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Billet de blog 9 avril 2025

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Le micro-trottoir, une imposture !

Pas un sujet d'actualité dans l'information télévisée d'aujourd'hui sans l'omniprésence de micros-trottoirs, cette forme démagogique du reportage qui vient agrémenter le discours du journal télévisé par des points de vue anonymes captés au hasard des rues, des lieux, des trottoirs…, points de vues censés être représentatifs d’une certaine opinion publique sur un sujet donné.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Leur succès grandissant auprès des publics de spectateurs doit nous interroger, car il est fondé sur une illusion d'une parole donnée au peuple, une arnaque démocratique par excellence.

Le micro-trottoir, cette parole de “monsieur ou madame tout le monde“ qui s’insinue à l’intérieur de courts reportages télévisés ne représente aucunement une ouverture sur une expression populaire, sur des aspirations démocratiques, sur une écoute des attentes citoyennes… C’est avant tout une mise en spectacle de la relation avec les téléspectateurs qui donne l’illusion d’une participation citoyenne mais qui, de fait, ne sert qu’à valider un contenu tel que les instances d’un discours autorisé en ont décidé.
Devant un journal télévisé, le téléspectateur est placé devant un assemblage composite de fragments audiovisuels, chacun de ceux-ci résultant eux-mêmes de montages, d'arrangements, de choix… faits par des journalistes, des reporters d'image,… Dans la plupart des cas, les formes que prennent ces énoncés sont rarement questionnées, et nous avons tellement internalisé ces formes de la représentation que seul le “donné à voir et à entendre“ est sujet à une critique politique ou idéologique…
Dans le cas des micros-trottoirs non seulement la construction est purement subjective et ne repose sur aucun critère scientifique, sociologique ou autre… mais en plus, à la différence des autres formes d’énoncé, le “donné à voir et à entendre“ dédouane, a priori, les rédacteurs des propos tenus… aucune critique n'est possible puisque c'est une parole "vraie".
Le modèle canonique de ces “micro-inclusions“ qui ponctuent plusieurs fois un même court reportage télévisé consiste à aller à la rencontre d’individus pour leur demander leur avis sur un sujet concerné par le reportage. Le montage qui en est fait dans la plupart des cas et surtout sur des sujets sensibles, va consister à faire apparaitre : un point de vue favorable, un défavorable, et un neutre… histoire de construire une apparence d’objectivité du reportage, alors qu'il n’en est rien. C’est là tout l’art caractéristique de la “Société du spectacle“ qui cherche à nous faire croire à la “naturalité“ des images et des sons alors qu’ils sont un arrangement délibéré visant à accréditer le discours plus général qui l’englobe.
Dans un micro-trottoir, le lieu, le moment, le contexte, les questions, la méthode du questionnement, etc. sont des éléments déterminants dans les propos recueillis bien qu’ils ne soient jamais explicités comme tels. On ne sait rien non plus du nombre de personnes interrogées, ni de l’étendue des contenus enregistrés, pas plus qu’on ne connaîtra les critères qui ont prévalu à leur sélection, à la mise en avant de ceux-ci, au rejet de ceux-là, etc…
A travers les micros-trottoirs, il s’agit avant tout de modeler une illusion démocratique qui serait représentative d’une “parole donnée“ à tout un chacun. Illusion qui invite le spectateur à se reconnaître en miroir dans l’autre et à penser que sa propre parole pourrait également être entendue. Une spécularité favorisée par l’anonymat de l'interviewé. Mais quelques courts fragments de phrases collés bout à bout ne pourront jamais témoigner d’une parole populaire, de courants de pensée, d’attentes citoyennes…
Dans le contexte général de l’information où les éditocrates et autres leaders des médias mainstream ont, eux, une parole omniprésente et continue, le micro-trottoir en contre-champ infantilise la parole citoyenne, la transforme en bégaiement. C’est le déni même d’une expression populaire.
On peut se demander pourquoi ils subissent si peu de critiques ou de rejets plus grands. La réponse est sans doute à rechercher dans le fait qu’ils montrent des personnages bien réels avec une parole incarnée et qu’on ne peut par conséquent les qualifier de fake-news. Ils ne sont pas de la fausse information, ils sont bien pire. Alors que la véracité ou non d’une information finit tôt ou tard par être mise à nue, on ne peut, dans les micros-trottoirs, nier l’existence de la parole contenue dans ces lambeaux de réel.
Ce n’est donc pas ce réel qu’il faut dénoncer mais le tripatouillage de sa représentation.

Extraits de “Formes et formatage de l’information télévisée“ 

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