De Trump à Biden
Le contexte de cette première visite est certainement différent des visites des chefs d’Etat américains précédents, car la guerre en Ukraine et la crise alimentaire et énergétique mondiale pèsent lourdement sur tous les acteurs présents. Par ailleurs, elle ne se détache pas complétement de la longue histoire ayant caractérisé les relations américaines avec les dirigeants Arabes surtout ceux du CCG (Conseil de Coopération des Pays du Golfe). Les traces de la visite de son prédécesseur, Donald Trump sont toujours perceptibles dans les relations bilatérales entre les pays membres du CCG surtout après le blocus du Qatar.
Biden a hérité de ses prédécesseurs un contexte miné par les conflits et les tensions avec une guerre interminable au Yémen, une Syrie en ruines, un Liban en faillite et un Irak en décomposition. L’empreinte américaine est présente dans ce paysage chaotique et n’a jamais réussi à mettre une fin -même relative- à la multiplication de foyers de violence comme elle l’a fait en Irak depuis 2003. Bien que Trump ait réussi à attiser les désaccords entre les dirigeants du CCG pour imposer d’énormes contrats d’armes aux différents acteurs locaux, il n’est pas parvenu à exiger les conditions d’un Moyen-Orient plus stable pour faire face à la menace iranienne.
La nouvelle visite, bien différente de la précédente, s’inscrit dans la même dynamique visant à garder la région sous une menace extérieure -réelle ou fictive- à fin d’imposer une vision basée sur les intérêts américains. Il ne s’agit pas ici de contester cette vision fidèle à son modèle fondateur depuis l’époque du pétrodollar, et même avant, mais il s’agit plutôt de l’absence de toute intension réelle à apaiser les tensions et préserver les populations de la région. Loin du conflit israélo-palestinien, la guerre au Yémen est une leçon de l’inertie américaine face aux crimes atroces commis contre les civils. Ce sont les alliés de la Maison Blanche aux Émirats Arabes Unis et en Arabie Saoudite, qui maintiennent depuis des années la population yéménite dans un cercle infernal de combats, de famine et d’insécurité. Comment parler donc de « Sommet de la Sécurité et du Développement » lorsque les acteurs présents sont les premiers responsables de l’insécurité et du sous-développement ? Quel type de partenariat stratégique entre les pays de la région et les Etats-Unis, peut-on concevoir lorsqu’il se fait au détriment des populations ?
Mirages et réalités
Bien que le sommet de Jeddah soit en terre arabe ce qui devrait impliquer nécessairement la présence de revendications locales soutenues par une stratégie unifiée de négociation, il semble que les divergences entre les régimes bloquent toute initiative commune possible. Si le Président américain a promu pendant sa compagne présidentielle de faire du royaume des Saouds « un Etat paria » suite à l’assassinat du journaliste Jamal Khajokji, le real politique a eu un autre mot. C’est principalement la production du pétrole qui intéresse le plus un Président encerclé par la hausse des prix et une inflation locale croissante.
Même ses tentatives d’intégrer Israël, dans son entourage arabe ne semblent pas être une priorité pour la région malgré les promesses de Mohamed Bin Salman et de son allié Mohamed Bin Zayed. Le prince héritier saoudien ne cherche pas à convaincre son invité, mais essaye de tourner la page d’une réputation ternie par l’assassinat du journaliste américain dans le consulat de son pays en Turquie. Le pardon américain lui permettrait certainement de devenir l’homme fort de la région malgré un dossier chargé de répression et de violence contre ses opposants. La politique de la main tendue vers les Iraniens exprimée par le prince héritier, ne convient que partiellement à la vision américaine et son allié israélien qui cherchent à garder les pays du CCG sous une menace externe. Apaiser les tensions avec Téhéran ne correspond pas au projet d’intégration de Tel-Aviv qui souhaiterait construire une alliance économique et militaire avec les pays du Golfe contre l’Iran.
