AMOUR ÉTERNEL. WOJCIECH SIUDMAK ARTISTE VISIONNAIRE DE SON TEMPS & HORS DU TEMPS`
La Bibliothèque Polonaise de Paris, à l’hôtel de Lauzun sur l’Ile Saint Louis où séjourna Baudelaire, qui avec l’intelligentsia Romantique participait aux expériences menées par le psychiatre Jacques Joseph Moreau de Tours en 1845 sur les sources du génie créateur au Club des Haschischins, a accueilli au mois de mars 2025 une exposition sur l’art de Wojciech Siudmak, peintre, dessinateur, illustrateur et sculpteur émérite. Cette exposition de petite dimension était grande par son envergure : exposer le processus créateur de l’artiste, du dessin initial à l’œuvre sculpturale, réalisée avec maestria.
D’origine polonaise, Wojciech Siudmak étudia à l’Académie des Beaux-Arts de Varsovie puis à l’École des Beaux-Arts de Paris, et réside en France depuis 1966. Il doit sa renommée mondiale à sa collaboration à partir de 1975 à la collection Pocket Science-Fiction de Jacques Goimard, qui publia la série Dune de Frank Herbert. Siudmak créa les couvertures et illustra les textes dans un style visionnaire, qu’il qualifie de fantastique hyper-réaliste, aussi apparent dans la réalisation d’affiches de spectacles et de cinéma, telles celles du Festival de Cannes.
Si son art se rapproche de celui des peintres surréalistes, Salvador Dali, De Chirico, Paul Delvaux et Leonor Fini, entre autres, son caractère visionnaire et humaniste le place dans une sphère plus élevée qui rejoint l’art de la Renaissance, du Maniérisme au Baroque, tant par la forme que par l’inspiration. Les thèmes qu’il illustre dénotent sa connaissance de la tradition classique, tout comme sa technique virtuose dans le dessin et dans la sculpture.

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Son groupe de bronze doré Métamorphosis, inspiré par l’œuvre d’Ovide, mais où l’intensité des émotions décrites, la complexité de la conception dans l’interaction de la figure humaine, l’homme et la femme dont les visages sortent de la gueule du lion, et l’adolescent androgyne qui le chevauche, domptant la force animale du lion et du serpent, indique une autre source d’inspiration, certes aussi présente à la Renaissance, mais ici imbue d’une symbolique métaphysique totalement moderne et originale. Le Cœur, un petit bronze doré décrivant une figure humaine en position fœtale, qui devrait le contenir mais qui en fait en est contenu, ses artères et ses veines comme des filaments d’antennes le reliant au monde et aux autres, transmet dans son concept et sa réalisation un profond message d’amour.

