Fabien Roussel - "Je regrette que le gouvernement fasse le choix du bras de fer - vidéo 14'
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Publié dans l'Huma - Mercredi, 18 Décembre, 2019 - Cyprien Caddeo et Julia Hamlaou
Depuis la semaine dernière, la gauche multiplie les rendez-vous. En meeting le 11 décembre à Saint-Denis, auprès des grévistes de la gare de Lyon à Paris lundi, ou encore aujourd’hui sur une même tribune à Beauvais, les principales formations de gauche ont un mot d’ordre commun : « Retrait de la réforme des retraites du gouvernement. »
Si plusieurs de ses responsables, de Fabien Roussel (PCF) à Julien Bayou (EELV), plaident pour trouver aussi les voies d’une alternative commune, notamment pour en finir avec les failles du système actuel sur la pénibilité, les petites retraites ou encore les carrières hachées, tout le monde n’est pas convaincu.
Pour la France insoumise, qui présentera aujourd’hui son propre contre-projet à l’Assemblée nationale avant un meeting ce soir de Jean-Luc Mélenchon à Paris, ce n’est pas la priorité du moment. Pour autant, un « comité de liaison » pour poursuivre les initiatives communes doit voir le jour dans la matinée, et un « intergroupe » doit être créé dans l’après-midi pour préparer l’éventuelle bataille parlementaire. Reste, même si elles ne sont pas toujours entendues (lire ci-contre), que chacune des formations met sur la table de nombreuses propositions qui ne font pas toujours consensus. Tour d’horizon.
PCF Un système « révolutionnaire » de modulation des cotisations
« Le régime spécial des super-riches et des revenus financiers, le gouvernement n’en parle pas », aime à dire le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel. Et c’est là l’un des piliers de la réforme des retraites défendue par le PCF : appliquer une cotisation sur les revenus du capital de 10,45 %. En matière de financement, les communistes proposent aussi un système qu’ils estiment « révolutionnaire » grâce à une « modulation des cotisations » pénalisant les entreprises qui délocalisent, multiplient les contrats précaires, ne respectent pas l’environnement… De quoi rapporter 50 à 70 milliards d’euros, selon les calculs du PCF, et ouvrir un chemin vers une économie « désintoxiquée de la finance ». À ces mesures s’ajoutent : l’égalité salariale femmes-hommes (6 milliards d’euros), l’augmentation du Smic de 20 %, la création d’emploi… Autant de moyens pour un « régime unifié », géré par les assurés, en vue d’une retraite à 60 ans (55 ans pour les métiers pénibles), avec une pension à 75 % du salaire (calculé sur les dix meilleures années) et pas une sous le Smic pour une carrière complète.
FI Pas de pension sous le Smic pour une carrière complète
« Je propose la retraite par répartition : 40 annuités, on s’arrête à 60 ans, pas de retraite complète sous le Smic et le minimum vieillesse au-dessus du seuil de pauvreté », résume Jean-Luc Mélenchon. Dans son programme présidentiel, sont également listées les principales pistes de financement que le mouvement précisera ce matin à l’Assemblée nationale : « Mise en contribution des revenus financiers des entreprises, augmentation du nombre de cotisants et de l’assiette des cotisations et de leur taux, fin des exonérations fiscales pour les régimes de retraite par capitalisation », peut-on y lire. « Avec 1 % d’augmentation des salaires, on récupère 2,5 milliards d’euros pour les retraites », argumente le député de Marseille. Si les insoumis proposent de fusionner la CSG et l’impôt sur le revenu, Éric Coquerel met en garde sur le risque de « fiscaliser un peu les cotisations sociales ». « Ce n’est pas notre choix, explique le député, la manière d’aller chercher la captation des richesses par le capital, c’est d’augmenter les salaires, appliquer l’égalité salariale, créer de l’emploi, partager le temps de travail, en finir avec les exonérations de cotisations ».
