La coupe entre deux mondes
Contre toute attente et à quelques semaines du coup d’envoi de l’événement sportif le plus suivi dans le monde, un phénomène du déjà-vu se déclenche en Europe et plus particulièrement en France. Il s’agit de critiques, d’accusations, des appels au boycott, et même une demande de sanctions collectives contre le pays organisateur. Comment alors ce « petit pays » soulève tant d’hostilité et d’animosité ? D’où émane la nouvelle vague du « Qatar-Bashing » ?
Beaucoup de questions se posent concernant l’intérêt exceptionnel affiché par les médias occidentaux pour le Qatar, car de l’autre côté de la Méditerranée, soit en Afrique du Nord ou bien au Moyen-Orient, on assiste ces derniers jours à l’émergence d’un élan de solidarité et d’un large sentiment de sympathie avec Doha. Ce nouvel élément important n’est pas pris en considération ici en Europe bien qu’il représente un tournant majeur dans la perception du Qatar dans la rue arabe. Un rapport de corrélation directe s’est mis en place entre l’intensification de la vague contre Doha d’un côté et le degré de sympathie qu’elle gagne dans le monde arabe d’un autre côté.
Cette forte tendance, enregistrée ces dernières semaines sur les réseaux sociaux, trouve ses origines dans plusieurs références. La plus remarquée est celle qui associe les critiques contre Doha à des attaques contre le monde arabo musulman. La question qui se pose est la suivante : pourquoi l’Occident accepte mal qu’un pays arabe et musulman organise une coupe du monde de football ?
Les attaques occidentales relatives à la consommation de l’alcool dans les lieux publics et les droits de la communauté LGBT, ont largement alimenté cette position parmi un grand nombre de personnes. Il ne s’agit pas ici de l’affichage d’un sentiment religieux ou nationaliste peu importe son origine, mais il s’agit d’une revendication identitaire de populations en quête de reconnaissance. C’est cette dimension qui a été clairement affichée en Allemagne par l’Émir du Qatar lorsqu’il a souligné « le droit de son pays et de son peuple au respect et à la différence ».
La Coupe et son contexte
Le 2 décembre 2010, la FIFA annonce l’attribution de l’organisation de la Coupe du Monde de Football au Qatar, une annonce qui a soulevé en ce moment quelques réactions relatives à des soupçons de corruption à l’égard de certains responsables de la FIFA. Le journal britannique, the Times qualifiait le système de désignation des pays hôtes, la Russie et le Qatar, de corrompu. Des dirigeants et responsables sont accusés d’avoir perçus de l’argent en contrepartie de voter pour tel ou tel dossier.
Il est inutile de rappeler le nombre de dossiers de corruption ayant marqué l’histoire de cette instance internationale. On n’a pas non plus besoin de démontrer que le monde du sport et plus particulièrement du football est un monde gangréner par l’argent, le dopage et toute sorte de trafics. Par contre, l’implication présumée de responsables qataris dans des affaires de corruption n’est pas une affaire médiatique ni politique. Il s’agit d’une affaire qui relève de la justice internationale et c’est à elle et à elle seule de démontrer avec les preuves nécessaires si les accusations sont vraies ou non. En mars dernier, le tribunal suisse de Bellinzone a acquitté Nacer al-Khalifi, président du PSG et Jérome Valke, ancien cadre de la FIFA après un interminable feuilleton judiciaire. Fin septembre dernier, le même tribunal fédéral suisse a acquitté Sepp Blatter et Michel Platini. Qui croire ? un Tribunal Fédéral Européen ou des plateaux télé ?
Un autre point relatif à la compagne contre le Qatar nous interpelle, car en 2010 les deux pays ayant obtenu le droit d’organisation de la compétition sont la Russie et le Qatar, mais seul le dernier était depuis plus de dix ans l’objet de toute forme d’attaques. Les violations russes des droits de l’homme ne sont devenues visibles qu’après l’invasion de l’Ukraine. De surplus, ces attaques semblent être bien synchronisées, car leur timing à la veille du coup d’envoi de l’événement mondial n’est pas une coïncidence.
Du déjà-vu
Une autre question reste sans réponse ; pourquoi toute cette focalisation sur un pays qui réussit et qui réussit très bien ? Pourquoi les Droits de l’Homme ne sont évoqués dans le monde arabe avec véhémence que lorsqu’il s’agit de Doha ? Les crimes commis par des « régimes amis » contre les droits humains en Egypte, aux Émirats Arabes Unis, en Arabie Saoudite ou en Algérie ne semblent inquiéter personne en Europe. Les contrats d’armes avec les dictatures locales semblent primés sur les droits de l’homme, un slogan qui fonctionne à double vitesse lorsqu’il s’agit du monde arabe.
Par ailleurs, les attaques contre Doha ne sont pas nouvelles, car il s’agit d’une tradition occidentale qui remonte à l’avant 2010 et qui a connu son apogée pendant le printemps arabe. Bien que le contexte de cette période soit marqué par des choix politiques de part et d’autre, le contexte présent semble dépasser les frontières d’un simple différent politique.
Les appels au boycott ne se sont pas limités aux simples acteurs politiques pour des raisons généralement bien connues, mais c’est l’implication d’acteurs sportifs et médiatiques qui soulève l’incompréhension. Les raisons ne manquent pas bien sûr, sauf que le choix de la focalisation diffère cette fois-ci. Selon les détracteurs de Doha, les appels au boycott sont motivés principalement par trois raisons : une raison fourre-tout ; les Droits de l’Homme, et deux raisons quantitatives ; le climat et la corruption. Ce qu’on remarque ici comme témoin de l’émergence d’un nouveau contexte est que l’accusation de soutien du terrorisme recule face à une nouvelle série de charges.
Prenant par exemple le fameux chiffre qui n’a pas cessé de circuler ces derniers mois en Europe ; 6 500 mots sur les chantiers des stades à Doha. L’information était publiée pour la première fois par the Gardian, mais un organisme Onusien avance une toute autre version. Un rapport des travaux de l'Assemblée nationale (JUIN 2022) présente les données suivantes : « Un rapport de l'Organisation internationale du travail a comptabilisé, en 2020, 50 décès et plus de 500 blessés liés à l’activité sur les lieux de construction. Émanant d’une agence spécialisée des Nations Unies, ce document infirme donc les chiffres avancés par le Guardian, qui faisait état de 6 500 morts depuis 2010 ». Qui croire donc ? un article de presse ou bien un rapport des Nations Unies ?
C’est pour la première fois dans l’histoire moderne du football que l’organisation d’une Coupe du Monde suscite tant de réactions et de contreréactions. Par contre, il s'agit certainement d'une leçon supplémentaire qui confirme que le sport est loin d’être totalement à l’abri d’instrumentalisation politico-médiatique. Doha a certainement gagné son pari et nous allons assister à une version exceptionnelle de la Coupe, mais le plus important est que le sport mondial devrait gagner en indépendance en demeurant une activité qui rassemble au moment où le reste des activités humaines semble diviser.