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« On nous avait dit : nous vous apprendrons le verbe sacré, mais pour cela, il vous faudra tenir une immense épreuve. Et l’épreuve immense dura tant de temps, que nous en avons oublié le verbe sacré ! » Ahmad Shamlou
Le 1er mai 84, c’était mon baptême de 1er mai en France. Arrivée de Téhéran par un vol direct le 25 mars de la même année, chez mon oncle et ma tante, des exilés de longue date. Dissidents de toujours, d’abord contre le Chah, ensuite contre Khomeini, ils ne rataient jamais un défilé de 1er mai. Pour eux et pour beaucoup de leurs amis, c’était un jour à part. Et il fallait tout ce qui allait avec. Il y avait le Monde acheté la veille et lu au café le matin avant d’aller en manif, puis le défilé, et le bouquet de muguets acheté aux vendeurs de rue, puis parfois un Merguez et le ballon de rouge au comptoir après avoir marché avec les copains.
Je sais que ça sonne nostalgique et limite naïve, mais pour moi qui arrivais d’un pays où tout rassemblement de plus de 3 personnes était interdit, où les seules manifs autorisées étaient celles organisées par le régime. Où on se retrouvait en prison pour un oui pour un non, et où l’on pouvait même en mourir... C’était impressionnant le 1er mai en France. Un moment de communion. Une fête immense. Il y avait parfois des bavures, des débordements, des graves même… Mais le 1er mai restait sacré. Quelque part, on avait encore confiance en la démocratie à la française.
Etions-nous naïfs ? Sans doute, car il ne faut rien considérer comme acquis à jamais. Ainsi va le monde.
Donc il y a eu les premières brèches sérieuses. Entre autres le 21 avril 2002. Le Chirac contre Le Pen. Puis le 1er mai 2002 pour mettre les choses au point ! Une foule si dense qu’à République, on ne pouvait même plus bouger. Je n’avais jamais vu la place aussi bondée. La foule, était magnifique, de toutes les couleurs, et confiante. Et le 5 mai 2002, la France a fait un vote barrage. Elle savait encore bien le faire à l’époque. Puis il y en a eu d’autres des votes barrage, dont celui de mai 2017. Et elle l’a encore fait la France, même si un peu moins bien qu’avant. Le 1er mai qui a suivi, celui de 2018, les gens étaient encore là massivement, pour bien marquer la différence entre leurs convictions politiques et leur vote barrage.
Mais ce jour-là, il y a eu rupture de confiance entre le pouvoir et le peuple. Je ne parle pas des casseurs ou des black blocs qu’il faut maîtriser. Je parle de simples manifestants pacifistes, d’une foule joyeuse qui joue de la musique et qui veut faire son défilé de 1er mai et que les policiers ne laissent pas manifester.
Je parle de l’incident Benalla du 1er mai 2018 et dont on ne tira pas les leçons nécessaires. Je parle de l’entrée du verbe « nasser » dans la langue courante et de la banalisation du verbe « gazer » ou « se faire gazer » dans la langue française. Il y a de quoi réfléchir sérieusement !
Pendant tous ces mois de lutte contre la réforme des retraites, au hasard de mes déplacements en Europe avec mon dernier film, que ce soit en Grèce, en Slovénie, en Hongrie ou en Allemagne, les gens étaient admiratifs du courage des français et beaucoup disaient n’avoir jamais vu une telle ténacité. Le 49.3, on le voyait (re)venir, mais il y aura le conseil des sages, se disait-on. Hé, non ! Les sages ne l’ont pas été, cette fois. Le 17 avril, je prends acte de l’allocution présidentielle dans mon train de retour. Arrivée à Paris, changement à République, je vois le quai de métro noir de policiers en uniforme anti-émeute et je sens une forte odeur de lacrymo. Le 20 avril, un arrêté interdira « les dispositifs sonores portatifs » lors du déplacement présidentiel dans l’Hérault. Allons aux muguets ce 1er mai 2023 et voyons ce que la France nous réserve.
با ما گفته بودند:
«آن کلامِ مقدس را
با شما خواهیم آموخت،
لیکن به خاطرِ آن
عقوبتی جانفرسای را
تحمل میبایدِتان کرد.»
عقوبتِ جانکاه را چندان تاب آوردیم
آری
که کلامِ مقدسِمان
باری
از خاطر
گریخت !