Certains naissent avec le monde à leurs pieds. D’autres sur leurs pieds. Dans les deux cas, il faut apprendre à marcher. Déjà longtemps que j’ai fait mes premiers pas: le monde, ni à mes pieds, ni dessus. Mais avec l'impression d’être toujours à côté. Comme si tout se faisait hors de moi, sans moi.
Jouet de fils invisibles.
En règle générale, ce genre de pensées ne me traverse pas. Trop occupé par mes rendez-vous professionnels. Mes initiales paraphées en boucle sur des documents officiels. Ainsi qu'une vie de famille parfaite, plein d’amis; des plus ou moins factices en pixel, et des vrais qui pètent et rotent. Mon agenda et mon frigo sont bien remplis. Un type qui, selon les canons de notre époque, a réussi. Et transmets cette réussite à ses gosses. A chaque jour, ses réponses.
Sauf aujourd’hui ; sur le banc de la gare, j’ai du temps suspendu : plusieurs heures inhabitées. Mon train a du retard. Et des interrogations se glissent dans la brèche.
Rares les moments où l’on peut feuilleter l’autre agenda. Pas le numérique ou en papier, avec les semaines sagement numérotées. Pourtant il n’est pas loin. Même très près. Toujours présent, jamais en retard. Mais très discret. Et beaucoup plus puissant que tous les I-Phone de la planète.
Cet agenda de chair et de sang sous la poitrine. Celui qui, sans se soucier de notre classe sociale, ethnie, sexe, orthographe, etc, alimente les pages de nos jours et de nos nuits. Tour à tour stylo, clavier, feuille ou écran. Rien de ce qui nous habite ne lui est étranger. Travailleur infatigable, jusqu’à notre dernier souffle.
Sans lui, pas de sang.
Ni sens.
Que restera-t-il des feuilles de l’agenda semées durant quatre mois dans les rues de Vénissieux ? Des textes et des photos. Des réussites et des échecs. Des frustrations et des joies. Mais surtout ce qu’un compte numéroté, une montre à un poignet, ou un écran, ne peuvent conserver. Insaisissable. Capture impossible de l'éphémère.
Ce voyage sous sept milliards de poitrines.
Ce texte est la préface -revisitée- d'un recueil de travaux d'ateliers d'écriture en 2013. A l'initiative de l’Espace Pandora; des «agitateurs poétiques» au pied du plateau des Minguettes.
Grand merci à cette équipe qui, malgré les tempêtes, continuent de hisser le drapeau de la poésie et naviguer sur les mers urbaines. Navigation très difficile, en cette période de gros grain obscurantiste.