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MONIQUE RICCARDI-CUBITT

HISTORIENNE D'ART, CONFÉRENCIÈRE, JOURNALISTE, AUTEUR, POÈTE

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Billet de blog 5 avril 2011

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ASSEZ DE SPIN. TERROIR EST UN MOT NOBLE QUI NE PEUT ÊTRE GALVAUDÉ

 

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LE TERROIR EST UN BIEN TROP PRÉCIEUX POUR ÊTRE LAISSÉ AUX POLITIQUES

Il est un mot de la langue française qui ne peut êtretraduit avec exactitude, le mot terroir. Il est uniquement français. Il reflètel’essence de la diversité qui est la richesse de la France. Tous les aspects dugénie français y trouvent inspiration et expression. Il y a l’accent duterroir, les mots du terroir, la cuisine du terroir, le vin du terroir, lestyle du terroir dans l’art et l’architecture. La France unifiée par Louis XIau XVème siècle a su préserver la diversité dans l’unité de ce qui se dénommefrançais, malgré la suprématie de la langue d’oil au détriment de la langued’oc sous le règne de François Ier, et le début de la centralisation de laculture de l’État.

Le Val de Loire chanté par Ronsard et Joachim du Bellay,le Berry de George Sand, la Sologne de Maurice Genevoix, la Provence deFrédéric Mistral, Alphonse Daudet, Jean Giono et de Marcel Pagnol, la Normandiede Maupassant, la Bretagne de Pierre Loti, le Bordelais de François Mauriac, laBourgogne de Colette, ont en commun cet amour de la France et de la richesse desa culture. C’est l’esprit duFélibrige de Frédéric Mistral, cette organisation créée en 1854 afin dedéfendre la culture régionale traditionnelle française, en particulier lalangue d’oc. Le Félibrige s’inspira des Jeux Floraux créés à Toulouse en 1324par sept troubadours, Et pour plus et mieux faire avancer/Ce Savoir si richequi nous est si cher. Les JeuxFloraux, ancêtre de toutes les sociétés savantes d’Europe, anticipent l’Académie Française fondée parRichelieu en 1635. En 1694 Louis XIV donne aux Jeux Floraux le titred’Académie. Toutefois l’esprit des Jeux Floraux et du Félibrige, dontl’étymologie en provençal allie deux mots livre, et libre, n’est pas decodifier formellement la langue française, mais au contraire de la doter desailes de l’inspiration que lui donne la poésie en puisant aux sources dupatrimoine culturel. Ainsi s’affrontent deux tendances opposées au cœur même dela culture française, le nord étatique tourné vers l’Atlantique, et le sudméditerranéen ouvert vers l’Afrique et l’Orient. Le plus sanglant combat entreles deux fut la Croisade des Albigeois.

Cette tension est inhérente à la richesse culturellefrançaise, c’est en elle que s’exprime son génie. D’un côté la liberté acquiseau travers de la culture, et plus particulièrement de la littérature. Del’autre côté la centralisation de la culture, et son contrôle par uneinstitution de l’État. D’un côté la France rurale, provinciale, avec tout sonancien savoir né de multiples influences assimilées au cours des siècles.Ainsi, l’âme celte de la Bretagne qui la relie à la Cornouailles britannique, àl’Irlande, à l’Écosse et au Pays de Galles. L’influence de l’Italie dans le Valde Loire du XIVème au XVIème siècle avec Valentina Visconti, mère de Charlesd’Orléans, les guerres transalpines, et la cour de Catherine et de Marie deMedici à Blois. En Bourgogne règne l’influence des Flandres et des Habsbourgshéritiers du Saint Empire romain germanique, en Provence, celle de la Grèce, dela Rome antique et de l’Italie, en Normandie, Poitou et Aquitaine depuis ledouzième siècle, celle de l’Angleterre à travers Aliénor d’Aquitaine. Cettefemme libre, raffinée et lettrée, fut fascinée par le Moyen Orient, qu’elledécouvrit durant la Seconde Croisade, à laquelle elle participa avec son marile roi Louis VII. Elle y acquit le goût du faste oriental luxueux et sensuel,et de la poésie courtoise arabe née à Bagdad et à Cordoue. Elle en émula l’exempleet l’exalta dans le Fin amor, l’amourcourtois des troubadours, qui le chantèrent à sa cour. Aliénor d’Aquitaineaccomplit brillamment cet équilibre magique entre le Nord et le Sud, expressiondu génie français à son apogée en des moments historiques privilégiés. D’un autre côté, pour des raisonspolitiques depuis le Grand Siècle, le culte de Versailles et de Paris, centrede tous les arts et de toutes les sciences, et l’appauvrissement systématiquedes grands propriétaires terriens aristocrates, gardiens et mécènes de lamémoire des provinces, que la mode lancée par la cour vise à ridiculiser et àmépriser. La culture française régionale en fut appauvrie alors même que,paradoxalement, sous l’influence de l’Astrée d’Honoré d’Urfé en 1607, le mythe del’Arcadie, l’Age d’or, le paradis perdu de la pastorale italienne du XVIèmesiècle, inspire les artistes, Watteau, et musiciens, Lulli, jusqu’àMarie-Antoinette jouant la bergère au Hameau du Trianon. Le sens du réalisme,le goût pour le pittoresque, ainsi que pour l’histoire et l’archéologie,contribuèrent à l’intérêt renouvelé des artistes, écrivains, poètes etmusiciens dans le patrimoine du terroir, qui devint source de l’inspiration dela grande tradition romanesque du dix-neuvième siècle, et de célèbres opérastelle la Mireille de Gounod tiré du poème épique éponyme de Mistral.