De son côté, le Président égyptien, Abdelfattah Essissi, a insisté sur l’urgence de « combattre les milices, les mercenaires et les bandes armées qui agissent dans la région » faisant allusion à la situation en Libye. Bien que son pays traverse une crise économique et sociale sans précédent, le général égyptien n’apporte aucune réponse à la situation critique des droits de l’homme en Egypte. Une grande puissance régionale comme l’Egypte se trouve réduite à un minuscule acteur régional après plus d’un demi-siècle de dictatures militaires.
La position du Qatar diffère largement des autres pays arabes en soulignant que la sécurité, la stabilité et le développement ne peuvent pas être envisagées dans un contexte de guerres et de conflits. Cheikh Tamim Bin Hamad Al Thani a insisté sur la nécessité de recourir, dans la résolution de ces conflits, aux instances internationales et à la charte des Nations Unies. Sur le dossier nucléaire, il a exprimé le droit des pays de la région à l’énergie nucléaire pour des fins civiles tout en soulignant que la course à l’arme atomique exposerait tout le monde à un désastre irréparable. Le Qatar est le principal pays arabe qui s’est engagé à soutenir la population assiégée dans la bande de Gaza avec les aides financières et alimentaires. Dans ce contexte, l’Émir du Qatar a critiqué la position américaine qui ferme les yeux sur la politique de colonisation dans les territoires occupés rendant impossible toute initiative de paix. Les pays arabes se contentent de proposer des solutions à l’Etat hébreu pour résoudre le conflit comme celle prévue dans « l’initiative arabe pour la paix », mais Israël les rejettent toutes.
Sur la même question le Roi jordanien Abdallah Athani a repris la position du Qatar en soulignant que « sans la résolution de la question palestinienne et la mise en place d’un Etat palestinien sur les frontières de 1967, il n’y aura ni paix ni stabilité dans la région ». La Jordanie propose également d’intégrer l’Autorité Palestinienne dans le projet de coopération économique avancé par les Etats Unis.
Un cercle vicieux
Plusieurs observateurs pensent que la visite du Président Biden ne va rien changer dans la région sur le court terme, car même son discours sur l’incursion russe ou chinoise dans le Golfe ne convainc personne. Les Russes sont occupés par la guerre en Ukraine et les Chinois ne procèdent pas par la stratégie américaine, mais avancent lentement par les voies commerciales et l’influence économique et financière.
Le prince héritier Mohamed bin Salman a bien précisé que son pays est incapable de dépasser ses capacités de production quotidienne avoisinant les 13 millions de barils par jour. De son côté, le Qatar est engagé avec des contrats gaziers de long terme et ne peut en aucun cas fournir plus, sur le marché mondial. Ceci n’arrange guère les responsables américains qui font face à une demande croissante en énergie pour répondre à la demande locale.
Par conséquent, toute nouvelle crise régionale surtout avec l’Iran, l’autre important producteur en énergies fossiles, risque de faire flamber les prix et accentuer une situation déjà tendue. Le président américain ne part pas les mains vides, car il a réussi à signer 18 accords de coopération avec Ryad dans les domaines de l’énergie, l’investissement, les communications, l’espace et la santé. À cela, s’ajoute un accord de coopération dans le domaine militaire qui comprend le secteur de l’aviation, l’industrie de défense et un large programme de formation militaire. Bien qu’elle ne soit pas un succès semblable à celui réalisé par son prédécesseur Trump, la visite du Président Biden marque une volonté officielle affirmant que « les Etats Unis ne quitteront pas la région du Golfe ». Cette phrase, prononcée par le Président américain, sous-entend que les forces militaires stationnées dans le Golfe ne sont pas prêt à partir comme c'était le cas en Afghanistan.
Le chemin vers la paix et la stabilité au Moyen-Orient reste jalonné d’obstacles, à leur tête des régimes autoritaires et une répression sans fin à toute demande de démocratie et de liberté. La solution ne sera jamais américaine ou extérieur, mais devrait émaner de l’intérieur, d’une société plus juste, plus libre et plus démocratique.