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Il s’agit d’une forme de combat car les images qui nous ont été transmises ont toujours été produites par le pouvoir. Le régime avait la mainmise sur les images de la guerre. Par conséquent, l’iconographie existe, mais elle est biaisée, m'obligeant à redoubler de vigilance et, à expliquer à l’équipe artistique du film comment éviter de reproduire des images de propagande lorsque le design du film était en cours. Face à ces livres et photos qui nous ont permis de restituer l’ambiance de la ville d’Abadan, il fallait garder une double lecture. Avec ce film, j’ai donné ma version de la réalité de ce conflit en m’appuyant sur un socle historique. Pour laisser une nouvelle trace dans le récit tronqué de cette guerre.
L’animation sert de filtre et permet d’instaurer une distance salutaire avec la brutalité de la guerre, même s’il fallait évoquer le conflit avec précision. L’animation peut aussi nous rapprocher des émotions des personnages grâce à des séquences métaphoriques.
ENTRETIEN AVEC SEPIDEH FARSI
En ce qui concerne la mise en scène, la caméra est souvent proche du sol, pendant les scènes de guerre, ou bien elle s’élève lorsque nous sommes au plus près d’un personnage. Cette démarche était-elle voulue pour la composition des plans ?
Je voulais que le découpage soit très spécifique et nous y avons beaucoup travaillé avec les story-boardeurs. Nous avons fait un usage très particulier des angles de prises de vue, et il y a pas mal de plans en plongée ou en contre-plongée pour marquer la peur d’un personnage ou pour donner un point de vue plus fort à la narration et mettre en avant un élément de l’intrigue – notamment s’agissant des scènes de guerre ou des moments où les personnages sont en danger.
Le message du film a des résonances particulières avec l’actualité. Vous y attendiez-vous ?
Cela fait plus de 40 ans que des mouvements de révolte existent en Iran. Du coup, ce qui se passe dans ce pays ne vient pas de nulle part. Avec le mouvement Femme/vie/liberté, c’est l’ensemble de la société qui s’engage. Beaucoup de jeunes (60% de la population iranienne a moins de 35 ans) veulent une société moderne et progressiste. Les sujets abordés dans La Sirène auraient été d’actualité à un moment ou à un autre.
Quel est votre espoir pour la société iranienne ?
Je suis toujours restée très proche de mon pays. Malgré la répression politique et la censure, les Iraniens ont toujours été créatifs. La révolution iranienne s’inspire de bien d’autres mouvements contestataires : celui de l’Ukraine ou celui de Hong Kong de 2019. Malgré l’intensité de la répression du régime, la rébellion a toujours sa place. Le pouvoir est fragilisé par de profondes fractures et je pense que la chute du régime est pour bientôt.
Où avez-vous vécu pendant la guerre Iran-Irak ?
J’étais adolescente comme Omid et Pari quand la guerre a éclaté. Je suis restée en Iran jusqu’en 1984 et j’ai vécu la deuxième moitié de la guerre depuis la France. J’étais obligée de partir car on ne m’autorisait pas à suivre des études en Iran et que j’avais connu la prison pour mon activisme au lycée. A l’époque, nous vivions comme des doubles dissidents : nous n’avions plus voulu de la monarchie et nous ne voulions pas plus du pouvoir des religieux. Le régime nous considérait comme des ennemis de l’intérieur.
Quel message voulez-vous porter à travers l’histoire d’Omid ?
En cherchant son frère parti au front, Omid, malgré son jeune âge, songe à ce qu’aurait pu être sa vie sans cette révolution et sans cette guerre. Mais il ne se résigne pas et s’engage. C’est ce que nous ressentions au début des années 1980 : nous avions le sentiment qu’on nous avait volé quelque chose. C’était une révolution volée – c’était dramatique, comme si on avait raté une marche. Et ça n’a fait qu’empirer.