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Billet de blog 14 décembre 2019

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Comment les travailleurs belges ont bloqué la retraite à points

C'est dans "Solidaire", le journal du Parti du Travail de Belgique, que Jonathan Lefèvre nous raconte comment il y a deux ans, gouvernement et patronat ont tenté d’imposer une « pension » à points. Les travailleurs ont réussi à les faire reculer. -- BlackRock. Un géant américain de la finance à l’assaut des retraites des Français, Un fonds à la puissance insoupçonnée !

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Publié dans l'Huma

Alors que le gouvernement fédéral affichait sa détermination d’aller jusqu’au bout de sa réforme – imposer ce qu’on appelle ici la pension à points, « le point d’orgue de toute réforme des pensions du gouvernement » selon le ministre libéral des Pensions Daniel Bacquelaine – il a reculé à mesure que les travailleurs marchaient dans les rues du pays...

La lutte de la pédagogie

Le 28 octobre 2017, le ministre des Pensions annonce : « J’introduis un projet de loi sur la pension à points avant la fin de l’année. » Très vite, les trois organisations syndicales du pays réagissent et le 19 décembre, une première manifestation en front commun est organisée à Bruxelles. Plus de 40 000 personnes battent le pavé de la capitale.

Le jour même de cette première action d’envergure, le ministre effectue son premier rétropédalage : il annonce que, finalement, son texte sera introduit pour juin. Reculade encore en avril, lorsqu’il déclare : « Il ne faut pas absolument voter les textes avant la fin de la législature. Il y a d’abord un effort pédagogique à faire. » Sous-entendu : les gens auraient tort de se mobiliser contre une réforme qu’ils ne comprennent pas.

Mais les travailleurs avaient bien compris que le système de retraite à points transformait les retraites en tombola. C’est d’ailleurs un message que n’ont cessé de rappeler les syndicats et le PTB (Parti du Travail de Belgique). Une tombola que résumait de cette manière le député et porte-parole du PTB Raoul Hedebouw, en décembre 2017 déjà : « On vous donnera des points et plus des euros. Ces points seront calculés à la fin de votre carrière. Mais ils seront variables en fonction du budget de l’État, du coût de la vie et de l’espérance de vie. Donc, si l’espérance de vie augmente, notre pension va diminuer. S’il y a de nouveau une crise comme en 2008, c’est à nouveau les pensionnés qui vont payer, automatiquement. C’est une pension tombola. »1

Une tombola organisée par la Commission européenne. Car la retraite à points est bien une « demande » venant de l’Union européenne. Partout où ce système est imposé, les montants des retraites ont diminué, l’âge pivot a reculé.

Comme en Allemagne, où les retraites ont baissé de 10 % par rapport aux salaires. Et où 2,7 millions des plus de 65 ans vivent sous le seuil de pauvreté. Ou comme en Suède, où les travailleurs doivent bosser jusqu’à 68,5 ans pour toucher le montant qu’ils avaient avant la réforme, à 65 ans.

Ce système à points favorise l’assurance privée : vu que les retraites sont plus basses et que les travailleurs ne savent que très peu de temps avant leur retraite le montant de celle-ci, ils sont plus enclins à prendre une assurance individuelle afin de pallier aux mauvaises surprises.

Avec la fin du système par répartition, au revoir la solidarité interprofessionnelle et intergénérationnelle. Au revoir les revendications collectives. Bonjour la privatisation des retraites.

Grâce au travail de sensibilisation des syndicats et du PTB, les manœuvres du gouvernement afin d’enfumer les travailleurs échouent.

Mobilisation de la rue

Convaincus de la dangerosité des plans du gouvernement, ils sont plus de 70 000 dans les rues bruxelloises le 16 mai 2018, lors d’une manifestation centrée sur le refus de la pension à points. Quelques jours après, un prédécesseur de Daniel Bacquelaine, le député fédéral Vincent Van Quickenborne, confirme à la télévision ce que les travailleurs savent déjà : le gouvernement n’osera pas imposer la casse du système par répartition en mettant en place le système à points durant cette législature. « Mon impression est qu’elle ne viendra plus. Et le ministre l’a confirmé il y a deux semaines. D’où cela vient-il ? C’est une réforme drastique du système. Il y a hélas de l’insécurité et des incertitudes. (…) Et, pour le dire honnêtement, nous sommes trop proches des élections (les communales, équivalent des municipales, ont eu lieu en octobre 2018 et les scrutins des autres niveaux de pouvoir en mai 2019, NdlR) pour prendre encore une décision sur ce point. »

Mais, plus que les calculs politico-politiciens, c’est bien la mobilisation de la rue qui a fait reculer le gouvernement libéral.

