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Billet de blog 28 mai 2025

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Psycholaboration

Derrière la grammaire douteuse et la sémantique obscure, derrière les multiples niaiseries et les formules "tartes à la crème", voici un véritable petit manuel de collaboration à destination des psychologues - et du gouverne-ment. Cela s'appelle "Protection de l’enfance et santé mentale : jusqu’où tiendra-t-on ?" et c'est signé l'association AID PSY CO (laboration).

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous connaissions déjà les politiques publiques convergeant toutes vers une destruction systématique des institutions publiques, et plus largement de toute logique collective, le management délétère qui pilonne les institutions de soin, les directeurs d'établissements hospitaliers  et médico-sociaux qui font régner la terreur, les psychiatres qui laissent tranquillement pourrir la psychiatrie sans dire un mot etc. 

Voilà que les psychologues (précisons : certain.e.s psychologues) s'y mettent. (A "lire" ici)

Cela s'appelle "Association d'information et de défense des psychologues conventionnés", assemblage savant de mots mis à la queue leu-leu, comme on fait dans le marketing, pour que cela fasse acronyme, "AID PSY CO", lequel ne serait rien sans son petit logo fraichement moulu. Tout y est, c'est beau comme tout, c'est moderne, et ça a l'air très gentil.
Il est en effet très gentil de proposer son aide pour aider les jeunes de l'Aide Sociale à l'Enfance, ASE qui, en effet, souffre de tous les cotés, et donc les jeunes avec elle.

Etant nous-mêmes psychologue, et travaillant également avec des jeunes de l'A.S.E, on ne nous en voudra pas de ne pas nous arrêter au revête-ment marketing, et de nous souvenir que "logo" vient du "logos" grec, lequel veut dire "parole", "discours", voire même "raison".

Lisons donc le texte, puisque faire un logo est une chose, faire des phrases en est une autre.

Lisons les phrases, et arrêtons nous à la deuxième : "Il y a aujourd’hui un lien direct entre les difficultés d’accès aux services de protection de l’enfance et ce que la santé mentale tente de rattraper." Rattraper quoi donc ? comprendra qui peut.

Puis nous buttons à nouveau dès la troisième phrase : "Mais jusqu'où tiendrons-nous ?". Passons la sorte de maladresse sémantique - la deuxième en trois phrases tout de même ("Mais jusqu'où s'arrêteront-ils ?" disait Coluche,  pour faire rire, lui)  - et soulignons le "nous",  "nous" les psychologues de l'AID PSY CO donc.

A vrai dire la page d'accueil du site nous avait prévenue : avec AID PSY CO il s'agit d'"Informer, défendre, former les psychologues, pour un dispositif de conventionnement avec la Sécurité Sociale au service des psychologues conventionnés et de leurs patients." Au service des psychologues d'abord donc, et de LEURS patients ensuite. "Jusqu'où tiendrons-nous ?" Cela veut dire, en somme, "l'aumône s'il vous plaît".


On ne s'arrêtera également que très brièvement sur "Le dispositif “Mon soutien psy” rencontre un réel écho", puisque sur le terrain chacun.e sait que cela est parfaitement faux. De l'aveu même de notre Président, 80% des psychologues se refusent à adhérer au dispositif aujourd'hui. Cela après les corrections gouvernementales apportées au dispositif qui, à ses débuts, rebutait encore bien davantage la corporation.

Car en somme, l'idée (la demande) d'AID PSY CO est d'ouvrir grandes les vannes du dispositif "Mon psy", au maximum, pour, notamment, recevoir à son cabinet les jeunes souffrants de l'A.S.E.

Et pourquoi cela ? Parce que "Un mineur maltraité, négligé ou institutionnalisé, c’est aussi un futur adulte plus à risque de burn-out, de conduites addictives, de troubles anxieux ou de ruptures sociales."
Ici la lecture devient franchement difficile, car les perles s'enchainent de plus en plus rapidement. Outre cette liste de symptômes faite de bric et de broc - que vient faire le "burn out" ici ? Il faudrait déjà que nos jeunes puissent, d'une part trouver un travail, d'autre part que ce travail soit décent, c'est-à-dire que le monde du travail ne soit pas déjà devenu maltraitant par lui-même, comme c'est maintenant devenu le cas général, comme tout le monde le sait aujourd'hui, tout le monde sauf les psy de AID PSY CO.

Par ailleurs on s'étonne de trouver "institutionnalisé" (barbarisme répugnant !) mis en série avec "maltraité" et "négligé". Alors quoi ? Institution et maltraitance c'est la même chose ?

"Mais oui, mais oui, bien sûr, nous dira-t-on, les institutions de soin vont très mal aujourd'hui, ne le saviez-vous pas ?". Bien sur que nous le savons, mais alors, extrayons cette formule de la crème chantilly et laissons la exprimer clairement ce qu'elle a à dire : ce qui est maltraitant, ce n'est pas d'être pris en charge par une institution, ce qui est maltraitant, c'est d'être pris en charge par une institution qui n'a plus les moyens de son action, à force d'être démantelée et saccagée par les mêmes ministres qui, précisément, forgent des dispositifs comme celui de "mon psy". Cela, en effet, c'est maltraitant.


Sautons quelques tartes à la crèmes et tournures lexicales louches dont nos psychologues marketing semblent avoir le secret, et nous arrivons à la notion de "désarticulation des politiques publiques, entre protection et prévention, entre social et soin, entre urgence et continuité.

