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Billet de blog 31 mars 2022

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Manifester en Macronie, une épopée

C’est un des plus terribles aspects du bilan macronien : l’impitoyable régression du droit de manifester qu’a représenté ce quinquennat. Parler des manifestations en Macronie c’est raconter l’histoire d’une répression policière et judiciaire, d’une bataille rageuse pour garder le contrôle de l’espace démocratique. Retour sur ces cinq années d'épopée urbaine.

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La répression policière subie dans les manifestations lors des mouvements sociaux depuis 2015 s’accentue, et l’on note « un regain des violences inédit depuis la guerre d’Algérie » selon Danièle Tartakowsky (1). Les Gilets jaunes ont reçu une répression particulièrement forte, comme peut en témoigner le travail effectué par l’écrivain journaliste David Dufresne. Il décide de recenser les victimes de violences policières depuis novembre 2018 dans une enquête journalistique appelée « Allô Place Beauvau ? », qui a pris fin en 2021 après 2 ans de travail. L’enquête dénombre 993 signalements, 4 décès, 351 blessures à la tête, 30 éborgnés et 6 mains arrachées, 20 blessures à la main, 29 blessures au dos, 82 blessures aux membres supérieurs, 139 blessures aux membres inférieurs, 5 blessures aux parties génitales, 154 autres, non renseigné, 207 intimidations, insultes, entraves à la liberté de la presse. Ces chiffres permettant de mettre au jour une violence systémique.

Beaucoup de condamnations judiciaires sont tombées, et de nombreux Gilets jaunes sont condamnés à des amendes et/ou à des peines de prison. Cette mobilisation de l’institution judiciaire passe par l’utilisation abusive des comparutions immédiates, ainsi que par l’usage massif des interdictions de manifester, et des peines de travaux d’intérêt général (TIG). D’après le ministère de l’Intérieur, « entre novembre 2018 et juin 2019, 3 000 Gilets jaunes ont été condamnés, dont un tiers à de la prison ferme. » (Vanessa Codaccioni, 2021) (2).

La répression s’est organisée de façon punitive mais aussi préventive en empêchant les militants de se rendre en manifestation. De plus, comme l’explique très bien Vanessa Codaccioni c’est une violence qui est dépolitisée (2). On ne la considère pas comme politique et elle est criminalisée. Les manifestants sont considérés comme des « casseurs », des « agitateurs », des « délinquants » ou encore comme des « terroristes ».

L’année 2019/2020 est plutôt marquée par l’arrivée d’une nouvelle stratégie de maintien de l’ordre face aux formes de manifestation incontrôlées du début des Gilets jaunes : la nasse mobile. Forcés de déclarer leurs cortèges, les Gilets jaunes se voient alors imposé un contrôle resserré. Les policiers peuvent décider des arrêts ou du flux de la marche, et contrôlent toutes les allées et venues. Ils procèdent aussi plus facilement à des arrestations : ils établissent une première ligne de force de l’ordre, et foncent dans la foule. Une seconde ligne à l’arrière se charge d’attraper la ou les personnes repérées, soudainement, sans sommation, souvent avec violence : des personnes peuvent tomber, se faire matraquer, et les individus arrêtés sont en général traînés à terre.

La manifestation du 12 décembre 2020 contre la loi Sécurité Globale s’est particulièrement démarquée par l’emploi systématique de cette technique tout le long du parcours. Les journalistes de Mediapart repèrent plus d’une dizaine de charges de ce type, ce qui a permis aux forces de l’ordre d’arrêter plus d’une centaine de manifestants. Et celles et ceux (j’en fais partie) qui ont participé à l’anniversaire des gilets jaunes, le 16 novembre 2019, place d’Italie, se rappellent avec douleur de cette journée de violence, dans l’air suffoquant de la nasse emplie de gaz, au rythme infernal des charges et des tirs de LBD.

Le conseil d’état, à la suite d’un recours sur le nouveau schéma national de maintien de l’ordre du 16 septembre 2020, rends un avis en juin 2021 jugeant illégale l’utilisation de la technique de la nasse. Cependant, elle est toujours employée lors des manifestations de Gilets Jaunes ou Anti Pass Sanitaire par le Préfet Lallement à Paris. Et certains lieux symboliques, tels les Champs Elysées, demeurent, de façon très problématique, interdits aux manifestants : les forces de l’ordre reprennent le contrôle de certains espaces de la ville de Paris.

Une érosion du droit de manifester 

On observe une érosion du droit de manifester. Ces libertés s’amenuisent de façon corrélative à des lois sur le contrôle des événements sportifs et du « supporterisme » à l’échelle européenne comme nationale, ainsi que sur les violences urbaines dans les banlieues, le terrorisme. On peut faire le constat d’une augmentation du pouvoir de l’autorité administrative sur le droit de manifester notamment par le biais d’arrêtés préfectoraux. Et les chercheurs Fillieule et Jobard soulignent que la notion d’ordre public est trop floue, et ne permet pas de délimiter correctement le droit de manifester.

