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Billet de blog 13 novembre 2013

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Le soleil comme seule certitude

Athènes. A mi-chemin entre Paris et Téhéran. Enfin presque… Je m’y sens chez moi. Athènes me rappelle Téhéran, ma ville, où je n’ai pas pu mettre les pieds depuis 2009. Je m’y sens plus libre. Beaucoup plus libre qu’à Téhéran.

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Athènes. A mi-chemin entre Paris et Téhéran. Enfin presque… Je m’y sens chez moi. Athènes me rappelle Téhéran, ma ville, où je n’ai pas pu mettre les pieds depuis 2009. Je m’y sens plus libre. Beaucoup plus libre qu’à Téhéran.

Athènes. Il fait encore doux pour la saison. 

Je fais un tour dans le quartier où je m’installe d’habitude. Exarchia. Le quartier « anarchiste ». Premier choc, l’école polytechnique n’a pas rouvert ses portes cette année. Programme de « mobilité » imposé par le gouvernement, faute de budget et donc grève des universitaires depuis 9 semaines et pas de rentrée universitaires. Polytechnique qui avait tenu face à la volonté des colonels, a été ébranlée 30 ans après.

 Je vais chez mon disquaire favori, qui a une collection extraordinaire de Vinyles jazz & blues. Boutique fermée. Je me renseigne. On me dit qu’il a fait faillite depuis peu. Et il fait quoi maintenant, je demande ? Agent de sécurité dans une boîte privée, me répond-t-on. C’est une des très rares branches fleurissantes en Grèce ces temps-ci. Le lendemain, quand je vais à la gare pour prendre le train régional pour me rendre au studio de mon monteur son, qui s’est installé chez ses parents à la campagne, parce qu’il ne peut pas se payer de bureau en ville, je vois que même les quais de la gare sont gardés par une compagnie de sécurité privée.

Après l’expertise sonore, il s’avère qu’on doit enregistrer quelques sons additionnels. Quelques cris isolés. Je contacte l’ingénieur du son de mon film pour le faire. Il me dit que son dernier tournage a été le mien, au printemps. Que n’ayant rien fait depuis, il a même pensé aller travailler chez un copain mécanicien, mais bon, il tient encore en bricolant. Heureusement que ma femme travaille, me dit-il.

Son percheman a d’ailleurs déjà quitté Athènes, pour ne plus payer de loyer, et vit avec ses parents à Thessalonique, en attendant d’être appelé pour un prochain tournage.

Le prochain que je contacte est le photographe de plateau du film. Quand je le trouve enfin, en lui envoyant un mail, il me dit qu’il n’a plus de téléphone, comme il ne peut plus le payer. Qu’il cherche du boulot.

Je prends le trolley, la fameuse ligne 11 qui va à Pagrati. Pas possible d’acheter de billet dans le trolley. Le conducteur me dit qu’il va s’arrêter à Syntagma pour que je descende acheter un billet. Le trolley m’attend, mais le guichet de vente est fermé. Je remonte en m’excusant. Il me dit, c’est pas de votre faute ma petite dame, chausse ses lunettes de soleil et remet le trolley en marche. Deux dames d’un certain âge, proposent leur place à une troisième, qui paraît pourtant avoir le même âge que les deux premières. Celle-ci décline avec un sourire et reste debout, à regarder les rues défiler. En passant devant une église, je surprends deux jeunes femmes signer la croix sur leur poitrine.

Mon étalonneur aussi est freelance. Photographe à ses heures perdues, il travaille chez lui et fait même le DJ parfois. Son amie est institutrice et doit faire 35 Km pour se rendre à son école. Voiture obligatoire, car pas de transport en commun qui déssert cette commune-là.

On a à peine démarré le travail sur mon film que je reçois un appel d’un ami comédien, m’annonçant que la police a forcé son entrée dans l’enceinte de ERT, la télévision publique dont le gouvernement avait brutalement signé l’arrêt de mort en juin dernier, et où un roulement avait été mis en place par des employés qui refusaient de se résigner, formant une sorte de télé pirate, dont les programmes étaient diffusé par un satellite mis à leur disposition par l’union des chaînes de télé européennes. Mon collaborateur me dit : à l’époque, j’avais un CDD d’un an à ERT, pour digitaliser les archives. D’une valeur  inestimable. Mon CDD cesse au bout de deux mois par la fermeture d’ERT. J’ai pourtant participé aux piquets pendant trois mois, mais après, j’ai dû abandonner. Il faut bien vivre, me dit-il, mais je comprends toujours pas pourquoi ils ont fait ça. ERT n’était pas déficitaire.

