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Billet de blog 11 octobre 2022

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Les antichambres d'une révolution en marche !

Aujourd'hui, un grand appel à manifester, est en cours en Iran. Dans des dizaines de villes, les gens sont dans la rue. Présence policière très renforcée partout. Les nouvelles arrivent très détaillées. Des vidéos arrivent aussi. Après Téhéran, Mashhad, Shiraz, Ispahan, Rasht. Et les villes du Kurdistan iranien continuent à résister: Sanandaj, Saqqez, Mahabad. La liste n'est pas exhaustive.

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Illustration 1
Appel à manifester en Iran mercredi 12 octobre © anonyme

Collée à l’écran de mon ordi, les yeux fixés sur les tweets qui défilent, à déchiffrer les nouvelles. Avant-hier c’était l’incendie à la prison de Rasht, et la fusillade des prisonniers, puis c’était les tirs à Sanadaj et la nouvelle des blindés qui avançaient vers la frontière des territoires kurdes autonomes en Irak, hier à l’aube les premières nouvelles de la grève qui commence à poindre dans la raffinerie d’Assalouyeh et ce matin à Abadan. Et la répression à Zahédan (au Baluchistan) qui continue dans le noir quasi totale, l’internet étant coupé à Zahédan depuis deux semaines, les nouvelles arrivent au compte-goutte. Mais je sais de source sûre qu’ils manquent de sang, de médicaments, de tout. Et je reste rongée par la frustration d’être si loin d'Iran.

J’essaie de joindre ma mère sur whatsapp et imo entre autres plateformes, mais n’arrive pas à la joindre, une fois en deux semaines seulement, tant les connexions sont difficiles pour ceux qui n’ont pas de VPN. Nouvelle de ce matin: "imo" a été coupé.

Oreillettes enfoncées dans les oreilles, je roule sur mon vélo dans les rues de Paris à écouter mes compatriotes parler dans les antichambres de la révolte. La journée, la soirée, puis à la maison, la nuit, en somnolant, essayant de suivre au plus près cette « Révolte » qu’on appelle maintenant « Révolution ». Depuis quelques jours, les opposants iraniens ont délaissé les hashtags « révolte » et « protestation » pour n’utiliser que « IranRevolution2022 ». Seul autre hashtag, resté en tête de liste, tout au long de ces quatre semaines de combat est celui de #MahsaAmini. Le nom du code du mouvement qui secoue l’Iran.

Dans les « twitter rooms » ces espaces de parole qui existent depuis quelques mois et qui ont été détourné par les iraniens pour devenir les antichambres de la révolution de 2022. Pour se passer les infos du mouvement, des dizaines de milliers d’Iraniens partout dans le monde échangent à travers twitter. Ceux de la diaspora, et ceux de l’intérieur. Des jeunes et des moins jeunes. Celles et ceux qui tiennent la rue à l’intérieur du pays, qui rentrent se reposer, partager des nouvelles avant de ressortir, ceux qui soutiennent la résistance depuis l’extérieur en manifestant dans les grandes villes du monde entier. Celles et ceux qui donnent des astuces, ou en envoyant des abonnements de VPN en Iran pour que les « enfants » comme ils s’appellent entre eux avec affection, puissent venir se connecter malgré le filtering massif exercé par le régime. On pleure d’émotion, on s’insulte pour des différents politiques, puis on s’excuse et on s’envoie des mots d’amour à distance, souvent à des quasi inconu.es. Les plus âgés partagent leurs expériences de 1979. D’autres parlent des astuces qu’utilisent les Ukrainiens pour résister aux Russes. On se moque de Poutine. Puis on change de sujet pour parler de « l’après la victoire » et des alternatives politiques à trouver pour la période de transition avant la tenue d’un référendum national pour déterminer le type de régime. Depuis quatre semaines, les iranien.ne.s battent le pavée dans les rues et font vibrer la toile.

Il y a deux nuits, sur un « espace » twitter, l’oncle de Sarina Esmailzadeh, lycéenne de 16 ans, tuée lors d’une manif en Iran la semaine dernière nous parle des rêves de Sarina en sanglotant. Et nous l’écoutons en pleurant. Un peu plus tard, arrive un jeune homme rentrant d’une manif et déclare d’une voix brisée qu’il est blessé à la chevrotine, qu’il est tout seul chez lui et demande de l’aide. L’oncle de Sarina reprend le micro et dit qu’il est médecin et à même de le guider à distance pour extraire la chevrotine. Nous avons le souffle coupé à écouter ce quinquagénaire, voix tremblante d’émotion, guider ce jeune homme qu’il ne connaît pas, le rassurant autant qu’il le peut, pour qu’il parvienne à être précis dans son geste malgré sa douleur et extraire la chevrotine sans causer plus de dégât. Un grand moment de silence numérique s’écoule, puis, le jeune homme souffle et dit qu’il a réussi. Nous relâchons nos souffles de concert.

L’un des derniers messages arrivés de Sanandaj était : pas la peine de nous consoler pour nos morts, faites comme nous pour résister.

Hier après-midi, une des chambres avec des participants de l’intérieur d’Iran a fermé ses portes. Les jeunes se sont donné le mot avant de quitter l’espace, sans nommer personne, ni donner d’endroit, juste quoi prendre pour se défendre, comment résister aux attaques, comment purger son téléphone, comment tenir en cas d’arrestation. La dernière phrase de l’hôte était : soyez prudents les enfants, revenez en forme et à demain !

Aujourd'hui, un grand appel à manifester, est en cours en Iran. Dans des dizaines de villes du pays, les gens sont dans la rue. Présence policière très renforcée partout. Les nouvelles arrivent très détaillées. Des vidéos arrivent aussi. Après Téhéran, Mashhad, Shiraz, Ispahan, Rasht. Et les villes du Kurdistan iranien continuent à résister: Sanandaj, Boukan, Saqqez, etc. Les grèves de la pétrochimie se répandent à Assalouyeh, et à Abadan. Un appel similaire est lancé pour demain. Vendredi matin sera l'heure de vérité, pour voir qui des deux camps a eu la main haute pendant ces 48h. Je retiens mon souffle.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.