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Ce message est à la source même de l’art de Siudmak, un amour profond de la vie et de l’humanité, sur lesquelles il porte un regard de visionnaire, presque de prophète, dans une conscience des diverses sphères de l’imaginaire et de l’au-delà, qui lui donne une dimension spirituelle et métaphysique universelle : pour lui le monde est Amour. Il se fait ainsi l’écho de St. Bernard qui commenta le poème mystique biblique Le Cantique des Cantiques, Le chant de Salomon, où le sacré de l’amour charnel atteint dans la sensualité érotique des vers au sublime de l’Ineffable, tout autant que de Dante, qui le nomma guide suprême au Paradis. Dieu, quel que soit le nom et la forme sous lequel il est conçu et invoqué, est Amour, tel l’exprime le dernier vers de la Divine Comédie, au Canto XXXIII du Paradiso : L’amor che move il sole e l’altre stelle. L’Amour qui meut le soleil et les étoiles. Ainsi l’Amour sous sa forme exaltée, Agape et Caritas, tous deux Compassion, et Éros, l’Amour sensuel, avec Antéros son jumeau, l’Amour sublimé dans la créativité, se conjuguent pour apporter la Paix au monde, et récréer un Paradis sur terre, selon la tradition ésotérique d’Hermès Trismégite dans la Table d’Émeraude : Ce qui est en haut est aussi en bas. L’expression artistique de Siudmak décrit les correspondances sacrées, mais occultes, entre ces deux mondes parallèles, entre le surnaturel :l’imaginaire, le monde sidéral cosmique, et le monde terrestre dans sa matérialité, que l’être humain aveuglément nomme seule réalité.
Les tableaux Amour éternel, et La terre offrant ses joyaux illustrent le thème. Amour éternel est devenu le leitmotiv et le but du Projet Universel pour la Paix dans le monde conçu par l’artiste. Le tableau réalisé en 1985, et sa reproduction sculpturale en 2004, sont la face et le symbole du projet. En eux résident l’harmonie, la beauté et la paix sous le signe de l’infini sidéral dans lequel flottent et s’unissent les deux pôles de la création, le masculin et le féminin, que tout être humain doit réconcilier en lui-même, et avec les autres, afin d’accéder à la plénitude de l’âme et du corps, elle constitue un joyau, la Pierre philosophale, où réside toute Connaissance symbolisée par le cristal de roche, qui dans la pureté de son éclat contient tous les opposés. Une sculpture en bronze de l’Amour Éternel haute de 4,50 mètres a été érigée le 1er septembre 2013 à Wielun, au centre de la vieille ville. Le monument sera complété par une représentation gravée dans le granit du système solaire et diverses constellations. Ce message métaphysique est porté par la Fondation SIUDMAK ARKANA XXI dont le but didactique est de favoriser la création dans les arts et les sciences au niveau planétaire, afin que règne sur le monde une Paix Éternelle dans l’infini de l’Amour.

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Le travail sculptural de Siudmak date de la fin des années 1970. Il a été suscité par un dessin présent à l’exposition, Pentagramme 5 Nombre nuptial dans lequel une main animée d’une mystérieuse énergie bouge des pièces d’échecs sur un pentagramme contenu dans un cercle entouré de symboles ésotériques. Devant le dessin est placée la réalisation tri-dimensionnelle de l’œuvre, mais plus clairement décrite sous le titre de Genesis, deux mains suspendues dans l’espace modèlent la glaise dans l’acte créateur.

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Le fantastique dans l’art atteint à des dimensions métaphysiques et philosophiques, qui trouvent écho dans l’âme humaine nourrissant son imaginaire, l’ouvrant à d’autres mondes en établissant des correspondances invisibles ainsi révélées. La poursuite des sons, un petit bronze patiné de facture classique, animée d’une énergie surhumaine à l’écoute des vibrations cosmiques, danse sur la musique des sphères de Pythagore, tels les derviches soufis reliant la terre et le ciel dans leur circonvolutions sidérales, mais ici dans le zeitgeist de la modernité, harmonie et discordances sont unies.