Un certain nombre d’anciens ERTiens ont commencé à travailler dans la nouvelle télé publique relancé par l’état grec avec un très petit effectif, sans concertation avec les syndicats d’audiovisuel. Et là, le gouvernement, estimant que cela suffisait, a envoyé les flics à 4 heures du matin, pour mettre fin à cette résistance télévisuelle. A midi, il y a 5000 personnes et le soir 15 à 20000 manifestants, devant les grilles d’ERT fermées par un cadenas et une paire de menottes, qui sert de serrure ! Combien de temps tiendront-ils ? Qui sait ? C'est là qu'on me parle du livre de Naomie Klein,  Stratégie du Choc, que je ne connaissais pas. Je fais une petite recherche sur le net. Il y a même un documentaire, basé sur ses travaux, disponible sur Youtube avec des soustitres en grec. C'est dire que l'information circule. Et cette fois, c'est en taxi que je me sauve, en retard à un autre rendez-vous. Le chauffeur de taxi me montre le parlement en passant à Syntagma et me dit qu'il a envie d'y jetter une bombe.

Le soir, de retour à Exarchia, je me retrouve au bar, la Cerisaie, repaire de théâtreux en face d’un jardin public autogéré, bâti sur un ancien parking. C’est là que j’entends parler de Golfo. Le lendemain soir, dans les murs du théâtre national, entouré d’un public dont la moyenne d’âge frise la soixantaine, je découvre la fameuse histoire d’amour entre Golfo et Tasso. Sobre, inventif et d’une modernité époustouflante. Une des meilleures mises en scènes que j’ai vues ces dernières années.

Après le spectacle, je retrouve Angélique, ma serveuse préférée, au visage toujour éclatant, au bar du coin, Ginger, où les coctails sont magiques. Etonnée, je lui demande pourquoi elle y travaille encore, puisqu’elle avait trouvé du travail dans une ONG au printemps dernier. Pour voir du monde, au lieu d’être toute seule chez moi, et pour arrondir mes fins de mois, me dit-elle. Puis, elle s’agenouille à mes côtés pour me traduire un passage de mon livre grec que j’ai du mal à comprendre. Le prix des consommations est quasi le même qu’à Paris. Les charges sont si élevées, dit-on, que si on baisse les prix, il faut fermer boutique.

Une autre amie, française celle-là, qui travaille à Athènes, me raconte qu’elle paie pour 2 heures de chauffage par jour, environ cent euros par mois. Le gaz est beaucoup plus cher qu’en France, tout comme l’électricité et le téléphone. Moi, je m’en sors, comme j’ai un salaire d’expat, dit-elle. Mais il y a des gens dans l’immeuble qui n’arrivent même plus à payer l’eau. L’électricité, on la rétablit, surtout en hiver. Mesure de solidarité mise en place par les employés du réseau public.

Pour le long week-end du « Jour du Non »[1], je décide d’aller dans une petite ville près de Delphes pour rendre visite à mes amis. J’arrive à la gare routière un quart d’heure avant le départ du car, mais le guichet est fermé. Plus de billet, me dit-on, mais allez voir dans le car. Le conducteur me confirme ne plus avoir de place, mais quand il voit ma mine déconfite, il me propose de faire le voyage sur le marchepied.

Chez mon amie, je vois des meubles dans le couloir. Elle me dit, qu’elle a réussi à les vendre, pour tenir encore un peu, car sa retraite (de haut fonctionnaire) ne suffit plus pour vivre et payer ses impôts, et de fait, ses dettes aux impôts se creusent chaque année un peu plus. Elle sort beaucoup moins, passe son temps devant son ordinateur à jouer à la patience, en regardant les programmes de la télé résistance. Elle n’utilise plus le téléphone. Elle skype avec son fils, pour voir son petit-fils de deux ans, qui habitent Athènes. Son fils et sa belle fille sont tous les deux au chômage. On verra bien, me dit-elle. Le soir, elle va assister à une réunion de gens de gauche, anti « Aube Dorée ». Beaucoup me parlent d’ailleurs, plutôt inquiets, de la récente tempête médiatique sur la montée du FN en France.

