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Billet de blog 23 novembre 2025

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Tout ce dont la COP 30 n’a pas parlé

« COP e farsa ! » Actuellement sur un bateau remontant l’Amazone, alors que la COP 30 touche à sa fin, notre reporter Mačko Dràgàn vous propose de revenir sur les mouvements, multiples, mobilisés contre cette COP-pétard-mouillé, avec un objectif : défendre la terre pendant qu’ils la vendent. Reportage à Belém, en ce chaud mois de novembre.

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Les images ont fait le tour du monde : le mardi 11 novembre au soir, des manifestants indigènes ont forcé les barrières du lieu où se tenait la conférence des Nations unies sur le climat. Symbole mondial et fracassant du fait que quelque chose ne tournait pas rond dans cette COP pourtant médiatiquement bien rodée : après des décennies d’échec promis, on allait sauver le monde. Ces peuples du territoire Tapajós ont exprimé leur scepticisme.

L’évènement avait lieu à Belém, donc, aux portes de l’Amazonie, un symbole « historique » ou cynique, au choix. Le « poumon vert » du monde, atteint d’une tumeur occidentale, est en effet aussi le lieu du génocide, encore en cours, j’y reviendrai, des peuples autochtones. Et, en raison du capitalisme porté avec vigueur par tous les pays participant à la COP 30, selon les projections d’un collectif de chercheuses, d’ici à 2050 près de la moitié de la région amazonienne pourrait se transformer en forêts dégradées ou en savanes(1).

Dur à se dire quand, comme moi actuellement, tanguant sur un hamac péniblement accroché au plafond, au milieu de dizaines d’autres, l’on traverse ces entrelacs en apparence invincibles d’arbres et de lianes. Dédale où le ronflement du moteur du bateau ne vient même pas troubler le sommeil du paresseux accroché à sa branche, tandis qu’à notre passage s’envole une troupe de perroquets multicolores. Bercé par le balancement de mon matos Decathlon premier prix et par le bruits des conversations des personnes alentours ponctuées de hurlements d’enfants, je repense à cette COP. Qui, de ce que j’en savais avant mon départ -je n’ai plus internet- a finalement, qui l’eut cru, accouché d’une souris, et pas celle de Ratatouille : famélique, et en phase terminale.

Une scène, vue lors de la grande marche pour le climat du samedi 15 novembre, me revient cependant en mémoire et incarne bien l’ambivalence ici des sentiments vis-à-vis de cette COP désormais terminée. Une camarade anarchiste est assise pour se rafraîchir, et vêtue d’un t-shirt serti d’un logo « anti-cop 30 ». A ses côté, une indigène, voyant le logo, lui montre son propre t-shirt, quant à lui orné des visuels officiels de cette même COP. Car à cette dernière, certain·es, notamment parmi les autochtones, voulaient bien y croire : ainsi que l’a écrit l’APIB(2) dans un communiqué suite à l’action du mardi 11, « les peuples autochtones ne font pas partie des négociations officielles de la COP30, mais ils interviennent politiquement depuis plus de deux ans pour que leurs revendications soient entendues et intégrées dans les décisions sur la lutte contre la crise climatique. ».

Les anarchistes de Belém au front

Au Centre culturel libertaire d’Amazonie, le CCLA, qui nous accueille chaleureusement dans le centre historique délabré et populeux de Bélem, néanmoins, les choses sont claires. « La COP est une farce » (« e farsa »), et ces anarchistes entendent bien critiquer, tout le long de la conférence internationale, le « capitalisme vert » à tendance néo-coloniale qui selon eux préside à ce pince-fesse entre encravatés pollueurs.

Illustration 1

Chaque jour, tout du long de la journée, au CCLA, des rencontres ont donc eu lieu, dans une perspective internationaliste et intersectionnelle, entre projection de films sur l’extractivisme et invitation d’activistes indigènes pratiquant la réquisition de leurs terres volées (et j’y ai moi-même fait un succinct état des lieux de l’anarchisme en France). Enfin, et pour commencer, le jour de notre arrivée, le samedi 8 novembre, était organisé un « tournoi international de football anti-cop 30 » qui, du bon gros punk qui tache en fond sonore, a vu en finale l’Afrique -représentée par des camarades du Congo et du Burkina Faso- l’emporter sur le Venezuela -représenté par les indigènes Warao, en exil à Belem- avant un grand repas partagé de quartier et pas mal de bières.

