qui déforme. 

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