Nous étions, tous ceux mobilisés pour soutenir Nasrine Sotoudeh, morts d’inquiétude. Transis devant les ordinateurs à guetter la mauvaise nouvelle, car depuis quelques jours, l’état de santé de Nasrine s’était beaucoup dégradé et pourtant, elle avait annoncé qu’elle maintiendrait sa grève de la faim illimitée tant que sa demande n’était pas entendue par les autorités iraniennes.
Nous étions sans espoir et chaque jour qui passait nous rapprochait d’une probable catastrophe, mais la bonne nouvelle finit par tomber mardi soir.
Nasrine Sotoudeh venait de mettre fin à sa grève de la faim après 49 jours, puisqu’elle avait obtenu gain de cause : l’interdiction de quitter le territoire iranien prononcée à l’encontre de Mehraveh, sa fille de 12 ans, venait d’être levée.
La nouvelle est passée presque inaperçue ici, perdue dans le flot des nouvelles sur la politique française et les conflits internationaux, mais pour les dissidents iraniens et pour Nasrine Sotoudeh, c’est une grande victoire.
Mais qui est Nasrine Sotoudeh ?
Avocate et militante des droits de l’homme et de la femme (et ce n’est pas peu dire en Iran !), elle a été condamnée en 2010 à 11 ans de prison et à 20 ans d’interdiction de pratique de son métier, uniquement pour avoir défendu des prisonniers de conscience et des mineurs condamnés à mort (et ce, très souvent sans honoraires). Mais même en prison, elle a continué à résister, ainsi, elle a vu ses droits de visite diminuer, a eu une amende pour le mauvais port du voile, a été en solitaire plusieurs fois… tout pour la mettre à genoux, allant même jusqu’à l’atteinte aux droits de son époux et ses enfants.
Mais là où beaucoup de prisonniers de conscience iraniens et leur famille ont dû subir la répression du régime iranien en silence, Nasrine Sotoudeh a décidé de tenir tête et grâce à sa ténacité et au réseau de solidarité international qui s’est mis en place pour la soutenir (et peut-être aussi grâce au prix Sakharov, qui vient de lui être décerné par le parlement européen et dont elle est co-lauréate avec Jafar Panahi, le cinéaste iranien), Sotoudeh a réussi à faire reculer les autorités iraniennes sur cette absurde peine prononcée à l’encontre de sa fille.
La victoire de Sotoudeh est d’autant plus importante que l’Iran vit l’une des périodes les plus sombres de son histoire, après les massacres des dissidents pendant les années 80.
Sans avoir de statistique précise quant aux nombre actuel des prisonniers de conscience iraniens (en grande augmentation depuis les élections usurpées de 2009), on peut juger de la sévérité de la situation, rien que par le nombre d’exécutions en Iran en 2012 (474 personnes cf. http://www.iranhrdc.org/english/publications/1000000030-ihrdc-chart-of-executions-by-the-islamic-republic-of-iran-2012.html#.UMH2ybYhLbk).
La liste des militants, victimes des exactions du régime iranien est longue. Pour n’en citer que quelques-uns…
- Sattar Beheshti, jeune blogueur, mort sous la torture en novembre 2012, une semaine après son arrestation.
- Haleh Sahabi, militante des droits de l’homme, morte en juin 2011 sous les coups des « plainclothes » pendant l’enterrement de son père Ezatollah Sahabi, figure importante de l’opposition iranienne.
- Hoda Saber, journaliste et militant, mort en juin 2011 pendant une grève de la faim en prison.
- Nazanin Khosravani, journaliste, condamnée à 6 ans de prison.
- Shiva Nazar-Ahari, membre du Comité des reporters des droits de l'homme (CHRR) et ayant participé au lancement de la campagne « Un million de signatures » contre la discrimination des femmes (initiée par Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix), condamnée à 6 ans de prison et 74 coups de fouet.
- Abdolfattah Soltani, avocat et militant des droits de l’homme, condamné à 18 ans de prison et 20 ans d’interdiction de pratique de son métier et transféré à la prison de Borazjan, très loin de Téhéran, son lieu de résidence.
- Issa Saharkhiz, journaliste et activiste, condamné à 3 ans de prison et 5 ans d’interdiction d’activités médiatiques et politiques a été battu à plusieurs reprises par les gardes de prison.
- Bahareh Hedayat et Mahdieh Golrou, étudiantes activistes, l’une condamnée à 9 ½ et l’autre à 3 ans de prison, ont passé plusieurs semaines en solitaire.
- Madjid Tavakoli et Kouhyar Goudarzi, deux autres activistes étudiants, sont condamnés respectivement à 8 ½ et 6 ans de prison. La famille de Kouhyar Goudarzi était sans nouvelles de lui pendant un an, et sa mère même avait été arrêtée à cause de lui.
Sans citer les citoyens de confession Bahaï dont les arrestations continuent, persécutées sur le simple fait de leur croyance religieuse.
Ou le groupe « Mères du parc Laleh », mères des victimes de répression lors du soulèvement de 2009 et qui sont systématiquement arrêtées et incarcérées pendant leurs manifestations pacifiques.
Et cette sombre liste est loin d’être exhaustive.
L’association « Human Rights House of Iran » (http://www.rahana.org/en/) a d’ailleurs annoncé, il y a peu, qu’elle mettait fin à ses activités provisoirement, compte tenu des récentes pressions exercées à l’égard de ses membres.
C’est dans ce contexte d’isolement du régime iranien, accentué par les boycotts exercés à son encontre, que la victoire de Nasrine Sotoudeh devient d’autant plus importante et montre que la République Islamique d’Iran n’a plus les moyens de jouer à l’indifférence face à la pression internationale.
Aux gouvernements occidentaux d’en tirer les justes conséquences pour ne pas sacrifier, une fois encore, le dossier des droits de l’homme iranien sur l’autel du dossier nucléaire, certes extrêmement délicat, mais loin d’être le seul problème de la société civile iranienne.
Sepideh Farsi