Illustration 2

« De quoi la COP ne parle pas »

C’est l’intitulé (avec comme sous-titre : « Des marges de l’Amazonie à la périphérie du monde ») d’une rencontre qui était organisée, le lundi 10 novembre, au Centre culturel de l’Amazonie, en présence notamment d’une militante Palestinienne, qui l’affirme : « Ici comme à Gaza, le génocide est aussi un écocide ». -et ce malgré le « greenwhashing » intense pratiqué par Israël.

Par la suite, un leader de l’UP, qui a pour logo une panthère en furie un peu l’équivalent local de la France Insoumise, prend la parole. C’est un afro-Brésilien au charisme jauressien, et qui est en colère pour une bonne raison, rappelle-t-il : il est originaire de Brumadinho, localité qui a subi il y a quelques années une catastrophe environnementale connue comme la « rupture du barrage de Brumadinho » dans l'État de Minas Gerais, et qui a vu le réservoir de rétention pour les déchets toxiques d’une l'exploitation minière se déverser sur la population, causant des centaines de morts et de disparus. « Je viens d’une terre détruite par une multinationale, sans aucune justice ». Il se réclame, également, de l’héritage des Quilombolas, ces ancien·nes esclaves auto-affranchi·es.

Il en conclut donc logiquement : « On ne peut rien attendre des entreprises qui soutiennent et financent la COP 30. Et à quoi sert celle-ci sinon aux intérêts des investisseurs de la ville et de la région ? » Et de déplorer que la COP « transforme la crise climatique, qui est une crise du capital, en marchandage ».

Une -très, sans doute même pas la vingtaine- jeune activiste indigène, en tenue traditionnelle, se veut plus mesurée : « Nous ne sommes pas contre la COP, mais nous voulons y participer d’une façon qui ne soit pas une mascarade » ; et de déplorer que la COP ne parle pas « de nos luttes, notamment contre les grandes entreprises minières et de monoculture ».

Enfin, un membre de l’Union des Peuples Indigènes (UPI), après avoir appelé à se pas forer de pétrole dans l’embouchure de l’Amazone -une pique contre la récente décision du président Lula-, souligne que aujourd’hui encore, très régulièrement, des leaders indigènes sont assassinés, disparaissent, voient leurs corps jetés au fleuve, ainsi que les personnes qui les soutiennent. « Je viens d’un endroit mondialement connu pour l’exécution de Dom Philipps et Bruno Pereira » -le premier, journaliste notamment pour le Guardian et le New York Times, rédigeait un livre sur l’Amazonie, aidé du second, qui avait pris un congé à la FUNAI (agence gouvernementale chargée de protéger les droits et les intérêts des peuples indigènes au Brésil) pour travailler avec l’Univaja, une organisation à but non lucratif défendant es intérêts des peuples indigènes. Et de ces assassinats, qui s’ajoutent aux expulsions et aux empoisonnement, de ce génocide qui en est un mais qui ne dit pas son nom, il ne sera pas question à la COP. « Mais nous, nous avons deux semaines pour dire ce que l’on veut. Ça doit venir d’en bas ».

« Deux choses, c’est sûr, ne seront pas abordées à la COP : les incendies, et l’extraction des minerais »

L’homme qui parle est l’animateur d’une rencontre organisée dans le cadre de la « cop do povo » (la « cop du peuple »), quelques heures en ce mardi 11 novembre avant que les indigènes ne fassent intrusion dans la « vraie » COP. Au menu : « l’autogouvernance et l’auto-détermination » des peuples indigènes, en présence notamment, sur la rangée de chaise juste en face de moi, d’une vaste délégation de Ka’apor, ronds rouges peints sur les joues, munis d’arcs et de battes (oui.), et connus défendre leur territoire contre les envahisseurs et les pilleurs illégaux, traquant les braconniers et mettant hors d’usage des camions de bûcherons. Il assurent en outre l’approvisionnement de leurs campements grâce à l’agroforesterie et, véritables anarchistes en actes, ont créé un conseil horizontal, en charge notamment de leur propre système éducatif et du développement durable.

