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« 100 jours qu’ils dorment avec le cauchemar de la chute du régime, et 100 jours que nous nous réveillons en rêvant de notre liberté ». Ce tweet circule beaucoup depuis quelques jours sur les comptes twitter iraniens des deux côtés de la frontière.
Cela fait 100 jours depuis que Mahsa Jina, qui était originaire du Kurdistan a été assassinée par la police des mœurs, que le Kurdistan s’est levé tout entier et le reste de l’Iran avec.
100 jours que les Iranien.nes combattent un régime armé jusqu’aux dents et qui utilise tous les moyens pour réprimer la révolution. Tirs à balles réelles et à bout portant, enlèvement, aveux forcés, extorqués sous la torture, viol, pression massive sur les familles des dissidents, élimination physique des dissidents par des assassinats déguisés en accident, mais aussi des exécutions sur la place publique. Avant-hier encore, une fillette de 12 ans a été tuée par balles après des tirs sur la voiture de ses parents dans la ville d’Izeh, là où il y a tout juste 40 jours, Kian Pirfalak, 10 ans, était assassiné de la même manière. Hier, les forces du régime ont même kidnappé une manifestante enceinte, à Mahabad (ville kurde de l’Iran).
100 jours que nous, Iranien.nes de la diaspora arpentons les rues de Paris, Berlin et Londres, pour dire que nous ne voulons plus du régime islamique et à chaque fois nos sœurs et nos frères kurdes marchent à nos côtés. Eux qui de fait, et où qu’ils soient, se battent contre une discrimination massive et systémique. Que ce soit en Iran, en Syrie, en Irak ou en Turquie.
Emine Kara était Kurde aussi. Et se battait activement pour la liberté, au Kurdistan et ailleurs. Elle s’était battue contre Daech à Rojava et avait été blessée sur le front de Raqqa en 2019. Après la chute de l'État islamique, Emine était partie se faire soigner en Europe. D'abord à Paris puis en Allemagne, avant de revenir en France en septembre 2020. Elle avait effectué une demande d’asile, mais celle-ci lui avait été reboutée par les autorités françaises en février 2022.
Elle était responsable du Mouvement des femmes kurdes en France et se battait aussi pour la cause iranienne depuis trois mois. C’était aussi celle qui organisait la manifestation du 7 janvier pour le 10e anniversaire du triple assassinat politique de militantes kurdes, survenu à Paris en janvier 2013. Une réunion préparatoire était prévue au centre Ahmet Kaya le 23/12, pendant l’après-midi. Une réunion qui avait été décalée d’une heure au dernier moment. Faute de quoi des dizaines d’autres militantes kurdes auraient pu périr aux côtés d’Emine.
Vendredi soir nous étions quelques dizaines d’Iranien.nes avec nos amis kurdes, rue d’Enghin, à ne pas comprendre pourquoi il fallait pleurer à cause des lacrymaux lancés par les CRS. A ne pas comprendre comment on pouvait écarter encore une fois et si rapidement la piste d’assassinat politique. A ne pas comprendre comment un individu isolé qui sort de prison, peut viser aussi juste pour éliminer des militants, s’il n’y a pas une volonté politique précise derrière.
Aujourd’hui, la communauté kurde de France est visée une nouvelle fois, comme elle l’avait été en 2013 au moment du triple assassinat de Fidan Doğan, Sakine Cansız et Leyla Söylemez. Assassinat jamais réellement élucidé, car l’enquête avait été interrompu avec la mort en prison de l’assassin présumé Omer Güney.
Troublantes coïncidences que de voir que la petite Saha de 12 ans meurt par balle à Izeh, la même ville où 40 jours plus tôt, Kian, 10 ans, est tué par balle. Que Emine Kara tombe sous les balles d’un détraqué qui se déclare raciste, à Paris, alors qu’elle préparait le 10e anniversaire de l’assassinat d’autres militantes kurdes, lui aussi ayant eu lieu à Paris.
Les Kurdes ont perdu une sacrée combattante, une femme que l’on appellerait héroïne sans hésiter et nous, Iranien.nes, nous avons perdu une sœur d’arme, et deux frères, Mir Perwer et Abdurrahman Kizil, dont les noms viendront s’ajouter à la longue liste des martyres dans notre combat pour la liberté.
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