Madame la Première Ministre,
Je vous écris depuis mes vacances à Bozel (Savoie) où j’observe un drôle de phénomène depuis mon arrivée il y a quelques jours : régulièrement, parfois plusieurs fois par jour, un avion de chasse survole la vallée de Bozel, faisant un boucan d’enfer pendant une demi-heure environ.
A 40 ans, je connaissais le passage rapide et bref d’un avion de chasse, mais je n’avais jamais vu le numéro auquel j’assiste cette fois : va-et-vient, piqués, rotations, tonneaux, cabrioles en tous genres, tout cela en solo, le ou la pilote semblant mimer Tom Cruise dans Top Gun.
Ne comprenant pas le sens de ce spectacle à l’air martial, j’ai mené une petite recherche sur internet. Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre que la Savoie était un territoire élu pour faire son baptême aérien pour la modique somme de 2800 euros la demi-heure de vol.
Bien évidemment, je ne peux croire un tel canular, et j’en déduis naturellement que des complotistes mal intentionnés font circuler des fakes news, des fausses pages publicitaires et des vidéos truquées sur le web pour nous faire croire que des ultra-riches nous emmerdent jusqu’à nos vacances à la montagne en nous assourdissant avec leur jouissance.
Mon fils de 10 ans, extrêmement bien sensibilisé par les soins de l’éducation nationale à l’importance de l’enjeu écologico-climatique, en a ri à gorge déployée pendant un bon quart d’heure.
Car bien sûr – et je ne doute pas un seul instant que vos services soient en mesure de me le confirmer – à l’heure où la France brûle (ici même à Bozel d’ailleurs) dans des proportions tout à fait inédites de par le réchauffement climatique, quand les glaciers diminuent années après années de manière tragique et que les roches s’écroulent faute de permafrost pour les tenir soudées (cf la fermeture actuelle du refuge du Goûter à St-Gervais pour cause d’éboulements), alors que l’Etat culpabilise à chaque instant l’ensemble de la population sur sa consommation d’énergie ainsi que sur son bilan carbone, il serait parfaitement incompréhensible que les ultra riches, eux, puissent claquer un « pognon de dingue » dans une activité de pur loisir qui polluerait délibérément non seulement l’air (400 litres de kérosène la demi-heure de vol sur un Albatros L-39) précisément au-dessus de ce qui reste de glaciers, mais aussi la paix sonore que les classes moyennes sont venues chercher à la montagne.
Aussi, alors que la guerre tonne à la porte de l’Europe depuis maintenant plusieurs mois, ayant fait jusqu’ici plusieurs dizaines de milliers de morts, il serait particulièrement inconvenant que des pilotes professionnels mettent leur talent non seulement au service de la jouissance démesurée de quelques un.e.s, mais également au service d’une activité lucrative dont on se demande bien à qui elle profite exactement.
Enfin, vous savez bien que malgré les gigantesques progrès que le génie humain a permis dans l’époque bénie de science dans laquelle nous baignons, qu’un avion de chasse peut encore se crasher, par exemple à cause d’un oiseau étourdi se faisant aspirer par un turboréacteur, ce qui est arrivé en France en 2013 par exemple (l’article ne le précise pas, mais nous pouvons faire l’hypothèse que l’oiseau est mort). Par conséquent, il serait extrêmement choquant que l’Etat fasse prendre un tel risque à la population en autorisant des activités de voltige dans des avions de guerre au-dessus de sa tête pour, répétons-le encore une fois encore, la jouissance individuelle de super-privilégiés. Peut-on imaginer, en France, en 2022, un Albatros L-39 dans lequel un ultra-riche s’envoie en l’air se cracher au beau milieu d’un village « gaulois » ? Bien sûr que non, c’est inimaginable.
C’est pourquoi, chère Madame, à la réserve près que vous puissiez avoir des informations contradictoires à m’apporter, vous pouvez, à mon avis, être certaine du caractère fallacieux de ces informations truculentes qui circulent sur le web, oublier votre inquiétude et dormir tranquille.
Très attentif à votre éventuel retour, je vous prie d’agréer mes respectueuses salutations.