Le bilan de ces rencontres -en Espagnol, langue de la plupart des indigènes présents, venant de toute l’Amérique latin : « Il ne pas faut pas affronter les États séparés. Nous devons nous unir pour lutter ». Car il y a urgence. Répétons-le : un génocide est à l’origine de la conquête de ce continent, et il est toujours en cours. Comme l’écrivait déjà les anthropologues Jacques Meunier et A.M. Savarin dans les années 1960, « le génocide indien a commencé à l’aube de la conquête et il se poursuit ; si de nos jours, il y a lieu de s’étonner, c’est qu’il y a encore des survivants », énoncent-ils, avant de lister les massacres et de rappeler ce terrible mot d’ordre des colons : « Tuer les pères pour violer les filles ». L’animateur des rencontres pointe à nouveau, comme cela avait été fait hier, les assassinats de leaders, et rappelle que l’extractivisme, avec ses incendies et ses déchets toxiques, tue chaque jours les peuples indigènes.

Seule réponse face à ça, donc : résistance, lutte et autogestion. Comme le souligne un intervenant, « l’autonomie, c’est une invention pour les Etats-Nations, pas pour nous ». et de conclure, lapidaire : « Ce n’est pas à nous de demander des droits à la république. Nous étions là bien avant la république ».

Autonomie, diversité et convergence

Tous ces peuples se sont retrouvés le lundi 17 novembre, pour une grande marche indigènes jusqu’aux alentours de la « Blue Zone » de la COP 30. Avec des mots d’ordre on ne peut plus clairs : « Climate justice = Indigenous leadership », « emergência climatica : a reposta somos nos » (« la réponse c’est nous »), ou encore : « COP 30 : the answer is NO FOSSIL FUELS ».

Illustration 3

La veille, s’était conclue la « cupula dos povos », le « sommet des peuples », « où syndicats, organisations environnementales et peuples autochtones sont rassemblés pour remettre la justice climatique au cœur des négociations » (3) de façon équitable et décoloniale, et auto-organisée par la société civile autour de trois axes : autonomie, diversité et convergence. Un beau programme donc, entachés selon certains anarchistes ronchons, comme notre cher ami Portugais Mario, avec lequel nous logeons, par la présence intrusive « de plein de gens du PT », le Parti des Travailleurs de Lula, donc le parti au pouvoir au Brésil et celui qui accueille cette si problématique COP 30.

Les débats organisés, cependant, laissent peu de place au doute : ici, ces négociations, l’on y croit guère. « La solution ne vient pas de ces endroits », nous dit directement une intervenante lors d’une table ronde présentant les diverses luttes de la jeunesse du Continent et où était présent un jeune Afro-Brésilien du MST, le mouvement des sans terres pratiquant la réquisitions, deux très jeunes activistes mexicaine, un jeune Guarani en lutte…. Toute une galaxie emplie d’utopies et de réponses concrètes mais, évidemment, comme le dit l’une des deux Mexicaines, « la jeunesse n’est pas invitée à la COP 30 ». La conversation est conclue par une Quechua venue du Pérou, qui souligne cette terrible réalité : « Les femmes indigènes sont les premières impactées par le changement climatique ».

Le bilan de ce séjour à Belém est donc amer -tel l’açai, ce petit fruit amazonien si populaire ici. Mais nous pu y rencontrer des personnes incroyables, anarchistes, afro-brésilien·nes, indigènes, anarchistes, vegans, écologistes, d’ici ou d’ailleurs, qui, loin des bureaux climatisés, des salles de réunions garnies de petits fours, s’échinent à faire vivre la résistance au grand Kapital, ce venin qui empoisonne, dévore, tue tout ce qu’il touche, en Amazonie comme en Palestine. « Nous sommes la nature qui se défend », dit-on dans les ZAD -un slogan que j’ai retrouvé ici tagué sur un mur lors de la marche pour le climat. Cette défense existe partout, et doit nous pousser à ne pas baisser les bras. Comme l’a dit dans un entretien qu’il m’a accordé au CCLA le brillant et adorable penseur anarchiste Peter Gelderloos : « La solution ne viendra pas des États, plus d’un siècle d’histoire est là pour nous le prouver. Pour mettre fin au capitalisme et à la fin du monde, les solutions existent déjà, et elles marchent très bien. Mais encore faut-il en parler ! » Et de cela non plus, pourtant, aucun doute, il n’a été question à la COP. Mais était-ce même leur but ?

Un reportage de Macko Dràgàn. Photos : Macko 

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(1) https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/081125/l-amazonie-est-au-bord-du-gouffre-climatique

(2) Articulation des Peuples Indigènes du Brésil

(3) https://blogs.mediapart.fr/s-hanryon/blog/151125/une-vague-de-resistance-en-soutien-au-sommet-des-peuples

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