EELV Une réforme juste dans un grand plan de transition
« Expliquons qu’on peut faire autrement », martèle Julien Bayou, secrétaire national d’EELV. Pour les Verts, un contre-projet de réforme des retraites socialement juste n’exclut « aucun tabou », pas même la retraite à points, ni de maintenir l’âge de départ à 62 ans, mais doit répondre à trois exigences : une meilleure prise en compte de la pénibilité du travail, avec un barème de compensation donnant droit à une année de départ anticipé pour dix ans d’exposition ; une bonification forfaitaire dès le premier enfant pour les femmes ; la prise en compte des parcours de vie (stages, changements de statuts, inactivité…). Mais « rien de tout cela ne fonctionne, si on continue à n’avoir que 50 % des seniors en emploi et l’autre moitié au chômage ou en invalidité », nuance Julien Bayou. Son parti propose d’inscrire cette réforme dans le cadre d’un « green new deal », un grand plan de transition écologique, afin à la fois « d’agir face au changement climatique et de contribuer à l’emploi, et donc à de meilleures retraites pour tous ».
Génération·s La taxe robot pour financer les caisses de retraite
Pour le mouvement fondé en 2017 par Benoît Hamon, on ne doit pas aller au-delà de l’âge légal de 62 ans. « On n’est pas contre le fait de le ramener à 60 », ajoute même Guillaume Balas, coordinateur de Génération·s. Pour lui, il s’agit déjà d’appliquer réellement la loi, votée en 2013, sur le minimum contributif de 1 000 euros (que le gouvernement présente comme une fausse nouveauté dans sa réforme). Ensuite, « il est impératif de comptabiliser toutes les heures travaillées, à condition que cela ne devienne pas une prime à la précarité ». Pour lutter contre cette dernière, Génération·s souhaite faire respecter l’égalité salariale hommes-femmes par des sanctions contre les entreprises, limiter les contrats courts et revaloriser le CDI, mis à mal par les réformes successives du Code du travail. Enfin, face à une économie robotisée et/ou ubérisée, il faut « exiger de la part du capital qu’il paie les cotisations sociales, notamment quand il remplace du travail humain par du travail automatisé », poursuit Guillaume Balas. Soit une « taxe robot », ou taxe sur la valeur ajoutée, qui servirait à financer les caisses sociales, notamment celle des retraites.
PS Plus de « justice » pour les petites retraites et les métiers pénibles
Au PS, on planche sur les propositions et on ne s’avance pas trop sur ce projet encore sur le métier. En attendant, le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, fustige les inégalités engendrées par le système actuel et souhaite qu’il « évolue vers plus d’égalité et de justice pour la moitié des retraités qui ne touchent aucune pension ; pour les 40 % de retraités qui touchent moins que le seuil de pauvreté ; pour celles et ceux qui exercent des métiers pénibles ». Le tout sans être « hostile par principe » au système par points. En matière de retraite, l’héritage est lourd : pendant le quinquennat Hollande, la réforme Touraine a allongé la durée de cotisation à 43 ans (contre 41,5 ans auparavant), repoussant de fait l’âge de départ. Si le patron des socialistes estime que « l’argent ne tombe pas du ciel », il juge également que « le trou de la Sécu, en 2024, c’est fini ». « Parce qu’on a demandé des efforts aux Françaises et aux Français, ils l’auront remboursé intégralement. En 2024, sans aucun prélèvement supplémentaire, entre 19 et 24 milliards d’euros qui tomberont chaque année », affirme le député qui y voit de quoi financer « les retraites, l’hôpital, les Ehpad ».
NPA Les cotisations sociales au cœur du système
Revenir à la retraite à 60 ans, à taux plein et à 37,5 annuités pour tous, tel est le mot d’ordre au NPA. Soit un retour à « ce qui existait avant ce rouleau compresseur de réformes libérales », précise Olivier Besancenot. Bien sûr, la formation va plus loin et propose notamment qu’aucune retraite ne se situe en dessous du Smic revendiqué, soit 1 800 euros net. Pour le Nouveau Parti anticapitaliste, « une seule modalité » pour financer les retraites : « les cotisations sociales et le partage des richesses ». Conversion de la CSG et des cotisations salariales en cotisations patronales, augmentation des salaires et création d’emplois par la réduction du temps de travail à 32 heures ou encore suppression de toutes les exonérations de cotisations patronales figurent en bonnes places dans la liste des revendications. Un « choix de société » qui passe aussi par les modalités de gestion, souligne Olivier Besancenot qui se prononce « pour en finir avec le paritarisme et revenir à un système financé et contrôlé par les assurés ».