Les attentats de Paris en 2015 avec l’adoption d’un État d’urgence et sa pérennisation par la loi SILT (sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme) le 30 octobre 2017 ont permis entre autres de multiplier les interdictions de manifester au motif de « comportement dangereux pour l’ordre et la sécurité ». En 2010 la Loi Estrosi a créé un « délit d’obstacle » pour la participation d’un individu à un groupe en vue de commettre des violences (3). Cette loi a été massivement utilisée pour les Gilets jaunes. En 2019, sur le modèle des interdictions de stades et sur la base de ce fichier, le syndicat policier Alliance et le délégué général du parti LREM appellent les préfets à délivrer des arrêtés d’interdiction de manifester. Et durant le printemps 2020, pour des raisons sanitaires liées l’épidémie de Covid-19, les rassemblements dans l’espace public sont restreints voire interdits

Quelle riposte ?

Cet article énumère froidement par des chiffres et des lois ce qu’est la répression. Il ne traduit pas l’impact de cette violence sur l’humain, ni finalement ce qui se vit en manifestation et de la joie que l’on peut y trouver.

Camarades de manifs… Nous sommes, chaque samedi, un petit groupe à déambuler dans le cortège, une bière à la main, en faisant des blagues toutes les cinq minutes sur la police. On a l’impression de couler à travers le monde, de faire des zig-zags dans la foule. C’est devenu une habitude, on se rassemble, on chante des slogans à tue-tête, puis on se perd. Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, nous sommes toujours là. Les conditions ne sont pas toujours très agréables, parfois je me demande ce que je fais là, à vous suivre. On a les doigts congelés, mal aux pieds, parfois on est trempés, plus rarement on respire du gaz lacrymogène, mais on rigole bien. Le samedi, c’est un jour de fête. Ce que je garde en tête ce sont tous ces sourires, ces paroles, ces cris, ces slogans, tous ces pas, ces preuves d’affection et d’intérêt pour l’autre. C’est une force bien humaine que la répression peut difficilement détruire. La manif est devenue mon activité favorite du week-end. Je sais que je ne serai pas seule, je rencontrerai du monde, des amis, je discuterai de la vie, et je transcenderai avec les autres l’angoisse d’une semaine vécue dans le monde capitaliste, lui d’une violence bien plus insidieuse.

Le 13 décembre 2020, je me réveille loin de la capitale. En prenant mon café le matin, je regarde l’actualité. Quel n’est pas mon désarroi, ma tristesse, ma colère en voyant apparaître en une le visage ensanglanté de mon pote Morgan, percussionniste invétéré des manifs Gilets Jaunes parisiennes. Quelle n’est pas ensuite ma honte quand je vois que BFMTV parle cyniquement de maquillage ! C’est un exemple parmi tant d’autres d’une violence policière et de son traitement médiatique, et ça fait mal au cœur. 

Morgan, ce 12 décembre, tout de suite après avoir reçu les coups à la tête, réagit courageusement. Il ne s’écroule pas à terre, mais le visage ensanglanté, il reprend son instrument et tape des rythmes encore plus fort, droit, face aux policiers. Il continue à venir chaque samedi depuis. J’y vois là une image de ce que l’on appelle la résistance. Il n’y a pas vraiment de stratégie, de plan, riposter c’est résister encore et toujours au système néolibéral violent, patriarcal, raciste juste en face de nous. En persistant, avec une force lente et endurante. On ne fatiguera pas les premiers. Soyons réaliste, parfois ils réussissent quand même à écraser des vies. Regarder la réalité en face ne fait alors qu’attiser la rage de continuer à venir marcher, chanter, crier, occuper la rue dès que l’on peut.

La question de la violence ou de la non-violence dans l’action politique semble alors tomber comme un cheveu sur la soupe. Ne restons dans une démarche statique et tristement résignée face à l'ordre, mais plutôt dans une expression contestataire joyeuse, humoristique et insurrectionnelle.

Ils ne nous voleront pas la joie de renverser leur ordre. Et le moins que l’on puisse dire et que si ça se passe mal en avril, nous auront du boulot ces cinq prochaines années.

Par la Grande Timonière, notre jeune envoyée spéciale en manif’ parisiennes

Lisez Mouais, soutenez-nous, abonnez-vous à notre mensuel 100% indépendant ! https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/paiements/abonnement-mouais Article paru dans le numéro 20 "La police tue, la justice tait", pour commander nos anciens numéros, suivre le lien précédent.

Notes de bas de page :

  1. Extrait de l’entretien menée par Elsa Gambin, 7 Janvier 2021 pour BastaMag : https://www.bastamag.net/Depuis-la-guerre-d-Algerie-on-a-jamais-assiste-a-un-tel-climat-repressif-Danielle-Tartakowsky-manifestation
  2. Codaccioni, Vanessa. « Empêcher, dépolitiser, punir : le triptyque de la répression politique », Savoir/Agir, vol. 55, no. 1, 2021, pp. 49-56.
  3. Olivier Fillieule, Fabien Jobard, Politiques du désordre. La police des manifestations en France, Paris, Seuil, coll. « Sciences humaines », 2020, 297 p
Illustration 1
"Ce n'est que du maquillage" : merci BFM nous voilà rassurés !

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