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Accouplé à la peur
comme Dieu à l’odieux
le cou engendre le couteau
et le Coupeur de têtes
suspendu entre la tête et le corps
comme le crime
entre le cri et la rime
Depuis ce matin, mon ordinateur m’envoie un message pour me rappeler que je n’ai pas sauvegardé mes données depuis plus de 30 jours.
Trente jours que nous sommes accouplés à la peur, peur de découvrir un nom de plus, un nouveau visage sur le net, de savoir qu’il y a une victime de plus. Un.e jeune de plus qui ne pourra plus danser, ni brûler son foulard.
J’aurai aimé, que cette nuit d’angoisse de samedi à dimanche, n’ait pas lieu. Nuit de cauchemar, à guetter les nouvelles d’Evin, à ausculter les vidéos reçus de Téhéran image par image, pour voir d’où émanaient les flammes qui dévoraient la prison d’Evin, où l’on estime que 15000 prisonniers sont détenus. La prison la plus macabre et la mieux gardée de la République Islamique. Là où sont enfermés beaucoup des prisonniers politiques, certain.es des plus vaillant.es, et des plus brillant.es iraneien.nes. Les prisonniers politiques, on en ignore le nombre exact en Iran mais on estime à 7500 le nombre des arrestations, rien que depuis le 16 septembre.
Et parmi eux, un certain nombre d'activistes de longue dont on reste sans nouvelle.
Quelques uns des cas les plus inquiétants. La liste est hélas bien loin d'être exhaustive.
Fatemeh Sepehri, activiste iranienne, femme de martyr de guerre, qui en toute logique, aurait dû être de l’autre côté de l’échiquier politique, mais qui se bat pour la liberté, et dénonce la dictature de Khamenei depuis des années. Elle fut parmi la seconde vague des signataires du fameux « appel des 14 » demandant à Khamenei de quitter le pouvoir en 2019. Elle qui pleura Mahsa Amini le 21 septembre devant une caméra de télé en déclarant qu'il fallait en finir avec la République Islamique pour faire cesser les violences. Fatemeh Sepehri fut arrêtée le 22 septembre à son domicile à Mashhad. Sa famille est nouvelle d’elle depuis.
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Hossein Ronaghi, bloggeur iranien, maintes fois emprisonné depuis 2009, a déjà perdu un rein par manque de suivi médical en prison, a été de nouveau interpelé le 24 septembre. Il a entamé une grève de la faim et son état de santé est très préoccupant. Aucune nouvelle de lui depuis l’incendie de samedi soir.
Madjid Tavakoli, icône du mouvement des étudiants, contestataire de longue date, ayant été libéré après avoir purgé une peine de cinq ans, prolongé de six mois, a été de nouveau arrêté le 23 septembre 2022. Il est en solitaire depuis 3 semaines. Aucune nouvelle de lui depuis samedi soir.
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Erfan Zaherdi, étudiant contestataire, arrêté à Tabriz il y a vingt jours. Et dont la mère crie le nom à tue-tête, cherchant à avoir de ses nouvelles.
Evin n'est qu'une des prisons, il y en a dans toutes les villes. Il y a une heure, une dépêche annonçait une sirène d'alarme dans la prison de Ghezelhesar à Karaj.
Une pétition, lancée depuis hier demandant à faire pression sur l'Iran pour relâcher les prisonniers politiques, a recueilli pas loin de 300,000 signataires.
Et la peur surgit de nouveau, que l’un de ces visages n’apparaisse soudain, dans le flot des sinistres nouvelles qui ne cessent d’arriver d’Iran.
Accouplé à la peur
entre la vie et le vide
le cou engendre le couteau
et le Coupeur de têtes
suspendu entre la tête et le corps
éclate de mou rire.
C’est ainsi que Ghérasim Luca fini son poème dans "Le Chant de la Carpe".
Et j’implore ce Dieu muet, ce Dieu auquel je ne crois pas, pour qu’il se mette en colère et fasse en sorte que cela cesse enfin.