Ou, comment ne pas voir plus loin que le bout de son nez ? Car il faut être vachement balèze pour ne pas voir que cette politique est maintenant parfaitement articulée depuis 30 ou 40 ans. Il faut vraiment tenir à son ignorance crasse, il faut vraiment n'avoir lu, ni même écouté, aucun intellectuel contemporain (philosophes, historiens, sociologues etc) depuis d'innombrables années pour continuer d'ignorer que la politique dont le new public management serait l'emblème est au contraire parfaitement pensée, planifiée, organisée, calibrée, depuis des décennies. A quel degré d'ignorance faut-il être parvenu pour ne pas voir que "Mon psy" est ce qui répond à la désarticulation (pour reprendre ce terme) non pas de la politique publique, mais des institutions elles-mêmes, qu'il s'agit d'une politique massive de transfert du public au privé dans une logique néolibérale toujours plus implacable ? 

La phrase conclusive de la page de pub est à ce titre - capitaliste - exemplaire : AID PSY CO veut "Une société qui investit dans ses enfants, pleinement". Une société qui "investit" - c'est bien de fric qu'il s'agit - non pas dans ses institutions bien sûr, mais dans ses enfants directement, donc dans "Mon psy".

Ce serait tellement chouette de pouvoir euthanasier ces institutions dysfonctionnantes une bonne fois pour toute. AID PSY CO : aidez les psycho.

Tentons de nous décontracter avec une petite blague : "Il est temps de sortir des logiques de rafistolage." Une bonne blague, qui se passe donc de commentaires.

Et enfin... (c'est éreintant) : " Car ce que nous défendons, c’est une société qui soigne - vraiment". Bien sûr, on comprendra tout à fait que recevoir un jeune patient 12 fois par an (limitation actuelle du dispositif "Mon psy") est intolérable pour les professionnels. Mais ce n'est pas raison suffisante pour ne rappeler ces mêmes professionnels à un soucis de cohérence intellectuelle. Une société qui soigne, c'est une société qui prends soin de ses institutions. Un psychologue libéral qui soigne, c'est un libéral qui soigne. 

Faut-il rappeler à AID PSY CO que ASE signifie Aide SOCIALE à l'Enfance ? Que ces enfants n'ont pas d'abord besoin d'être soignés, mais pris en charge par des structures sociales, une famille d'accueil par exemple, structure sociale qu'on appelle également "institution" ? C'est d'abord d'une aide sociale qu'il s'agit, parce que le malheur est d'abord social, et que c'est dans le contexte d'une prise en charge sociale suffisante que peut ensuite se mettre en place un suivi psychologique.
Mais selon AID PSY CO, à ce malheur social répondrait une solution individuelle avec un.e psychologue en libéral ? Que de belles promesses ! Et sans doute une certaine infatuation du clinicien, à penser que seul dans son cabinet, il va pouvoir "contenir psychiquement" (pfff...) des enfants au parcours si traumatique, et ainsi "changer un destin" (rien que ça) ?

AID PSY CO peut-il s'offrir de luxe d'une telle incohérence, de telles contradictions, quand, quelques lignes après avoir mis l'institution en série avec la maltraitance, il en appelle à "un soin qui relie les institutions" ?! Ce qui, si l'on en poussait la logique jusqu'au bout, se traduirait par un.e psychologue libéral qui aurait pour mission de faire lien entre les institutions qui ne font plus leur travail, voire qui tout simplement n'existent plus ?!

Mais alors, un soin qui relierait les institutions, qui ferait lien, cela ferait institution, n'est-ce pas ? Nous demandons à AID PSY CO : c'est quoi le mieux pour faire institution ? Un professionnel isolé, ou bien une institution, justement ? AID PSY CO sait-il ce que c'est, une institution ?

Cessons là notre commentaire, car nous savons bien qu'un commentaire ne vaut jamais la lecture directe d'un texte original - qu'il soit un grand texte ou un torchon


Et concluons.

La première chose que nous pourrions faire pour ces jeunes, ce serait peut-être de ne pas raconter n'importe quoi, quand on parle d'eux. Essayer, quand nous faisons profession de soigner, de ne pas être complètement inconséquent sous prétexte de gagner du fric.

Quand on est con, on est con, chantait Brassens. Ajoutons : quand on est petit, on est petit.

Con soit psychologue faisant l'aumône au prix de soutenir l'insoutenable, con soit psychiatre persécuté par "Mon Psy" au motif d'y voir principalement l'exercice d'une concurrence déloyale (ce qui est à se tordre !), con soit ministre de la santé ou délégué à la psychiatrie, quand on est petit on est petit.

Car, à AID PSY CO on a ses entrées à l'assemblée nationale et au Sénat, n'est-ce pas ! On réfléchi avec "les grands" à notre petit monde de demain.

La petitesse de la réflexion des hommes et des femmes politiques sur ces sujets, la petitesse des professionnels sur le terrain qui, quelle que soit leur profession, se cantonnent pour la plupart à défendre (vainement) leur petit pré carré, se rabougrissant autour de leur nombril (combien de psychiatres connaissent grosso-modo le salaire de leurs collègues ?), la petitesse de leur diagnostics quant au monde qui les environne et qui cause leur malheur professionnel, la petitesse de l'idéologie scientiste menant à considérer qu'avec les techniques informatiques et les neurones nous avons à peu près tout ce qu'il nous faut pour penser et panser ce qu'il en est de la condition humaine, la petitesse de l'appât du gain avant tout, la petitesse de courtermisme, la petitesse de ce que sont devenus les ambitions intellectuelles de notre temps, la petitesse de notre dette symbolique quant à notre rapport à la parole, à l'écrit, au langage.

Au moment même du débat sur la fin de vie, au moment même où jamais autant d'intellectuels, à ce jour, n'auront recensés d'analogies entre notre époque et celle des années 1930, autant de petitesses devraient nous faire frémir.

Attention. Car il est maintenant à craindre qu'une telle petitesse entrera un jour dans l'histoire, comme un point de bascule, comme la précipitation entrainant tout un pays dans le pire. 

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