Repérage à faire au port de Pirée pour mon prochain film. Je pense ne pas avoir le temps de faire les démarches administratives, mais je tente le coup. Le coup de fil d'un ami producteur m'ouvre les portes. Sous un soleil sans faille, accompagnés par un employé de port, on visite les lieux, silos désaffectés, grues, bateaux naufragés, bateaux de pêche, ferrys. Des cabanons fabriqués avec des palettes dans lesquels vivent quelques sdf. Plus loin, même des pêcheurs. Immense Pirée. Impressionant. Et en même temps, à portée de main, comparé au Port Autonome de Marseille. De loin, sous un portique, je vois un homme, assis sur trois matelas empilés, entouré de plusieurs chiens. Notre guide nous explique que c’est un Allemand qui vit là depuis dix ans, ou peut-être vingt, il ne sait plus. Le temps semble soudain à l'arrêt. Je lui demande comment est-ce possible que personne ne l'ait encore chassé de là ? Il me répond, bien sûr c’est interdit de vivre là, mais bon, il ne fait de mal à personne cet homme. Il dit en souriant, de toute façon, on peut pas s'approcher de lui, car ses chiens mordent !

Je demande à visiter la douane et la police du port. Notre guide nous indique le chemin, puis nous montre une autre partie du doigt. C’est la partie COSCO (société chinoise qui a obtenu une concession de 30 ans sur une grande partie de Pirée). Là, c’est même pas la peine d’essayer, vous n’y mettrez pas les pieds.

Avant de nous saluer, il nous souhaite bonne chance, et dit qu’il espère ne pas être là quand on sera de retour pour le tournage. Il a demandé à être muté, mais rien n’est sûr ici, vous savez...

On continue notre tour, le long de la mer qui scintille sous le soleil. Le long des murs qui portent la trace des passagers. Couverts de noms, dates et bouts de messages. On traverse Perama, le quartier où le rappeur Pavlos Fyssas, a été assassiné par des membres de l’Aube Dorée, il y a peu. Sur la petite place, plusieurs cafés et quelques clients. Aucune trace tangible du récent drame. On continue à longer la mer et soudain, mon ami producteur s’anime, montre une petite île du doigt. Salamine. C’est là que la bataille navale a eu lieu, dit-il, que les Grecs ont battu les Perses. C’est de là, en haut de cette falaise que Xérès, le roi perse, a contemplé la bataille, assis sur une chaise. La mer était rouge. Les femmes et les enfants s’étaient réfugiés là pour fuir les Perses. La flotte perse était trop grande pour pouvoir se déployer correctement dans l'étroit derrière l'île. C’est ainsi que les Grecs ont pris le dessus. Ses descriptions sont vivantes. L'espace d'un instant, on est loin dans le temps, très loin.

Le soir, c’est mon dernier soir. Pas envie de rentrer. J’erre. Je passe devant un terrain de jeu où enfants et jeunes, tout âge confondu, jouent sous la lumière des projecteurs. Qui au basket, qui au volley. Il fait doux. Athènes vit. Un insant, j'ai envie d'être petite et de m'immiscer parmi eux. Je marche encore. De retour à Exarchia, je passe devant une boutique. Ça a l'air encore ouvert à 21h. Un petit panneau sur la porte indique: sonnez, je suis là ! Un homme sans âge vient m’ouvrir. Il était en train de fabriquer des bagues dans l’arrière-boutique. Il me demande si c’est pour moi ou pour offrir. Je ne sais pas au juste. Je veux juste lui acheter quelque chose. Histoire de... Il me dit que c’est pas pareil si c’est pour moi, prend le temps de me détailler les prix. Ce qui est fait en Chine, ce qui est fait par lui ou d’autres artisans grecs. De quelle couleur sont les yeux de la personne qui va porter la bague, à la fin, il faut le savoir... Pour finir il m’offre un brin de basilique. C’est pas pour manger, c'est parce que ça sent bon ! Je souris. C'est avec ces petites choses-là qu’on tient, me dit-il, les yeux emboués.

Athènes. Si on n'y est par par nécessité ou par affinité, il faut y être par solidarité.


[1] Jour où Metaxas a dit « non » à l’ultimatum lancé par Mussolini.

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