Le terroir est ce terreau fertile où le passage dessiècles a accumulé des savoirs en une mémoire collective, un héritage transmisdans des mots, des gestes, des rites, des coutumes, si fortement ancré dans lecaractère d’une région et de ses habitants qu’il est difficile parfois d’enretracer les sources diverses et multiples. C’est le triomphe del’individualité, de l’originalité, de la créativité dans un monde moderne formatéque l’on veut désormais uniforme. L’art de la gastronomie française en est l’undes plus beaux fleurons dans le monde entier. Cette tradition culinaire reposesur une production locale de produits patiemment développés et cultivés par desgénérations d’horticulteurs et de vignerons savants et passionnés, ces trésorsque la nature a si généreusement prodigué au sol français. Des cuisiniersinspirés conjuguent dans leur art des parfums, des saveurs, des couleurs quiparlent avec bonheur et subtilité de la poésie gustative du terroir et de ladiversité de son histoire, source civilisatrice s’il en est. Cette tradition dela table française où chaque mets est accompagné d’un vin qui l’exalte a étérécemment inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO, alors même que lanotion de terroir est remise en question par la polémique sociopolitique.

La logique cartésienne, et la mémoire collective, nesemblent pas régner dans ces débats sordides. Au moment crucial de l’élection,chaque parti songe à se réapproprier l’électorat du terroir, ces paysans, ces ploucs,si ardemment méprisés après lavictoire du président Sarkozy, selon la remarque de l’un de ses prochesconseillers : La France des binious et des bérets basquesn’est pas la France que l’on aime.Certes cette France des terroirs ne peut rivaliser avec Manhattan, comme leveulent faire Neuilly et le Grand Paris, sous l’influence de Sarkozy et de saclique. Malgré la crise mondialeéconomique, devenue depuis le printemps des révolutions arabes une crise socialeet politique, ils veulent créer une mégapole de Paris à Nantes afin d’asseoirleur pouvoir et de faire fructifier leurs ambitions. La France est en retard dedix ans dans ce développement urbain gigantesque et stérile, sinon à fairebénéficier banques et multinationales au détriment de communes rurales et deterres agricoles rayées de la carte. Ce n’est pas de nouveaux gratte-cielshideux et aliénants, tel un ghetto new-yorkais dont a besoin la France, cen’est pas là son destin. Elle a besoin que les zones industrielles sur sonterritoire renaissent en freinant la délocalisation, qui est contraire à tousses principes sociaux. La délocalisation constitue une nouvelle forme decolonialisme et d’exploitation de peuples payés à un salaire inférieur au salairefrançais, au détriment de la main-d’œuvre locale, au nom du profit ducapitalisme multinational et de ses actionnaires. La France a aussi besoin queson vaste patrimoine rural soit revalorisé et repeuplé en lui redonnant les services publics donton le prive au nom de réformes d’austérité, afin de faire avancer les chantiersdictés non par l’intérêt du pays mais les intérêts personnels et les ambitionsdes membres de l’exécutif. Que cesse cette instrumentalisation politique duterroir alors que ses intérêts sont chaque jour bafoués et sciemment ignorés.Que cesse ce spin destructeurde l’unité nationale en associant des souvenirs néfastes de racisme etd’antisémitisme afin de rappeler un passé négatif de la France. Au lieu de louer les vertus positivesdu terroir dans une pédagogie visant justement à créer cette identiténationale, chaque jour un peu plus appauvrie par des politiciens incultes etignorants, qui se servent du riche patrimoine français à leurs propres finsdans un spin partisan.Les récents immigrés trouveraient là des valeurs et des principes qui leurpermettraient de s’intégrer avec honneur et fierté à la société française.

