MICHEL LÉVY, SCULPTEUR AU CARREFOUR DU TEMPS & DES MONDES
Une exposition rétrospective de cinquante ans de création réunit à l’Espace Saint-Jean à Melun, jusqu’au 24 juin 2023, les œuvres de Michel Lévy, sculpteur émérite, peintre, collectionneur, photographe.
Michel Lévy, Chevalier des Arts et des Lettres, Médaille du Mérite, de la Ville de Paris et de l’Assemblée Nationale, Grand Prix Européen d’Art Contemporain, entre autres distinctions, est un artiste autodidacte visionnaire, un citoyen du monde, dont l’œuvre tend à l’universalité s’attachant aux fondamentaux, loin des dictats des écoles et du marché de l’art, des modes passagères et de la commercialisation de l’art et des artistes.
Michel est un poète, un philosophe, un humaniste à la profonde spiritualité dans un monde matérialiste devenu fou et suicidaire dans sa vénération pour la science et la technologie, qui ne connait plus le sens véritable du sacré, de la nature, de l’amour, de la vie, de la mort. Son œuvre diversifiée : sculptures, peintures, photographies, Cabinet de Curiosités, est infiniment complexe dans sa simplicité même, et pourtant totalement accessible, elle atteint à l’universel, car à travers les sens elle parle directement à l’âme.
Il puise dans ses origines juives algériennes la sagesse ancestrale des Fils d’Abraham, l’humanisme rayonnant et triomphant de la Méditerranée, cette matrice d’inspiration qui a touché tous les pays côtiers de Mare Nostrum, se traduisant dans un hymne à la Nature, à la Femme, à l’Amour, une joie de vivre exubérante et solaire. Elle est présente dans le triptyque du grand poème mystique biblique Le Cantique des Cantiques, Le chant de Salomon, où le sacré de l’amour charnel atteint dans la sensualité érotique des vers au sublime de l’Ineffable. St. Bernard, ainsi que Dante, qui le nomma guide suprême au Paradis, s’en feront l’écho dans leurs écrits : Dieu est Amour, tel l’exprime le dernier vers de la Divine Comédie, au Canto XXXIII du Paradiso : L’amor che move il sole e l’altre stelle. L’Amour qui meut le soleil et les étoiles.

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Dans cette sculpture aux multiples aspects, qui allie différentes techniques et où foisonnent les symboles et les allégories, toute la spiritualité du poète et du philosophe se traduit en termes picturaux et plastiques en une unité de conception artistique où se fondent les racines juives de l’artiste, son inspiration humaniste classique héritée de l’Antiquité, son séjour en Thaïlande et sa connaissance de l’art asiatique, son parcours de thérapeute après des études de médecine, et l’apport de l’art européen qui unifie l’ensemble. Dans cette œuvre l’essence même du génie créateur de l’artiste est distillée entre l’érudition du savant hébraïsant, l’art du collectionneur du Cabinet de Curiosités qui stimule l’imagination, la métaphysique et la spiritualité du philosophe humaniste, la sensualité et l’érotisme de l’homme amoureux de la nature et des femmes. Fermé, le triptyque semble prendre ses sources dans l’art italien de la Renaissance : le style du paysage peint évoque ceux de Léonard de Vinci, un paysage onirique de l’âme, tel dans la Mona Lisa. Le bronze qui le sertit est grouillant de formes et de symboles, dont la fleur de cerisier en bourgeon venue du Japon, un motif récurrent chez Michel Lévy, symbole du renouveau et d’une renaissance. Ce cadre s’assimile en esprit aux sculptures maniéristes du Sacro Bosco du Parc de Bomarzo en Italie, et des œuvres des peintres architectes Frederico Zuccari et Bartolomeo Ammanati. Il évoque aussi en style et technique l’œuvre de Rodin dans la Porte de l’Enfer, une source d’inspiration constante jusqu’à sa mort, ou celles des sculpteurs et architectes de l’Art Nouveau. Un fois ouvert le sanctum révèle le texte sacré gravé en hébreu sur le métal, au-dessus d’une pomme d’or mentionnée par Michel Lévy comme une référence au commentaire du Chant de Salomon de Moïse Maïmonide, le philosophe et métaphysicien talmudiste du 12e siècle, aussi médecin, né à Cordoue et mort en Égypte, où il dirigea la communauté juive.

