moineau persan (avatar)

moineau persan

Sepideh Farsi, Cinéaste

Abonné·e de Mediapart

107 Billets

0 Édition

Billet de blog 29 juillet 2023

moineau persan (avatar)

moineau persan

Sepideh Farsi, Cinéaste

Abonné·e de Mediapart

Je suis une femme... de Médée à Parmida

Le 21 juillet, Parmida Shahbazi dit à l’agent qui lui cite ses multiples infractions dont le non port du voile « Les jours où on avait peur de vous sont passés... Je suis une femme et je resterai debout jusqu’au bout pour me battre pour ce que je crois. » Quelques heures plus tard, les forces de l’ordre du régime iranien assaillissent sa maison pour l'emmener de force.

moineau persan (avatar)

moineau persan

Sepideh Farsi, Cinéaste

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Medea (mise en scène par Frank Castorf - Epidaure) © Sepideh Farsi

Le 22 juillet, par des températures dépassant les 45° même après le coucher de soleil, on est quelques dix-mille à prendre place sur les pierres encore brûlantes de l’ancien théâtre d’Epidaure, à deux pas de Corinthe, pour voir « Medea » mise en scène par Frank Carstorf. La lune est au rendez-vous, les grillons aussi.

Un écran géant couvre l’arrière de la scène, au-dessus de laquelle est accroché un « Coca » alors que le « Cola » pend dans le vide, comme s’il allait s’écraser à chaque instant. La scène est couverte par toutes sortes de détritus qui entourent des tentes. Cela ressemble étrangement à un campement de migrants, tel qu’on les connaît en Europe depuis des années, lorsque la société s'en lave les mains, lorsqu'on les laisse choir. Une caméra au poing suit les interprètes, porteur.es de cette humanité façon Castorf pour nous montrer leurs tripes dans des plans, souvent rapprochés, de leur visage, comme un miroir de leur âme.

C’est une mise en scène « à jour ». Un théâtre de l’extrême. Avec des partis pris simples mais très justes, qui parlent de nous, d’aujourd’hui.

Pas un hasard si Castorf, né à Berlin Est fait cette proposition de Médée aujourd’hui.

Pas un hasard s’il le fait à partir de « Médée-matériaux » écrit de la main d’un Heiner Müller, lui aussi de l’ex RDA. Texte datant de 1982, sept ans avant la chute du mur.

Pas un hasard s’il ressent le besoin aujourd’hui de parler d’un capitalisme effréné, d’une migration écrasée par un contrôle policier outrancier, d'une société de surveillance, d’un monde où la seule boussole est le profit.

La figure de Médée est partagée par toutes les comédiennes. Toutes deviennent Médée à un moment de ce flot ininterrompu de presque quatre heures de parole. Le courage de Médée est partagé par toutes les actrices, même celle qui joue la fille de Créon, qui devient, elle aussi, Médée à son tour. Toutes se tournent vers la caméra à un moment pour s’exclamer : Ah, les hommes !

Car cette « Médée » dit ça aussi. La lâcheté des hommes. Que ce soit Créon roi de Corinthe, ou Jason, qui est loin d’être un héros dans la version de Castorf.  

Le courage de Médée est le liant de la communauté des femmes, telle que Castorf a choisi de nous la montrer. Le courage de cette étrangère qui préfère donner la mort à ses enfants plutôt que de les laisser dans les mains de l’ennemi.

Mia fora thimamai
Une fois je me souviens, tu me disais je t'aime, et maintenant la pluie...
Une fois je me souviens, tu me parlais, et maintenant le silence...

Chante Arletta dans cette chanson, l'une de celles qu'on entend dans la Médée de Frank Castorf, sous la chaleur suffocante d'Epidaure.

Je ne peux m'empêcher de trembler en écoutant ces multiples Médées cracher leurs tripes…

Étrangement, elles me ramènent aux femmes de mon pays, aux filles d’Iran, qui se sont levées par milliers, pour tenir tête à la volonté d’un régime finissant de contrôler leur corps.

L’une des dernières dont on retient le courage est Parmida Shahbazi qui tient tête, elle aussi face camera, à l’agent qui lui cite ses multiples infractions dont le non port du voile. Sa vidéo, devenue virale rapidement, fait le tour de la toile depuis le 21 juillet. Quelques heures plus tard les forces de l’ordre du régime iranien assaillissent la maison de Parmida et elle est emmenée de force.

Voici ses dernières paroles: « Les jours où on avait peur de vous sont passés. ... Je suis une femme et je resterai debout jusqu’au bout pour me battre pour ce que je crois. »

Aujourd'hui, alors que les cérémonies de deuil de Achoura battent leur plein en Iran, cérémonies souvent mises en scènes par le régime, beaucoup de femmes font face aux cortèges officiels où il n'y a que des hommes, debout, sans voile, pour se lamenter en se frappant la poitrine. Plusieurs d'entre-elles ont été arrêtées ces derniers jours. L'une d'elles est la mère de Ghazaleh Chalabi, tombée sous les balles du régime le 21 septembre dernier. Ghazaleh était née en 1989, l'année de la chute du mur de Berlin.

Illustration 2
Parmida Shahbazi arrêtée le 21 juillet en Iran © anonyme

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.