La France doit redevenir fière de son passé, de sesterroirs, de sa grande tradition rurale qui a été sciemment ridiculisée etdétruite, afin de soutenir la thèse fausse et absurde d’une élite parisiennepseudo intellectuelle qu’elle ne consiste que de citadins. Dans un monde menacéde famine, de pénuries de toutes sortes, la France est uniquement dotée deressources humaines et agricoles, pour pouvoir subvenir à tous ses besoins etexporter ses produits. Elle peut redevenir indépendante des importations provenant de pays lointains,coûteuses en énergie et polluantes. En favorisant la consommation en saison deproduits locaux qui n’ont pas été traités pour survivre au transport, la Francepeut renouer avec sa tradition ancestrale de produits frais de premièrequalité, riches en vitamines et minéraux détruits dans les produits traités etmis au froid. Une meilleure santé nationale en résultera dans une diététique debons sens qui a nourri des générations, et a fait l’admiration desnutritionnistes dans le monde entier. La globalisation essentielle à la surviede la planète doit aller de pair, autant que peut se faire, avec l’autonomieagricole des pays et donc des régions, afin qu’une approche plus responsable etraisonnable de consommer soit rétablie. Alors seulement sera éradiquée lespectre de la famine et l’ignominie de l’inégalité entre les pays riches quiexploitent les pays pauvres. Ceux-ci sont dépossédés de leur agriculturetraditionnelle, qui les a nourris pendant des siècles, au profit deceux-là, et des intérêts destructeurs, égoïstes et cupides du marchénéolibéral. La spéculation sur les denrées alimentaires de base, le blé et leriz, doit cesser, et être déclarée illégale. Les pays d’Asie et d’Afriquedoivent recevoir les surplus des pays affluents, ainsi l’Union Européenne etles États-Unis, afin qu’une plus grande justice sociale mondiale advienne,celle que les pays arabes revendiquent. Ce printemps arabe est précurseur destemps à venir, un avertissement que les grandes nations doivent entendre, etauquel elles doivent instamment réagir, sous peine du risque de catastropheshumaines, politiques et économiques de dimension mondiale.

Le bon sens du terroir doit à nouveau prévaloir. Sansla France le monde est seul a ditGabriele D’Annunzio. La France doit devenir un champ expérimental privilégié,et un exemple au monde entier, en renouant les liens avec une traditionancestrale à l’écoute de la nature, qui a perduré dans l’art du vigneron, del’horticulteur, de l’apiculteur et de l’agriculteur. Ce bon sens est toutsimplement de se soumettre avec respect et humilité aux rythmes des saisons etde l’alternance des cultures, mettant la science au service de l’homme et de lanature. Non pas de mépriser l’homme et de violer brutalement la nature par lascience, au service du profit et de l’appât du gain d’un capitalisme dénuéd’humanisme. Les buts de l’écologie moderne seront alors accomplis dans unenvironnement à nouveau en harmonie avec l’homme, l’âge d’or de l’ancienneArcadie. Il suffit qu’il se trouve une vision sociale humaniste éclairée, unevolonté politique juste et intègre, un homme d’état courageux et suffisammentaudacieux, pour redorer le blason de la France dans ce qui est l’un de ses biens le plus précieux, sesterroirs. La France brillera alors de nouveau sur le monde tel un phared’espoir.

MONIQUE RICCARDI-CUBITT

www.arcadiamundi.eu

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