Cyprien Caddeo et Julia Hamlaoui
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Dans le cortège parisien, la gauche reste attendue au tournant
Mercredi, 18 Décembre, 2019 - Diego Chauvet et Saliha Boussedra
Les partis tentent de se rassembler pour proposer une alternative à la réforme Macron. Dans la manifestation, on reste dubitatif. La gauche va devoir travailler dur pour se faire entendre à nouveau.
«Je trouve la gauche inexistante. Il faut qu’elle fasse des propositions. » Philippe Amsterdamer est en grève depuis le 5 décembre. Ce conducteur RATP de 49 ans, en CDI depuis deux ans et syndiqué à l’Unsa, est sans illusions. En 2017, il a voté au premier tour pour Benoît Hamon. Au second, il s’est abstenu. Aujourd’hui, il est dans la lutte et compte sur elle en premier lieu. « Il faudrait que la gauche soit un peu plus présente, mais on ne la voit pas beaucoup. On a entendu les responsables de gauche s’opposer au projet de Macron, mais, en retour, pour l’instant ils ne proposent rien. » Philippe dit entendre essentiellement Jean-Luc Mélenchon, le RN et les députés de la majorité. « Je souhaite que la réforme saute, pour moi, pour mes enfants, pour mes collègues puisque, théoriquement, je ne suis pas concerné. » Pour autant, même avec l’actuel système de retraite, conducteur depuis deux ans à la RATP et travaillant depuis l’âge de 16 ans, il précise que : « Si je pars à 62 ans, je ne toucherai que 1 040 euros de retraite, soit le seuil de pauvreté. »
Un sentiment « d’impuissance apprise»
« On parle tout le temps de politique à la maison, explique Leila, conductrice de RER. J’ai toujours voté depuis mes 18 ans, sauf au second tour de la dernière présidentielle », précise cette nouvelle syndiquée chez FO qui a voté pour Philippe Poutou en 2017. Si elle se dit de gauche, elle dit ne pas « attendre grand-chose » de la gauche « parce que je n’ai pas confiance », précise-t-elle. « La gauche a été au pouvoir, on a vu ce que ça a donné. »
Cette méfiance est partagée par Ahmed, ouvrier du bâtiment de 55 ans, syndiqué à la CGT. « Ils ont été au pouvoir et ils n’ont rien fait », dénonce-t-il à propos des partis de gauche. « La seule voie pour l’instant, c’est de se battre contre l’injustice sociale dans la rue. » Un peu plus loin, Lise et Charles-Luc, tous deux internes en psychiatrie, partagent l’avis d’Ahmed. « On est très résignés, on n’attend pas grand-chose des partis de gauche, explique Charles-Luc. Quoi qu’on fasse, ça ne change rien. À force de déceptions, on se résigne à ce qu’il ne se passe rien. » Charles-Luc a même un terme utilisé en psychiatrie pour décrire son sentiment, « l’impuissance apprise ». « Mais on attend beaucoup des gens, du mouvement social, et pas des partis », précise Lise.
La question de la retraite à points divise
Au final, peu des manifestants que nous rencontrons ont entendu parler des premières initiatives prises par les partis de gauche pour se rassembler et tenter de se mettre d’accord sur une réforme alternative des retraites. Si elle n’en est qu’à ses débuts, cette démarche est pourtant bien réelle et inédite depuis le séisme politique de 2017.
Ceux qui se tiennent au courant sont, pour l’instant, dans l’expectative. C’est le cas d’Arnaud Blanc, ingénieur dans la métallurgie et syndiqué à la CFDT. « Oui, on attend un front commun. Mais, aujourd’hui, c’est morcelé. Et ce qui divise, c’est la question de la retraite à points », explique Arnaud. Il précise que ces divisions traversent autant la gauche que les syndicats. Lui-même se dit partisan de la retraite à points…
Arnaud a assisté au meeting de Saint-Denis et affirme y avoir entendu « des voix dissonantes ». « Ce qui ferait le sérieux d’une gauche unie, c’est le sérieux de la proposition. Et, pour l’instant, je ne vois personne dans les partis de gauche qui pourrait incarner une alternative. »
Entre défiances et divisions, y compris au sein du mouvement syndical, la gauche a encore du travail pour se faire entendre des salariés en lutte…
Diego Chauvet et Saliha Boussedra