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Le fantastique dans l’art remonte à l’Antiquité, dès que l’homme a voulu exprimer visuellement des forces occultes opposée, leur donnant une forme chargée de symbole. Des formes hybrides entre l’humain, l’animal et le végétal, pleines de fantaisies, se retrouvent dans l’art classique décoratif des grotesques découvertes à Rome par Raphael au 15e siècle dans la Domus Aurea de Néron sur l’Esquilino, puis dans des tombes, palais et villas autour de Rome et de Naples. Vitruvius les avaient décrits dans son traité De Architectura (c. 15 BC), Livre VII. Des motifs décoratifs semblables, associés à des représentations stylisées florales et végétales, ornaient déjà les bordures des manuscrits du Moyen Age, ou taillés dans la pierre ou le bois décoraient les églises et les cathédrales, montrant dans leur représentation un esprit fantaisiste et irrévérencieux, voire comique, allié au réalisme. La Renaissance leur donna une dimension architecturale renouvelée, qui se traduisit en une source de motifs décoratifs utilisés dans toutes les formes d’art : peintures murales, tableaux, gravures, textiles, orfèvrerie, joaillerie, armes et armures, alliés aux arabesques de l’art islamique importé du Levant.
Le fantastique dans l’art s’est exprimé de diverses manière au cours des siècles. Hieronymus Bosch (1450-1516) à la Renaissance en fit un instrument didactique de morale religieuse. William Blake, (1757-1837) poète et illustrateur anglais, s’en servit de manière visionnaire et prophétique à l’aube de la Révolution Industrielle. Francisco de Goya (1746-1828) évoqua toute l’horreur des guerres napoléoniennes et les divagations de l’esprit humain plongé dans le désespoir du malheur. Le peintre suisse Henry Fuseli (1741-1825) explora le domaine des rêves, tel Le Cauchemar en 1781. Les Romantiques trouvèrent inspiration pour dépeindre le fantastique dans la littérature, les Symbolistes puisèrent leurs sources dans le mysticisme, et l’ésotérisme, ainsi Nicolai Roerich, un artiste russe influencé par la Théosophie de Mme Blavatsky et le Bouddhisme.
L’art fantastique décrit l’esprit du temps : au 20e siècle à Paris, les mouvements Dada et Surréaliste introduisaient des idées réactionnaires, en 1918 le Manifeste Dada déclarait : La Beauté est morte, et en 1930 Salvador Dali décrivait les Trois images Cardinales de la vie : Le Sang, les Excréments, et la Putréfaction. En ce début du 21e siècle rongé par l’angoisse et la peur que suscitent les guerres qui se multiplient dans le monde, le délabrement de l’environnement apporté par la globalisation dans la surexploitation des ressources naturelles, qui menace la survie même de l’homme et de la planète, l’art de Wojciech Siudmak représente une espérance et une rédemption. Il exorcise le nihilisme suicidaire qui règne sur le monde et le corrompt, héritage du Surréalisme, de deux Guerres Mondiales, de la bombe atomique, qui trouve son expression dans un art qui n’en est plus un que de nom, désaxé, prônant la laideur, le kitsch, la vulgarité, la violence et la destruction, s’appuyant sur les plus basses pulsions et passions, dans une vacuité de signification qui n’a d’égale que la cupidité d’un marché rendu fou par la spéculation. Si l’art de Siudmak transporte dans l’au-delà, il est cependant fermement ancré dans le monde moderne, inspiré par la science-fiction, les bandes dessinées, les films, le rendant accessible au grand public. Au creuset de son énergie créatrice, une transmutation alchimique effectue une synthèse dans la continuité d’une tradition classique humaniste renouvelée, qui est un message d’Amour et de Fraternité.
Siudmak a rejoint la société secrète d’hommes et de femmes qui se reconnaissent et conversent au-delà des siècles, des mers et des montagnes, la chaîne d’or des Fidèles d’Amour. Ce fut Dante et ses compagnons à Florence qui créèrent le terme en Occident, I Fideli d’Amore, qui selon la légende étaient venus d’Orient, y retournèrent et disparurent. Le philosophe orientaliste Henri Corbin (1903-1978) démontra l’influence des mystiques soufis sur le poète florentin dans son étude Imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn’Arab, dont dans le rôle initiateur de la femme aimée dans le parcours du poète et du mystique. À l’heure où les hommes et les femmes s’entredéchirent au lieu de s’aimer, de s’apprécier mutuellement et de vivre en harmonie, où le choc des civilisations met en conflit permanent l’Orient et l’Occident, la vision de Siudmak est une réconciliation, une renaissance, la prescience d’une aube nouvelle à venir pour l’homme moderne divorcé de sa grandeur et de sa dignité. Il lui faut retrouver l’esprit lumineux et novateur du philosophe humaniste florentin, Pico della Mirandola (1463-1494), de cette Prisca Theologia universelle qui unit toutes les philosophies et toutes les religions, qu’il prônait, de cette grandeur inhérente à l’homme qui le rend créateur de lui-même, exposée dans son discours De la dignité de l’homme.
Monique RICCARDI-CUBITT
Présidente fondatrice de l’Association des Amis de Moreau de Tours
https://amisdemoreaudetours.com/Bienvenue
4 avril 2024
https://siudmak-official.com/fr/biographie/