On a affaire dans ce film à un regard de compassion sur la misère sociale. Un regard en aplomb qui conduit le spectateur à un sentiment de pitié. Ce n’est pas de la compréhension ni du partage ou de l’admiration comme on a pu le lire ici et là, seulement un film qui conforte le spectateur dans les représentations en vogue d’un ancien monde paysan. Il suffit ne serait-ce que d’avoir vu les films de Rouquier pour savoir que d’autres représentations du monde paysan sont possibles, y compris dans la pauvreté lorsqu’elle est filmée de façon digne. Nous avons ici un film indigne qui se complait dans l’étalement du trash. Les gros plans sont insupportables de voyeurisme. Gros plan sur les visages, sur les défauts, sur les rides, sur les poils, les cicatrices du temps. Gros plans sur la saleté, les désordres, gros plans qui les soulignent, les amplifient, les mettent en avant... Dans une étude qu’elle avait réalisée, Martine Joly (Professeur à l'Université de Bordeaux, aujourd’hui décédée) avait montré à quel point les journalistes-reporters-d'images à la télévision s'autorisaient des gros plans sur des personnages "ordinaires" alors qu'ils gardaient davantage de distance si les personnes filmées étaient de “rang“ supérieur et plus encore si ces dernières avaient une autorité reconnue. La taille des plans sur les personnages instituant pour le spectateur, inconsciemment ou non, une hiérarchie dans les rapports sociaux.
Par ailleurs, on ne saura presque rien de l’histoire de ces gens, de leurs trajectoires de vie qui les ont amené à cet état, comme si cet état était une caractéristique en elle-même du monde paysan. C’est l’image-cliché du “plouc“ au sens le plus péjoratif et vulgaire que l’on connait.
Certaines critiques ont souligné la beauté des plans, mais là encore on confond la beauté des paysages avec celle des plans, alors que certains sont flous. Mais peut être faut-il voir dans ces flous un regard subjectif sur un monde qui se brouille !
Pour ce qui est de la facture du film, on a un montage, une structure qui trompe délibérément le spectateur. On ne sait rien des époques, des dates diverses et variées dans lesquelles les différents plans ont été tournés (on apprend en dehors du film que le tournage se déroule sur une quinzaine d’années). Mis bout à bout tout cela construit de toute pièce une fiction de réel, comme si, ici encore, on était devant une réalité hors temps, devant une image constitutive de ce monde, une image originelle qui n’a pas besoin d’être datée car elle lui colle à la peau comme la boue et le fumier à ses bottes.
La juxtaposition de différents personnages construit une communauté qui n’existe que pour ce film. On ne sait rien de la proximité ou non des protagonistes. Le film, avec une construction qui emprunte aux reportages télévisuels sa fragmentation, nous laisse supposer qu’il forme un milieu proche, un tout. Or, il n’est proche que par un empilement visuel d’une communauté de miséreux dont on ne sait rien de leur inter-relations. Ils ne se rencontrent pas, ils ne partagent pas grand chose ensemble, pas même une résistance ou une solidarité commune. Pour avoir bien connu différents milieux paysans et surtout avoir suivi pas mal de films et de réalisations tournés en milieu rural, ce film est une pochade, même si on le rapporte aux années 90. Faux et usage de faux, pour parodier un spécialiste du documentaire.
La misère ici n’est pas celle que l’on voit mais celle de la représentation qui nous est donnée à voir.
Que dire encore des critiques qui reprenent à l’unisson les arguments avancés par les promoteurs du film, “Éloge poignant d'un monde paysan qui s’éteint“ (Télérama), “Ce film n’est pas un tombeau, et on aurait tort de n’y voir que la déploration d’un monde qui meurt, il est au contraire la pure célébration du mystère de son existence“ (?) (Libération), “truculente et poétique chronique d’une fin de partie, pour ne pas parler trop crûment d’engloutissement pur et simple“ (Le Monde), une “humanité qui résiste à la mondialisation“, “un contre-capitalisme ordinaire“ (La Croix)... on croit rêver !