Les leçons de la victoire

Les organisations qui ont réussi à bloquer la réforme ont tiré des leçons. D’abord, le sujet des retraites est l’un de ceux où la colère est la plus grande chez les travailleurs. Ensuite, la pression populaire s’est exprimée via un mouvement large qui a réuni des travailleurs de tout le pays, en front commun syndical, interprofessionnel, mais aussi des associations citoyennes, et avec le soutien de la population.

Preuve de ce soutien, un sondage paru en juin 2018 montrait que la majorité de la population voulait prendre sa retraite plus tôt, et pour un montant plus élevé. Trois quarts des travailleurs belges disaient avoir peur de ne pas avoir une retraite décente.2

Autre leçon : un objectif clair. Les 70 000 personnes qui ont manifesté en mai 2018 l’ont fait en se montrant fermes quant à leur refus du système à points. Pas d’aménagements possibles, c’était non, et « juste » non. Ce sont cette unité et cette clarté par rapport à l’objectif qui ont mené les travailleurs à la victoire. Et qui donnent maintenant des idées pour aller plus loin…

En route pour de meilleures pensions

Car une telle victoire laisse des traces. Du côté des perdants – les partis au gouvernement fédéral ont subi une sévère défaite – mais surtout des gagnants. Les organisations syndicales et le PTB sont passés à l’offensive : pour une pension minimum de 1500 euros net par mois. La campagne du parti de gauche est d’ailleurs en plein boum. Les 100 000 signatures de citoyens que le PTB a recueillies afin de déposer une proposition de loi d’initiative citoyenne (la première dans l’histoire du pays) pour arracher cette pension minimum sont sur le point d’être déposées… Un succès qui s’explique en partie par le signal envoyé en 2017-2018 : les travailleurs peuvent gagner face au gouvernement.

(1)« Matin Première », RTBF, 21 décembre 2017 2. « Trois Belges sur quatre craignent de ne pas avoir une pension décente », Le Soir, 12 juin

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Le Parti Communiste de Belgique apporte son soutien fraternel aux travailleurs de France en grève le jeudi 5 décembre 2019

Votre combat est suivi par les travailleurs de Belgique qui veulent que leurs organisations syndicales mettent en place le rapport de forces nécessaire pour stopper la spirale infernale et récupérer notre dû.

L'attaque de Macron contre les pensions (pensions à point, allongement de la carrière…) est similaire à ce que le gouvernement Belge veut nous imposer en Belgique. Nous avons pu limiter les dégâts avec des actions, mais ce n'est pas assez : quel que soit le prochain gouvernement, il continuera à prendre des mesures antipopulaires et antiouvrières pour mieux servir les intérêts du capital Celui-ci, à travers les diktats de l’Union européenne, veut casser tout ce qui est social, privatiser absolument tout. Pour le patronat il y a d'énormes profits à tirer des privatisations. Pour les classes populaires-ouvrières, c’est l’augmentation de leur exploitation.

Les arguments sur "les caisses sont vides" et que l'on vit au-delà de nos moyens sont un énorme mensonge. Les gouvernements bourgeois trouvent l’argent pour faire des cadeaux fiscaux énormes aux monopoles, multinationales et au grand capital. Nos pays sont très riches mais épuisés financièrement par des sangsues fiscales, aidées par les libéraux et sociaux-démocrates qui appliquent sans rechigner les traités d’austérité de l’Union européenne dont le but n'est pas de faire des économies mais bien de démanteler toute la protection sociale des peuples d'Europe.

L'enjeu de la mobilisation, en France comme en Belgique, dépasse la lutte pour les pensions. À l’attaque globale, les classes populaires-ouvrières doivent répondre unies en faisant converger les luttes, y compris au-delà de nos pays respectifs et en nous attaquant à l’origine du problème : le système capitaliste et ses supplétifs, l’Union européenne et les gouvernements bourgeois. Pour enrayer la spirale infernale, inverser la tendance, stopper la politique d'austérité de l'UE, un seul mot d’ordre : grève générale au niveau national et européen pour le retrait des mesures antipopulaires et pour la récupération de toutes nos conquêtes sociales !

