Publié dans l'Huma - Mohamed Rebah
Ce jour-là, Raymonde Peschard était en partance pour la Tunisie avec un groupe de compagnons d’armes de la wilaya 3 de l’Armée de libération nationale (ALN), qui quittait le maquis sur instruction du colonel Amirouche, alors commandant militaire. Les maquisards traversaient la chaîne des Bibans quand ils furent interceptés par des éléments de l’armée française dans un lieu au relief nu, appelé Draa Errih. L’opération militaire, conduite par le colonel Sagalbe, était commandée par le commandant du secteur Hodna-Ouest, le colonel Buis, qui avait fixé son PC à Bordj Bou Arréridj. Il était 10 heures du matin, en ce 26 novembre 1957.
Raymonde Peschard (Taous au maquis) fut arrêtée avec le reste du groupe. Mais, quand elle a vu les corps criblés de balles de ses compagnons d’armes, Arezki Oukmanou, Si Moh et les étudiants Rachid Belhocine et Redjouani, elle n’hésita pas à traiter les soldats français de criminels, de barbares et de nazis. Ligotée, le visage écrasé au sol, elle reçut une balle dans la nuque, tirée à bout portant par le colonel lui-même.
Raymonde Peschard fut hâtivement enterrée sur place, mais, identifié au cours de l’interrogatoire des autres prisonniers, son corps fut exhumé en présence des autorités civiles, militaires et judiciaires. « Le cadavre de Raymonde Peschard a été exhumé vendredi matin (29 novembre 1957) au cimetière de Bordj Bou Arréridj », déclara le lieutenant-colonel Marey, adjoint au commandant du secteur Alger-Sahel, au cours de la conférence de presse tenue le jour-même. « J’étais arrivé à Bordj le jeudi soir et j’ai été immédiatement mis en présence du corps de la mystérieuse femme blonde. Je l’ai aussitôt reconnu. Ce n’est que jeudi matin qu’un détachement fut envoyé sur les lieux du combat pour récupérer le corps. Le terrain avait été abandonné par nos troupes, qui y avaient déjà passé une nuit. Mais cette nouvelle opération nous a coûté deux spahis, car, en arrivant sur le piton rocheux, les militaires furent accueillis par un feu nourri de hors-la-loi très bien retranchés, désireux sans doute de reprendre le cadavre avant nous. Il fallut engager quatre compagnies pour déloger les rebelles. Enfin le corps fut exhumé et chargé par une ambulance qui, elle aussi, fut mitraillée sur le chemin du retour. Le véhicule porte d’ailleurs de nombreux points d’impact. »
Pour Robert Lambotte, qui relata le fait dans l’Humanité du 2 décembre 1957 : « Les conditions dans lesquelles a été découvert le corps de Raymonde Peschard demeurent troublantes. Pourquoi n’est-ce que 24 heures après le combat que des unités françaises reçoivent l’ordre de retourner sur les lieux, déterrer le corps de Raymonde Peschard, tuée d’une balle derrière la tête ? »
Raymonde Peschard commença à militer à Constantine au mouvement des Jeunesses communistes aux côtés des frères Mazri, Reinette Zaoui (future épouse de Georges Raffini, mort au maquis des Aurès), Édith Zerbib (future belle-sœur de William Sportisse). Elle est passée à l’Union de la jeunesse démocratique algérienne (Ujda) dès sa création en 1946. Recrutée en 1947 par un organisme des œuvres sociales de l’EGA (Électricité et gaz d’Algérie) géré par les syndicalistes de la CGT, elle a eu une formation d’assistance sociale dont elle fera sa profession. Raymonde Peschard a été à l’écoute des travailleurs de l’EGA comme elle a été à l’écoute des gens des quartiers défavorisés de Constantine. Militante de l’Union des femmes d’Algérie (UFA), on la trouve en 1950 aux côtés des familles des détenus politiques membres de l’Organisation spéciale (branche paramilitaire du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques). Expulsée du département de Constantine, elle rejoint Alger en 1955 après un passage par Paris et Oran.
En novembre 1956, Raymonde Peschard, recherchée par la police après l’arrestation de Fernand Iveton, entre en clandestinité. Poursuivie par les parachutistes du général Massu, elle quitte Alger et rejoint une unité de combat de l’ALN en wilaya 3 (Kabylie), à la suite des accords PCA-FLN du mois de juillet 1956 sur l’intégration au FLN des membres de la branche armée du PCA – les Combattants de la libération (CDL). Raymonde Peschard intégra la nation algérienne dans le combat quotidien. Comme l’ont fait ses camarades de parti : Henri Maillot, assassiné par l’armée française le 5 juin 1956, Fernand Iveton, guillotiné le 11 février 1957, Maurice Audin, mort sous la torture le 21 juin 1957… Depuis l’indépendance, Raymonde Peschard est enterrée au cimetière de Constantine.
Mohamed Rebah Historien
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Enlevés, détenus clandestinement, torturés et parfois assassinés par l’armée française
Alger 1957 - des Maurice Audin par milliers
En 1957, durant la « Bataille d’Alger » dite aussi grande répression d’Alger, des milliers d’hommes et de femmes ont été kidnappés par les parachutistes français dirigés par le général Massu, sur ordre du gouvernement français. Ils ont le plus souvent été torturés. Beaucoup ont purement et simplement disparu. Certains de ces tortures et assassinats firent scandale en France dès 1957 (Ali Boumendjel, Maurice Audin, Larbi Ben M’hidi ou Henri Alleg et Djamila Bouhired qui ont survécu…). Mais des milliers d’autres visèrent des Algérois et Algéroises ordinaires, dont la torture et la disparition n’eurent aucun écho au-delà de leurs parents, de leurs proches et des cercles militants. C’est pourquoi ni leurs noms ni leur nombre, aujourd’hui encore, ne sont connus publiquement. C’est pourquoi ce site se nomme 1000autres.
A partir d’une liste (très incomplète) de personnes prises par l’armée et recherchées par leurs familles en 1957, retrouvée dans les archives françaises, nous lançons ici un appel à témoignage pour identifier tous ceux qui, à Alger en 1957, ont été enlevés par les parachutistes, qu’ils aient ou non survécu. Nous collectons aussi tous les documents et photos que les familles voudront bien partager avec nous, pour faire connaître et reconnaître l’histoire de ces disparus réduits à l’anonymat. Merci à celles et ceux qui pourront nous aider et merci de faire circuler cet appel le plus largement possible.
Malika Rahal et Fabrice Riceputi, historiens.