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Billet de blog 12 janvier 2024

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Otage en Afghanistan, mon premier jour dans la prison des talibans

De l'enfer à la liberté : mon récit intime des prisons des services de renseignement talibans à Kaboul. Je m’appelle Mortaza Behboudi. Je suis journaliste. J’ai passé plus de 284 jours, du 07 janvier au 18 octobre 2023, dans plusieurs prisons des services de renseignement des talibans à Kaboul en Afghanistan. Je fais des petites vidéos pour raconter ces prisons et la torture que j'ai vécu.

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Illustration 1
Vidéo youtube : Mon premier jour dans la prison des talibans © Mortaza Behboudi

C'était le 7 janvier 2023, je me rends pour couvrir une manifestation des étudiantes afghanes devant l'université de Kaboul, vers 11h du matin. Elles étaient une vingtaine et souhaitaient présenter leurs thèses à la faculté, mais les talibans ne le leur permettaient pas. Je prends mon appareil photo et commence à prendre des photos tout en échangeant avec les étudiantes. Laila, 24 ans, me parle d'une existence quasi carcérale depuis l'arrivée des talibans. Elle ne sort qu'une fois par semaine. Son rêve de devenir enseignante a été brisé par l'avènement des fondamentalistes.

Quelques minutes plus tard, un taliban en civil me demande de le rejoindre. Je remarque son arme dissimulée dans sa voiture. Il m'oblige à monter dans son véhicule malgré la présentation de mes papiers et de ma carte de presse. Nous nous arrêtons devant le bureau local des services de renseignements des talibans. Il descend pour parler à l'un des chefs du bureau qui se trouve à l'entrée.

A ce moment là, je retire la carte SD de mon appareil photo que je cache dans ma chaussette, puis je commence à supprimer mes applications de communication sur mon téléphone. Je sais que si les talibans trouvent la carte SD avec les photos des étudiantes, elles seront également arrêtées. L'agent taliban me demande de descendre et de présenter mes papiers à son chef. Celui-ci vérifie ma carte de presse et mes documents avant de me demander ma carte d'identité. Je lui remets mon passeport français. Immédiatement, il déclare que je suis un traître. L'agent me conduit alors dans le sous-sol du bureau, confisquant mon appareil photo, mon téléphone et mes effets personnels, puis me pousse dans une cellule sombre.

Vidéo youtube : Mon premier jour dans la prison des talibans © Mortaza Behboudi

Sous le choc, plongé dans l'obscurité oppressante de ma cellule sans lumière, je réfléchis à ma situation. Plus tard, deux agents m'handicapent en me menottant les mains et les pieds. Ils me dirigent vers une salle d'interrogatoire, où l'un d'eux me demande le mot de passe de mon téléphone, que je refuse de donner. En guise de réponse, je reçois une gifle. Les deux agents commencent alors à me fouetter le dos et les pieds avec un fouet, m'insultant en me traitant de "Sale Hazara" et de traître, m'ordonnant de me faire tuer. 

Ils me jettent ensuite dans ma cellule. Chaque battement de mon cœur est douloureux, et je ressens la brûlure des cicatrices infligées lors de cette demi-heure de torture. Ma première nuit dans la prison locale des services de renseignements des talibans devient un cauchemar en constante intensification.

Plus tard, j'assiste à l'arrivée d'un membre de Daesh, capturé et conduit dans le sous-sol. Il est attaché au plafond devant ma cellule, fouetté avec un tube en métal, et finalement torturé à mort. Son sang coule par terre, et une heure plus tard, il ne bouge plus, décédé.

Les échos des séances de fouet résonnent en moi, les hurlements déchirants se mêlant à l'obscurité, me laissant témoin impuissant de l'horreur, confronté à l'inimaginable dans l'ombre de ma cellule solitaire. Personne n'est au courant que je suis là...

Dans l'obscurité, je n'aperçois rien, mais j'entends tout, même le bruit d'un chat passant dans le sous-sol ou le souffle du vent. Il fait un froid glacial.

Au fil des heures, un petit lumière de téléphone apparaît. Un agent arrive et me demande si je veux aller aux toilettes et je dois prier. Il est quatre heures du matin. Il part chercher les clés, et c'est à ce moment que je prends la carte SD pour la jeter dans les toilettes.

L'agent arrive et me gifle en me disant : "Tu veux aller aux toilettes aussi ? Tu es un sale Hazara et un traître." Les Hazaras sont une minorité persécutée depuis des années par les talibans et Daesh.

C'est une partie de cette première nuit dans la prison locale des services de renseignements des talibans.