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Son commentaire est précieux, il relie ce poème à la tradition des poèmes d’amour sacrés, mystiques et ésotériques, du Proche-Orient antique, tel à Babylone ou en Égypte. Michel Lévy dans une interview sur son œuvre, parle du Temple de Salomon construit par Hiram, architecte formé en Égypte, de son antique nom al-kemia, la Terre Noire, d’où est issu l’enseignement d’Hermès Trismégiste, et étymologiquement l’alchimie, la philosophie naturelle inscrite sur sa Table d’Émeraude : Tout ce qui est en bas est aussi en haut…Toutes choses procède d’une seule..Son père est le Soleil, sa mère la Lune, le Vent l’a porté, la Terre est sa nourrice. Cet héritage est évoqué dans la colonne de style égyptien sur le cadre de bronze à droite. À gauche, lui faisant pendant, se trouve un homme courbé en plein effort, l’artiste explique : « Je pense que la véritable colonne du Temple c’est l’Homme lui-même », révélant son humanisme gréco-romain, qui s’exprime dans les deux figures en bas-relief d’Adam et Ève, aux formes stylisées maniéristes sublimant la connaissance anatomique de l’artiste.

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Ce triptyque contient en lui tous les éléments qui se retrouvent dans l’art de Michel Lévy et le nourrissent, hormis dans les œuvres satiriques, telle la série des Nains, représentation non pas d’une singularité physique mais une allégorie de l’homme courbé sous le poids de sa condition humaine, qui le réduit en stature à un nain grotesque, incapable d’assumer sa propre grandeur, mais accablé par sa propre turpitude et médiocrité, il est rabaissé au rang d’un nabot. Ainsi il est représenté dans la série Cantabile de sculptures et de peintures métaphoriques de Poulets, déplumés tel ils sont dans les rayons du supermarché, dépouillés de leur dignité animale, objet de consommation élevé à grande échelle en batterie, enchaînés par un nain qui le conduit vers l’abattoir, chargé de livres et autres bagages de culture et civilisation désormais sacrifiés au seul désir de l’Homme, rapetissé par ses désirs les plus bas et sa cupidité, par la société de consommation, le règne du marché financier et de la technologie.
La grandeur de l’Homme Michel Lévy la voie en germe dans l’Enfant, qu’il représente ailé, dans Ailes rouges, ou tel un hiérophant à la haute coiffe des prêtre antiques dans Magicien. L’enfant, qui retient encore dans l’innocence de son regard le souvenir des hautes sphères qu’il vient seulement de laisser pour s’incarner sur cette terre, dont il ne partage pas encore le poids et le carcan des règles et des lois que lui imposera la société, le réduisant à un produit formaté, facilement pliable et assimilable, acceptant toutes compromissions. Ce regard neuf, cette innocence du cœur, cette ouverture de l’esprit de l’enfant, le poète, l’artiste, les retient précieusement, c’est là sa grandeur et son génie.

Et il s’abandonne avec une joie dionysiaque à la jouissance de la beauté de la Femme, Éternel Féminin dans Éve, qu’il représente tant dans sa part d’ombre que de lumière, investie de son terrible pouvoir de séduction dans Circé ou Démon de midi, réduisant l’homme au rang de pourceau. Ou rayonnante d’amour dans diverses Maternité, élevée au rang de Muse et d’initiatrice, dans Ange et Anthologie de la Poésie, quand le petit dieu Éros cède sa place à son jumeau Antéros, père du génie créateur, souffle inspiré des Muses. La Femme est sublimée dans Athanor, creuset alchimique, son rôle le plus noble et le plus puissant, source de toute vie et de création sous tous ses aspects physiques, intellectuels et artistiques, que l’artiste place sous le signe du sacré, un dais impérial la mettant hors de portée du vulgaire et du commun.

