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Billet de blog 24 juin 2022

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Le Qatar, dans le « Rapport Annuel de la Paix 2022 »

Dans une étude récente publiée par le IEP, le monde arabe demeure une zone fragilisée par l’insécurité et la violence. Quelques lueurs d’espoir se dressent, par contre dans un paysage très instable ce qui permet de repenser les sources du mal dans une région en perpétuelle transformation.

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La paix Mondial

Selon son rapport annuel publié samedi 18 juin dernier, l’Institut pour l’Économie et la Paix (IEP), le monde enregistre un nouveau recul dans les indicateurs de la paix. L’étude, qui concerne 163 pays et qui représente 99.7% de la population mondiale, a alerté sur la situation critique de la paix dans le monde arabe. Si le Yémen tient la dernière position dans ce classement, le Qatar est classé 23e mondial et premier dans la région MENA (Moyen-Orient, Afrique du Nord).

Le rapport souligne que l’indice mondial a légèrement reculé en 2020 de (0,07%) par rapport à l’année précédente. La mesure des données se base sur des paramètres quantitatifs comme, les troubles civils, les tensions entre les Etats, le poids militaire, le nombre de prisonniers (politiques ou civils), le nombre des sans-abris et autres. Nous remarquons 24 indicateurs dans ce classement qui sont majoritairement liés à la sécurité et à la stabilité en général.

L’Europe, par exemple, demeure une région stable par rapport aux autres régions du monde où l’Islande arrive à la première position avec un score de 1.107 point. La France tient la 55e place et gagne 7 places par rapport à l’année précédente intégrant la catégorie « niveau de paix élevé ». Par contre, le critère militaire renvoie Paris à la 159e place sur 163 dans la catégorie des pays disposants d’armes nucléaires et de grandes exportations militaires comme les Etats- Unis, la Russie ou Israël.

Pour la zone MENA, bien qu’elle ait enregistré une légère amélioration sécuritaire, elle demeure une région à forte tendance d’instabilité et de violence. Le Yémen arrivant en dernier, remplace la Syrie qui a conservé cette position depuis 2014 à cause du chaos résultant de la guerre civile et l’intervention militaire étrangère. D’autres pays arabes comme le Soudan, marquent une chute libre dans ce classement suite à une vague de troubles internes et de conflits armés incessants. Par contre, l’indice de la Libye connaît une nette amélioration après des années d’affrontement entre les milices de Tripoli et celles de Benghazi dans l’Est. 

Le phénomène qatari

Doha est à la tête du classement dans le monde arabe avec 1.533 point occupant la 23e place mondiale devant le Koweït qui vient deuxième avec 1.739 point (39e). Cette position soulève un nombre de questions relatives au débat toujours ouvert sur ce prototype régional bien particulier.

Le pays qui était, il y a peu de temps, au centre d’un blocus agressifs orchestré par ses voisins, se dresse aujourd’hui au rang du meilleur élève sur la scène internationale. Il est le même pays qui va organiser dans quelques mois l’événement sportif le plus attendu dans le monde, la coupe du monde de football 2022. Il est également le petit Émirat qui a fait couler beaucoup d’encre durant la dernière décennie et a été qualifié des pires des accusations allant du financement du terrorisme à l’esclavage des travailleurs étrangers. Alors, qui croire ?  Le rapport international du prestigieux Think Tank, « l’Institute of Economics and Peace » ou bien la presse de la dictature arabe ?

Cette interrogation tient son importance de deux éléments essentiels. Le premier est relatif au caractère chaotique et enflammé qui domine la région où l’émergence d’un modèle pacifique comme celui de Doha ou du Koweït ravive l’espoir dans la possibilité d’un salut commun. Quant au deuxième, il émane de l’inertie qui paralyse l’ordre régional arabe et ses institutions face à une situation d’extrême urgence. Le rapport ne se trompe pas en qualifiant la région MENA de zone de violence que soit au niveau des conflits armés engagés au Yémen, en Syrie ou en Irak ou bien au niveau de l’aptitude d’autres pays de la même région à une escalade de violence.

