Mouais, le journal dubitatif (avatar)

Mouais, le journal dubitatif

Mensuel dubitatif

Abonné·e de Mediapart

247 Billets

0 Édition

Billet de blog 20 septembre 2025

Mouais, le journal dubitatif (avatar)

Mouais, le journal dubitatif

Mensuel dubitatif

Abonné·e de Mediapart

Juif·ve de gauche, une lutte intime

Sacha* est de famille juive, et une partie de sa famille proche vit en Israël. Entre xénophobie anti-arabe et soutien assidu de la politique coloniale prégnants dans sa famille, « je me sens totalement seul·e », d’autant que la gauche, sa famille politique et amicale, n’est pas forcément non plus au rendez-vous. Témoignage.

Mouais, le journal dubitatif (avatar)

Mouais, le journal dubitatif

Mensuel dubitatif

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Mačko Dràgàn : J’ai l’impression qu’une bonne partie de la communauté juive, de ce que je peux en observer, s’est radicalisée vers l’extrême droite, notamment depuis le 7 octobre, en assumant un ancrage résolument xénophobe vis-à-vis des Arabes, c’est aussi ton cas ?

Sacha * : Pas vraiment. Pour être honnête, et c'est quelque chose que je n'ai jamais dit à personne mais je me le permets ici grâce au pseudo, j'ai toujours été affolé·e par la xénophobie d'une partie de la communauté juive et d'une partie de ma famille. Cela ne concerne ni toute ma famille ni toute la communauté juive. Mais la méfiance, voire la haine viscérale vis-à-vis des Arabes a toujours été extrêmement présente, toujours. Ce qui a changé le 7 octobre 2023, c'est que cette méfiance haineuse, teintée de vocabulaire animalisant et épouvantable - qui auparavant se formulait de façon plus discrète, avec des phrases qui se terminaient par « Enfin, tu m'as compris.e... », a été officiellement tamponnée comme un discours légitime, et même médiatiquement dominant et banal.

M.D : Comment cela se manifeste dans ton cercle familial ?

S* : Quand j'étais petit·e, ça se manifestait par l'interdiction claire et explicite de sortir avec un·e Arabe et par un nombre ahurissant de légendes sur des connaissances dont le fils ou la fille aurait épousé un.e Arabe qui se serait violemment radicalisé·e. Et aujourd’hui, ça se manifeste par par un canal de discussion familial quotidien qui est un vrai déversoir de haines, d'angoisses, parfois de soutiens et de rires cathartiques. Comme j'ai de la famille en Israël (oncles, tantes, cousin·es dont j'ai été très très proche), les premiers messages de la journée consistent, surtout en ce moment, à savoir si la famille en Israël se porte bien ».

Puis, très vite, les liens d'actu en Hébreu et en Français s'échangent. C'est alors un mélange de terreur, de haine vis-à-vis du Hamas, qui flirte toujours avec du racisme, des commentaires sur l'actu (de la part de quelques personnes vraiment extrêmes de cette famille) qui ressemblent à s'y méprendre à des éclats de joie, de rire ou de déceptions de supporters d'un match de foot sur telle ou telle action de l'armée, et enfin d'insultes et d'emoji « vomi » contre la LFI et contre toutes les personnalités politiques qui, sans même aller jusqu'à prononcer le terme « génocide », semblent prendre un peu de distance avec la politique de Netanyahou. Et si quelques membres de cette famille, dont moi, mais aussi des cousin·es dans les générations plus jeunes, cherchent à exprimer au sein de ce canal de discussion la moindre distanciation vis-à-vis de la politique coloniale israélienne et des crimes de guerre quotidiens, la réponse est violentissime et interdit toute possibilité de s'exprimer à nouveau.

M.D : As-tu l’impression, comme le dit un collectif dont je suis personnellement très critique, Golem, qui relaye les procès en antisémitisme fait à LFI, que la gauche est effectivement tendancieuse sur ces questions ?

S* : Je me sens totalement seul·e. Je me détourne de ma famille, car les seul.es membres qui peuvent prendre la parole tiennent des propos qui me font horreur (je sais que certain·es membres de ma famille sont, en revanche, comme moi, obligé·es de se taire alors qu'ils et elles souhaiteraient défendre les mêmes valeurs). J'ai grandi dans cette famille qui accorde une importance immense à la notion de « famille » justement. Je n'ai pas (encore) le courage de certaines personnes que j'observe autour de moi, comme les membres de Tsedek qui osent parler sans pseudo et à visages découverts, de la façon dont ils et elles ont dû plaquer radicalement leur famille d'origine.

Et je me sens abandonnée par ma famille politique. Même si je ne considère pas la LFI comme antisémite, certains propos, prononcés notamment par Mélenchon, qui est le seul homme politique dans lequel je me sois reconnue, m'ont néanmoins mise mal à l'aise. Par exemple, je n'ai pas apprécié qu'il parle de « scénario culturel » à propos du parcours de Zemmour et j'ai encore moins aimé qu'il ne revienne pas là-dessus et ne prenne pas soin de s'excuser auprès des éventuels électeur·rices que cela aurait pu choquer.

MD : Qu’aimerais-tu dire pour conclure ?

S* : J’ai un besoin vital de trouver de l'espoir dans un programme politique anti-islamophobe notamment (essentiel pour moi) et bien sûr plus largement anti-raciste et écologiste. Je suis, par ailleurs, attachée à mon judaïsme. Il y a beaucoup de choses auxquelles je tiens profondément dans cette religion, dans cette histoire, dans cette pensée et dans certains textes et traditions qui y sont rattachés.

J’ai donc besoin de l’existence d’une gauche capable de complexité, et d’allier une lutte acharnée contre le génocide à Gaza et à la fois l’expression d’un soutien clair, explicite aux Juif·ves antisionistes qui, d'ailleurs, à mon sens, n'attendent peut-être que cela pour sortir du bois et assumer publiquement leur position politique en ayant l'assurance de se sentir accueilli·es dans une nouvelle famille.

* Le prénom a été changé.

Un article tiré du numéro actuellement en kiosque, en accès libre, mais soutenez-nous, abonnez-vous ! : https://mouais.org/abonnements2025/

Illustration 1

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.