Qui se rappelle aujourd’hui du “Festival d’Aurillac" consacré au cinéma rural. A l’époque où il était bien vivant, les médias qui pleurent aujourd’hui des larmes d’eau bénite sur un pseudo-monde disparu étaient curieusement bien absents.
Comme ils sont bien absents encore aujourd’hui de bon nombre d’actions et de manifestations portées par des mouvements d’éducation populaire en milieu rural et qui ont fait du cinéma et de la ruralité le sujet principal de leur actions culturelles comme par exemple : le “Festival de La Biolle“ en Savoie, ou “Ciné Pause“, organisé par la Fédération départementale des Foyers Ruraux de Saône et Loire, ou “Caméra des Champs“, le Festival international du film documentaire sur la ruralité à Ville-sur-Yron en Lorraine… sans compter les dizaines de programmation itinérantes en milieu rural, comme “Cinévillage“, “CinéLot“, etc., ou fixes comme la “Cumav 65“ dans le Gers et les Hautes Pyrénées, “Paysans au cinéma“ à Agen, le réseau “Peuple et Culture“ en Corrèze et ailleurs, etc, etc. La liste est longue…
La condescendance qui fait recette sur un film comme “Sans-adieu“ est le contrepoint de l’ostracisme porté sur tous ces mouvements et actions d'éducation populaire en milieu rural. Un entre-soi médiatique qui ne construit plus de critique sérieuse, seulement de la promotion. C’est désolant.
JPA - nov 2017
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Avec son autorisation, je reproduis ci-après les propos de Jean Crépinge (paysan forézien retraité) publiés en grande partie dans la tribune des lecteurs de Politis n °1477
« Forézien moi même, je précise tout d’abord, que “Sans Adieu” signifiait “A bientôt” et je ne doute pas qu’Agou et les protagonistes du film ont du échanger cette formule très souvent. Ceci étant, le film, présenté chez nous en avant première devant une salle archi- comble a reçu un accueil très mitigé.
Si certaines scènes sont d’une justesse poignante, d’autres sont à la limite du voyeurisme : le plan ou l’on voit Raymond, dans un encadrement de porte avec en arrière plan, son lit, m’ a mis très mal à l’ aise ; je précise que Raymond est un très vieux pote.
“Et puis il y a Claudette, 75 ans, la figure principale du film. Acariâtre et attachante, elle aspire à une retraite bien méritée mais se bat avec détermination contre des règles qui ne lui permettent pas de céder ses terres à qui elle veut et une société à laquelle elle ne comprend plus rien” écrit une critique de la Croix, suggérant que ce film témoigne d’ un certain “contre capitalisme ordinaire”. Or précisément, la scène dans laquelle Claudette se bat contre l’administration (en l’occurrence la Direction Départementale des Territoires), fait référence au Schéma Directeur Départemental des Structures Agricoles (SDDS), et ce document, précieux, a été obtenu de haute lutte par les organisations progressistes pour répartir plus équitablement l’exploitation des terres agricoles. Du coup, pour nous, cette séquence comme quelques autres, ont des relents réactionnaires.
Enfin ce film donne une image pas très réjouissante de notre région ; on patauge trop souvent dans la boue.
Un mois plus tôt, dans la même salle, tout aussi comble, j’animais un débat autour du film petit “Petit Paysan”. Dans un tout autre genre, ce film, qui a reçu un accueil mitigé de la critique, est un pur bijou cinématographique. Le parti-pris du mélange des genres, alternant scènes très documentaristes et pure fiction est très réussi. Mais au delà, le jeu des acteurs est une pure merveille. Les acteurs professionnels, Swann Arlaud et Sara Giraudeau en particulier accomplissent les gestes avec une précision et une justesse époustouflante. De même les acteurs amateurs donnent parfaitement la réplique. La scène du dialogue entre Pierre, le jeune paysan (joué par Swann) et Raymond, le vieux voisin (joué par le propre grand’père du réalisateur) au sujet de la vache dans la fosse à purin, est absolument bouleversante. Hubert Charuel a réussit un exploit, c’est du grand cinéma autour d’ un thème très fort; l’ attachement d’un éleveur à son troupeau et à son métier. »
Jean Crépinge