Lire le modèle qatari dans son contexte régional est déterminant non seulement pour mieux comprendre son fonctionnement sécuritaire interne, mais aussi pour pointer les sources d’instabilité dans les pays voisins. Doha n’est pas le seul pays riche dans le Golfe et dans le monde arabe, car il est loin derrière la Libye, l’Algérie, le Soudan, l’Arabie Saoudite, l’Irak, la Tunisie...Mais il est le plus stable, le plus sûr et le moins menaçant selon (IEP). Trois données sont à prendre en considération ici :

Les populations arabes ne disposent pas d’informations claires et précises sur les richesses de leurs pays comme c’est le cas de la Tunisie, l’Egypte, le Soudan, le Yémen ou la Syrie. Dissimuler les chiffres exacts des ressources d’un pays est la première étape de son pillage et c’est la tradition pratiquée par les régimes successifs depuis des décennies. Dire que le Qatar est un pays prospère par ce qu’il est riche est un discours fallacieux et trompeur qui cache une réalité très sombre concernant le mensonge de « pays arabes pauvres ».

La démographie n’est pas un facteur entravant la prospérité ou la stabilité d’un pays, mais au contraire, elle est le pilier de la croissance, la source première de la richesse et le principal garant de la sécurité. Dire que le Qatar est stable à cause d’une faible démographie n’est pas un avantage, mais représente plutôt le principal inconvénient économique à son développement.

De plus, Doha n’était qu’un désert et un plateau minuscule reculé dans la péninsule arabique, mais la sage gouvernance de son régime et la vision du père fondateur, le cheikh Hamad Bin Khalifa Al-Thani a réussi à transformer un plateau de terre aride et salé en une puissance régional et un acteur international de taille. 

Un destin arabe commun

Il n’y aura pas de sortie de l’impasse d’instabilité qui règne dans la zone arabe sans la redéfinition des priorités communes, à leur tête la question sécuritaire. Il ne s’agit pas ici d’une définition linéaire de la dimension sécuritaire - ça veut dire dans sa composante militaire ou armée, mais il s’agit avant tout d’une conception plurielle englobant la justice sociale, le respect des droits fondamentaux (individuels et collectifs) et l’apaisement des tensions politiques. Le monde arabe et plus particulièrement les pays du CCG (Conseil de Coopération des pays du Golfe) ne manquent pas de richesses ni de compétences, mais cette richesse n’est pas orientée vers le développement de la société au service des futures générations. Elle est destinée principalement au maintien du pouvoir en place à travers les mégas contrats d’armement signés avec les grandes puissances militaires.

Les dépenses militaires en Arabie Saoudite ou même en Egypte ou au Émirats Arabes Unis représentent une grande partie du budget de l’Etat censé être destiné au développement des infrastructures, la création de l’emploi et la lutte contre la pauvreté. Cette tendance impacte considérablement la stabilité de la société et favorise l’émergence d’indicateurs de violence et de frustration sociale comme mentionné dans le rapport de l’IEP.

La guerre au Yémen, le Blocus du Qatar, le coup d’Etat en Egypte et l’ingérence militaires en Libye et au Soudan… Ne sont que les témoins d’un choix politique désastreux orchestré par « l’ordre politique régional ». Transformer les revendications populaires légitimes en scènes de guerres civiles est également le signe d’un aveuglement stratégique qui conduit à une finalité catastrophique.

La réactivation du CCG et la mise en place d’un pacte régional de solidarité qui dépasse les clivages internes et qui met fin à la guerre au Yémen, pourraient être un pas en avant. Rétablir un fonctionnement juste de la Ligue Arabe qui place la question sécuritaire au centre de ses priorités est également une initiative sur le droit chemin. Cesser l’ingérence dans les affaires internes des autres pays et mettre fin à la volonté de confisquer leurs souveraineté représentent également un signe correcteur de la dérive arabe. Par contre, continuer sur cette voie de discorde et de fuite en avant pour éviter d’affronter les vrais problèmes ne fait qu’accélérer une descente vers l’inconnu. 

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