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Dans la série Saisons elle appartient à la Nature, elle en est le reflet. Il en fait le portrait en buste dans un style proche de l’Art Nouveau, la stylisant dans sa beauté rayonnante. Michel Lévy avait débuté dans l’art comme fondeur, et le bronze a pour lui aucun secret. Il le burine, le polit, le patine amoureusement sur un corps ou un visage de femme, il le cisèle en filigrane dans sa chevelure faite de fragiles filaments, animés d’une vibrante énergie, tel dans les représentations féminines de Mucha ou de Lalique.

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Dans le tondo de bronze polychrome Dualité, à gauche elle représente la Vie, comme dans Printemps, entourée de bourgeons de cerisiers qui porteront fleurs et fruits. De l’autre côté du paysage marin où luit le soleil, en son milieu, un obélisque pointe vers le ciel, séparant les deux sphères de réalité, celles de la Vie et de la Mort, qui doubles et séparées ne sont en en fait qu’un Tout indissociable. Autour de l’obélisque s’enroule la chaîne d’un homme en bas du monument, qui, captif de ses illusions, ne peut accéder aux plus hautes sphères. Sur la droite dans un grouillement de monstres marins et autres, un crâne de chien et un serpent évoquent la mort, et la peur de ce passage vers l’au-delà, qui ressort de l’animalité de l’homme et de ses instincts primitifs. L’initié, l’enfant ne la craignent point, ils savent tous deux qu’elle est le passage à une autre forme d’existence dont provient toutes manifestations de vie sur terre. La forme plastique protéiforme du côté droit évoque le décor de rochers et de coquillages des grottes maniéristes de la Renaissance italienne, avec leurs monstres et motifs végétaux, repris dans le style Rocaille français du 18e siècle, et dans l’Art Nouveau.

L’aspect décoratif de la forme est constant dans l’œuvre de Michel Lévy, allié à la plus haute réflexion métaphysique et expression symbolique. Il se retrouve dans une récente série de tableaux non représentatifs peints durant le confinement de l’épidémie du Covid, formés de motifs abstraits issus de son héritage algérien, tout autant que thaïlandais. La couleur est vibrante, les tons primaires évoquent tout autant la joie-de-vivre méditerranéenne de l’art fauve de Matisse que les pochoirs ou imprimés des textiles kabyles, berbères ou asiatiques.
Son Cabinet de Curiosités lui a inspiré une série de montages photographiques de natures mortes, le plus souvent des Vanitas à la manière du 17e siècle, où il rassemble des objets de sa collection, de formes, matière et origines diverses, en un Memento mori très personnel, qui associe la forme esthétique au message métaphysique.

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Dans son travail récent en sculpture un style plus géométrique des formes se fait jour, et le rapproche des Modernes et du Cubisme, tel Rimbaud, ou Mystère de la poésie, un buste imaginaire du poète en résine blanche proche de l'art de Brancusi et de Picasso.

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Michel Lévy comme tous véritables artistes, est hors du temps et dans son temps. Il a mis au creuset de son art les traditions du passé de pays lointains, les leçons des maîtres anciens, sans en être formaté par l’enseignement des écoles et des courants artistiques. Il transcende les pays et les mondes, les idées et les religions, en esprit c’est un nomade sur cette terre, ce qui est la réalité de la condition humaine dans son évolution et sa fugacité. Tel est le pouvoir du génie créateur, ouvert à tous les vents, mais enraciné dans sa propre culture. « Si tu ne sais pas d’où tu viens, tu ne sais pas où tu vas » disent les Tsiganes. Dans un monde désaxé, qui a perdu tous repères, Michel Lévy nous montre la voie, celle du cœur et de l’esprit. Ainsi le dit Shakespeare dans Hamlet, Acte I, scène 3, quand Polonius conseille son fils Laertes.
‘This above all: to thine own self be true,
And it must follow, as the night the day,
Thou canst not then be false to any man.’
‘ Avant toute chose, soit fidèle à toi-même,
Et il ensuit, comme la nuit suit le jour,
Que tu ne pourras être faux envers personne.’
Michel Lévy, Rétrospective pour l’à-venir
Espace Saint-Jean à Melun
Ouvert du mardi au samedi de 13h à 18h
VERNISSAGE DE CLÔTURE
Samedi 24 juin de 15h à 20h
Monique Riccardi-Cubitt
Melun, le 19 juin 2023