Finalement nous devons nous battre pour sortir de cette Europe libérale et néo-fasciste, mais pas seulement, revenir à un état national capitaliste ne fait que changer de dirigeants qui appliqueront la même politique. Il faut relier la condamnation et l’exigence de retrait nécessaires de l'UE/Euro/OTAN au combat pour la chute du capitalisme, pour le socialisme.

Le Bureau Politique du PCB-CPB -Bruxelles le 05-12-2019

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BlackRock. Un géant américain de la finance à l’assaut des retraites des Français - Sébastien Crépel

Fonds de pension.  Le gigantesque gestionnaire d’actifs BlackRock lorgne l’épargne hexagonale, qu’il voudrait transformer en retraite par capitalisation. Il attend que la loi Pacte votée au printemps et la réforme Delevoye lui ouvrent les portes de ce marché.

Pas la peine de chercher le nom de BlackRock dans l’agenda des concertations ministérielles sur les retraites : il ne figure nulle part. Cela n’empêche pas ce mastodonte de la Bourse américaine, présent dans le capital des plus grandes entreprises françaises et gérant l’épargne de millions de salariés à travers le monde, de s’intéresser de très près à la réforme des retraites, en dispensant ses « recommandations » au gouvernement et au président de la République.

En juin 2019, soit quelques jours avant la remise du rapport de Jean-Paul Delevoye sur le projet de « régime universel », le fonds d’investissement a détaillé, dans un document d’une quinzaine de pages, tout le profit qu’il espère tirer d’une réforme des retraites qui fasse une large place à la capitalisation, en s’appuyant notamment sur la loi Pacte votée au printemps sous l’impulsion de Bruno Le Maire.

Le document intégral : « Loi Pacte: Le bon plan Retraite » (sic)

Cette loi trop peu connue du grand public a préparé le terrain, en créant les conditions d’une montée en puissance des produits d’épargne retraite dans les années qui viennent. La réforme Delevoye vient en quelque sorte en complément de celle-ci, les recommandations de BlackRock éclairant de manière saisissante le contexte d’offensives tous azimuts de l’univers de l’assurance privée dans lequel elle s’inscrit. Une opération facilitée par l’accession à l’Élysée d’Emmanuel Macron, qui cultive ses relations avec le PDG de BlackRock, Larry Fink.

Pour le fonds américain, l’Hexagone représente un marché essentiel : « Les Français se distinguent au niveau mondial par un taux d’épargne élevé, 14 % de leur revenu disponible chaque année », relève BlackRock. Cela représente un pactole accumulé, tous patrimoines confondus, de 13 125 milliards d’euros en 2016, dont 5 400 milliards d’actifs financiers.

En Europe, seuls les Allemands épargnent davantage. BlackRock voudrait mettre la main sur cette montagne d’actifs, mais il doit pour cela éliminer un obstacle de taille : la méfiance historique des Français pour les produits financiers, et en particulier pour les retraites par fonds de pension, jugées peu sûres. 63 % d’entre eux estiment les placements en actions trop risqués, selon le baromètre de l’Autorité des marchés financiers. « Les différentes crises financières ont ancré dans les esprits que les marchés financiers sont d’abord des sources de risque avant d’être des sources de performance », se désole BlackRock. Et les 15 ans de réformes précédentes des retraites ont échoué à ouvrir le marché tant espéré.

Le « pilier » de la capitalisation est déjà au cœur de la réforme

Le fonds attend donc du gouvernement qu’il l’aide à vaincre cette aversion en réformant profondément les mécanismes d’épargne retraite. Ce qu’a commencé à faire la loi Pacte, « en permettant à l’épargnant de bénéficier d’un allègement fiscal » et d’une « gestion pilotée » de son plan d’épargne retraite, un outil programmé pour augmenter la part des investissements à risque, type actions en Bourse, pour les épargnants les plus jeunes. Pour BlackRock, au moment où les autorités s’apprêtent à réformer les « piliers 1 et 2 » de la retraite (les régimes de base et complémentaires), il est urgent d’ « intégrer le pilier 3 dans leur périmètre de réflexion » (la capitalisation) en « unifiant les différents volets de la réforme des retraites ».

De fait, le « pilier » de la capitalisation est déjà au cœur de la réforme, même si le haut-commissaire aux retraites – dont les liens avec le monde de l’assurance viennent d’être mis au jour – s’en défend. Son projet de régime universel est un « système de répartition par cotisation couvrant un maximum d’actifs », plaide-t-il, puisqu’ils cotiseront pour leur retraite sur une assiette de salaire allant jusqu’à 10 000 euros par mois. Soit quasiment l’intégralité des actifs… mais pas tous. C’est toute la subtilité. Pour rappel, jusqu’alors, les retraites complémentaires par répartition Agirc-Arrco permettaient de cotiser jusqu’à 27 000 euros de salaire mensuel. C’est donc un espace supplémentaire pour la capitalisation qui vient de s’ouvrir pour les plus aisés, au bénéfice des assureurs. Cela est d’ailleurs écrit en toutes lettres dans le rapport de Jean-Paul Delevoye : « Les employeurs et les salariés qui le souhaiteront pourront compléter le niveau de retraite par la mise en place de dispositifs collectifs d’épargne retraite. »

C’est cet avantage que veut pousser BlackRock, en dispensant une quinzaine de recommandations au gouvernement. Le but, vendre des produits d’épargne aux plus riches, mais, au-delà, le document propose par exemple une « contribution automatique » de 5 % des salaires à des plans d’épargne d’entreprise, complétée d’un « dispositif d’augmentation automatique » en cas de hausse des rémunérations… Il va jusqu’à envisager un « crédit d’impôt » de 1 000 euros par an « accessible aux ménages non imposables », ce qui « constituerait une forme d’abondement public » pour « démocratiser largement le modèle au-delà des seuls ménages ayant un intérêt fiscal à se constituer une épargne retraite ». Ou comment financer sur fonds publics le chiffre d’affaires des assureurs en fourguant des produits d’épargne aux plus pauvres.

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BlackRock. Un fonds à la puissance insoupçonnée - Pierric Marissal

Tentaculaire, richissime et extrêmement influent, le groupe américain BlackRock fait figure de Goldman Sachs moderne.

BlackRock est le plus gros fonds de gestion d’actifs au monde, et détient environ 7 000 milliards d’euros de placements, soit près de trois fois le PIB français.

Le fonds tire la majorité de ses revenus en gérant l’épargne retraite privée de salariés du monde entier : les fameux fonds de pension. Comme en France, ils sont régulés – on ne peut pas librement spéculer avec sur les marchés –, cela explique sa campagne de dérégulation auprès de l’État mentionnée ci-dessus.

BlackRock entend transformer l’épargne retraite en fonds négociés en Bourse (ETF), les placer sur les marchés financiers, à la nano seconde près, à l’aide de son intelligence artificielle Aladdin. Comme il le loue à près de 30 000 fonds d’investissement, cet algorithme monstre gère tout seul 18 000 milliards d’euros d’actifs, l’équivalent du PIB de l’Union européenne.

Ces placements ne coûtent a priori quasi rien pour l’épargnant : son argent est mutualisé dans un fonds spéculatif. Mais les risques sont réels. Ces fonds ne dégagent une rentabilité que tant que les marchés croissent et que les liquidités sont abondantes. En cas de récession, ils s’effondrent et peuvent même, en cas de retrait, déclencher un krach.

Un pouvoir de décision économique énorme

De ce fait, BlackRock s’est diversifié. Un tiers environ de ses actifs sont placés en actions, dont plus de 100 milliards d’euros placés dans 18 groupes du CAC 40 (Total, Sanofi, Axa, BNP…). Et c’est pire en Grande-Bretagne, en Allemagne ou aux États-Unis.

Le fonds dispose ainsi d’un droit de vote au conseil d’administration de 17 000 des plus grandes multinationales du monde. Son pouvoir de décision économique est énorme. Sa branche « service » vend aussi des analyses et des « stress tests » aux banques centrales des États.

Prenant la suite des banquiers de Goldman Sachs, ses experts se sont immiscés dans la gestion de l’après-crise en Grèce, en Irlande, en Espagne…

Pour développer son assise politique, le fonds a recruté malin : Friedrich Merz, l’ancien chef de la majorité au Parlement allemand, dirige l’antenne locale. En Grèce, c’est l’ex-responsable du programme gouvernemental de privatisation aux commandes et, en Suisse, l’ancien patron de la banque centrale locale.

La filiale française est, elle, dirigée par Jean-François Cirelli, ancien conseiller économique de Jacques Chirac, ex-PDG d’Engie, membre du comité de campagne d’Alain Juppé aux côtés d’Édouard Philippe, qui l’a ensuite nommé au programme Action publique 2022. Larry Fink, PDG de BlackRock, est, lui, plus proche d’Emmanuel Macron, qui l’invite au moins une fois par an à l’Élysée. L’an passé, pendant le dessert, il a même eu droit à un topo sur « les évolutions du marché du travail français » présenté par Muriel Pénicaud.

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